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LENTULUS


Bâle, 1559-1574, t. i, p. 344. Elle a été souvent réimprimée depuis, en particulier dans plusieurs collections de livres apocryphes du Nouveau Testament. — L’auteur de cette lettre s’était visiblement proposé de satisfaire la pieuse curiosité des fidèles, avides de détails sur la personne sacrée du Sauveur.

II. Opinions diverses sur la personne physique de Jésus. — Dès les premiers siècles de l’Église, les Pères s’étaient demandé ce qu’était physiquement Notre-Seigneur ; mais comme tout renseignement direct faisait défaut, on eut recours aux prophéties. Isaïe, lui, 2, avait dit de lui : « Il n’a ni beauté ni agrément pour attirer nos regards, et son aspect n’a rien qui puisse nous plaire. » Sans faire attention que cet oracle se rapportait à l’état dans lequel se trouvait le Messie pendant sa passion, plusieurs écrivains ecclésiastiques prirent ces paroles pour le portrait même de Notre-Seigneur et en conclurent qu’il était sans beauté : àe1503ç, <oç aï rpaçori Ixrjpuatrov, dit saint Justin, Dial. cum. Tryph., 88, t. vi, col. 688, et même laid : tov Kûptov auTÔv tï)v o^iv « [<r/pbv ysyovévac, Stà’H<jatou to IIvsO[Aa [lapTVpei, dit Clément d’Alexandrie, Psedag., iii, 1, t. viii, col. 557 ; cf. Strom., vi, 23, t. ix, col. 381 ; Celse, dans Origène, Cont. Cels., vi, 75, t. xi, col. 1409, affirme que « Jésus était, d’après ce que l’on dit, petit, laid, difforme », <S ; çaat, fimpôv xa SixreiSèî -/.ai àïev^c ïjv. Saint Cyrille d’Alexandrie s’exprime dans le même sens, Glaphyr. in Exod., i, 4, t. lxix, col. 396 : « Le Fils a apparu sous un aspect très difforme, » ’Ev e"8e’. yàp néçrivev ô Yîbç tô Xîav àxaXXsdTÔoTip. Cf. aussi saint Irénée, iii, 19, t. vii, col. 940 ( « homo indecorus » ). En Afrique, Tertullien parle de la même manière : « Adultus, dit-il de Notre-Seigneur, De patientia, 3, 1. 1, col. 1252, non gestit agnosci, sed contumeliosus (digne de contuméiie, difforme, voir la note, ibid.) insuper sibi est. » II répète la même chose en d’autres termes, Adv. Marc, iii, 17, t. ii, col. 344 : « Si inglorius, si ignobilis, si inhonorabilis, meus erit Christus. » De même, Adv. Judmos, xiv, t. ii, col. 639 : « ne aspectu quidem honestus ; » De carne Christi, 9, col. 772 : « Adeo nec humanae honestatis corpus fuit, nedum cœlestis claritatis. » Saint Augustin tient le même langage, Enarr. in Ps. mu, 16, t. xxxvi, col. 489 : « Ut homo non habebat speciem neque decorem… Ideo formam illam deformem carnis ostendens, etc. »

Cependant, en Egypte même, on avait commencé de bonne heure à réagir contre cette opinion. Origène réfute Celse, Cont. Cels., vi, 75-77. t. xi, col. 1413-1416, en s’appuyant sur le Psaume xliv, 4-5 et sur le miracle de la Transfiguration. Matth., xvii, 2. À partir du IVe siècle, la croyance que Notre-Seigneur avait été « le plus beau des enfants des hommes » devint prédominante. c< Le seul aspect du Christ était rempli d’une grâce admirable, dit saint Jean Chrysostome, In Matth., Hom. xxvii, 2, t. lvii, col. 346 ; c’est ce que le prophète indique par ces paroles : Il était le plus beau des enfants des hommes. » Saint Jérôme dit à son tour : « Le Christ avait un regard qui lançait des rayons de feu et de lumière céleste, et la majesté divine brillait sur son front : Igneum quiddam atque sidereum radiabat ex oculis ejus, et Divinitatis majeslas lucebat in facie. » In Matth., xxi, 15, t. xxvi, col. 152. « Plus fort que l’aimant, il attirait tout à lui, » écrit le même saint docteur à un de ses correspondants. Epist., Lxv, 8, ad Princip., t. xxil, col. 627. « À l’extérieur, dit saint Bernard, le Christ était le plus beau des enfants des hommes. » Serai. // inDom. i post Oct. Epiph., 1, t. clxxxiii, col. 157. « Selon le corps, dit saint Thomas, III, q. xlvi, art. 6 ; q. liv, art. 1, ad3 um, le Christ avait une complexion parfaite, … rien de désordonné et de difforme n’était dans son corps : Secundum corpus, Christus erat optiine complexionatus… Nihil inordinatum et déforme fuerat in corpore Christi. »

Il se forma ainsi peu à peu un type de Notre-Seigneur, qui finit par être accepté au moyen âge sans contestation.

A vrai dire, il n’avait pour fondement aucun document authentique. Le langage de saint Irénée, Adv. hier., i, xxv, 6, t. vii, col. 685, et de saint Épiphane, Hser., xxvii, 6, t. xli, col. 373, lorsqu’ils parlent des Carpocratiens qui vénéraient un portrait de Jésus-Christ avec celui de divers grands hommes, montre que ces Pères ne connaissaient aucun témoignage formel et authentique sur la personne physique de Notre-Seigneur. Cf. aussi Eusèbe de Césarée, dans sa lettre à Constance (dans Labbe, Acta Concilii Nicasni II, ann. 787, art. vi, p. 494) et saint Augustin, De hœr., 7, t. xlii, col. 27. L’évêque d’Hippone dit, De Trinit., viii, 7, t. xiii, col. 951-952, qu’on ignore quelle était la figure (faciès carnis) du Sauveur. On peut dire : forte talem habebat faciem, forte non talem, en d’autres termes, on ne peut faire que des hypothèses.

Toutefois malgré l’absence de documents, la pieuse curiosité des fidèles voulait avoir un portrait du Sauveur j il fut peint de bonne heure par des peintres religieux. De son côté l’imagination populaire ne resta pas inactive : elle se donna libre carrière, elle se fit peu à peu, un type idéal, qui après avoir passé de bouche en bouche, fut consigné par écrit. Saint Jean Damascène (vers 676-760) nous a laissé un portrait graphique dé Notre-Seigneur. Epist. ad Théoph. imp., 3, t. xcv, col. 349. L’auteur du Livre des peintres (du mont Athos) le reprit au XIe siècle. Kraus, Real-Encyklopâdie, t. ii, p. 15. Au XIVe, un historien grec, Nicéphore Calliste, Hist. eccl., i, 40, t. cxlv, col. 748, le développa, en s’appuyant sur la tradition populaire : « comme nous l’avons appris des anciens, » dit-il, col. 748. Tous ces premiers portraits sont écrits en grec. Un latin voulut, à son tour, faire aussi connaître la figure du Sauveur à ceux qui parlaient sa langue et la décrivit dans la lettre qui o-st connue sous le nom d’Epistola Lentuli.

III. La lettre de Lentulus est une composition apocryphe. — Le caractère apocryphe de cette lettre est indubitable. Les copistes ne savent trop quel titre donner à son auteur prétendu ; ce titre varie dans la plupart des manuscrits qu’on en connaît ; les uns l’appellent proconsul, d’autres gouverneur ou presses Hierosolymitanorum, etc. Leur embarras provient de ce qu’il n’y a jamais eu à Jérusalem ni en Judée de gouverneur du nom de Lentulus. Il existait un presses ou un proconsul Syrise, et un procurator Judsese, mais on ne connut jamais aucun prseses Hierosolymitanorum, ni aucun proconsul Judmse. Bien plus, aucun procurateur de Judée ne s’est appelé Lentulus. Les auteurs classiques nous ont conservé le nom de plus de quarante Lentulus ; Cicéron, à lui seul, en mentionne dix-huit dans ses écrits. Dans ce nombre, quatre seulement ont vécu du temps de Tibère. L’un d’eux, ^Eneas Lentulus Gætulicus, fut consul avec Tibère en l’an 26, d’après Tacite, Ann., iv, 46, et, en 34, il commanda les légions romaines dans la haute Germanie. Il pourait avoir été en Judée entre l’an 26 et 33, d’après Suétone, Caligula, 8, et Pline, Epist., v, 3, mais rien ne le prouve, et il n’a pas été, en tout cas, procurateur de Judée, et il ne s’appelait pas Publius, mais Enée. D’ailleurs, un Romain n’aurait jamais pu employer plusieurs des expressions qu’on lit dans la lettre : propheta veritatis, filii honiinum ; ce sont là des hébraïsmes et le dernier est emprunté au Ps. xliv, 3. La dénomination de Jésus Christus trahit aussi une époque postérieure et est empruntée au Nouveau Testament. Enfin, sans relever d’autres détails, notons que, si elle avait été écrite par un procurateur de Judée, elle aurait été adressée, non au Sénat, mais à l’empereur, parce que la Syrie, dont faisait partie la Judée, était une province impériale, et non une province sénatoriale. « Il suffit de la lire, dit dom Ceillier, Histoire des auteurs ecclésiastiques, 1. 1, p. 498, pour être persuadé de sa supposition. »

IV. Date. — Aucun ancien écrivain ecclésiastique n’a parlé de la lettre de Lentulus, quoiqu’ils aient si souvent