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MYTHIQUE (SENS)


anciens ; enfin l’on s’accorde à reconnaître que le premier Évangile est au moins en un certain rapport avec l’apôtre saint Matthieu. — Dans ces conditions, le champ libre pour l’élaboration du mythe se trouve extrêmement restreint. C’est au cours de la première génération, au sein de la toute première Église, que l’on est contraint de placer le travail d’idéalisation et de transformation prétendu. Cela est-il possible ?

a) Opinion de M. Loisy. — Divers catholiques l’ont pensé. Au dire de M. Loisy, les Synoptiques, bien que composés entre 70 et 80, Les Évangiles synoptiques, Amiens, 1893, p. 4 ; cf. Autour d’un petit livre, Paris, 1903, p. 76 et suiv., « ne sont pas des documents proprement historiques », mais « un produit et un témoignage de la foi ancienne », « le document principal de la foi chrétienne, pourra première période de son histoire. » L’Évangile et l’Église, 2e édit., Paris, 1903, p. 1, 15, 33. « L’enseignement du Sauveur » a été « adapté au besoin des Églises naissantes », et même « un travail d’idéalisation progressive, d’interprétation symbolique et dogmatique s’est opéré sur les faits » : au critique donc de démêler « ce qui est souvenir primitif de ce qui est appréciation de foi et développement de la croyance chrétienne ». Autour d’un petit livre, p. 83, 44.

b) Critique de cette opinion. — Mais, on comprend combien doit prêter à l’arbitraire et au parti pris ce discernement entre ce qui est élément authentique de l’histoire et ce qui est censé un travail quelconque d’idéalisation. Il est impossible que le critique ne soit pas influencé dans son choix par ses idées personnelles sur l’évolution historique. Ainsi W. Wrede, Dos Messiasgeheimnis in den Evangelien, 1901, p. 7, pose en principe que le miracle et la prophétie doivent forcément être exclus de l’histoire. Les critiques qui voient en Jésus un simple homme prétendent ne pouvoir retenir comme historiens que ce qui s’harmonise avec leur conception et mettent invariablement le reste sur le compte de l’idéalisation postérieure. C’est le même parti pris que Renan avouait cyniquement, lorsqu’il écrivait : « Ce n’est pas parce qu’il m’a été préalablement démontré que les évangélistes ne méritaient pas une créance absolue que je rejette les miracles qu’ils racontent ; c’est parce qu’ils racontent des miracles que je dis : les Évangiles sont des légendes ; ils peuvent contenir de l’histoire, mais certainement tout n’y est pas historique. » Vie de Jésus, 13e éd., p. vi.

c) Preuves de Vindépendance des Évangiles synoptiques vis-à-vis des influences de la foi. — Si l’on veut se soustraire au préjugé et vérifier d’une manière impartiale dans quelle mesure les relations synoptiques risquent d’avoir été influencées par la tradition, le seul procédé logique est, semble-t-il, de porter l’examen sur quelques points importants des Évangiles, où l’histoire primitive s’était particulièrement prêtée à subir les influences de la foi, et où nous pouvons nous assurer si de fait elle les a subies ou non, cette foi de l’Église nous étant connue par des documents certains, tels que les Épîtres de saint Paul. Ces points, sur lesquels le travail de vérification critique peut se faire dans des conditions particulièrement favorables, sont, par exemple, la description de l’idéal messianique, le portrait des apôtres, l’idée de la préexistence céleste et de la divinité du Christ. Or, sur tous ces points, l’examen aboutit à des résultats tout à fait significatifs, qui vont à rassurer pleinement sur la fidélité historique de nos documents.

Si quelque perspective ancienne risquait d’être déformée sous l’influence nouvelle de la foi, c’était bien d’abord l’antique perspective messianique. Or, le messianisme que les Synoptiques nous présentent, tant chez les Apôtres qu’au sein de la foule, ce n’est point le. messianisme spirituel et idéal dont témoignent, au lendemain de la Pentecôte, les Actes des Apôtres et les Épîtres de saint Paul, c’est le vieux messianisme juif,

I tel qu’il se trouve décrit dans les documents extracanoniques contemporains, tout revêtu des anciennes couleurs, plein des chimériques espérances d’autrefois. Rien certes de plus remarquable que cette immunité de nos écrits par rapport aux idées ambiantes, sur un point où leur influence devait se faire sentir si puissamment. — De même, il est universellement reconnu que les Évangiles synoptiques, et les documents primitifs sur lesquels ils reposent, sont en dépendance étroite des souvenirs apostoliques et appartiennent à une période où la personne des Apôtres était relevée au plus haut point dans l’Église chrétienne. Or ces mêmes Apôtres s’y trouvent représentés avec toutes leurs faiblesses, toutes leurs lâchetés, tous leurs défauts, aussi bien qu’avec leurs qualités et leurs vertus. Un tel tableau ne peut sans doute provenir que de témoins exacts et sincères, qui savent faire abstraction des réalités présentes et d’eux-mêmes, pour relater uniquement et simplement la vérité de l’histoire. — Enfin, que dire du portrait de Jésus lui-même ? On veut que nos Évangiles soient plutôt une expression de la foi chrétienne qu’une exacte reproduction de la réalité. Or, comment se fait-il que la foi bien connue de l’Église primitive au grand dogme de la préexistence céleste et de la divinité du Christ, Fils de Dieu, apparaisse si peu reflétée dans nos écrits, si peu que l’on ne croit précisément trouver dans les Évangiles synoptiques aucune manifestation réelle de la divinité du Sauveur ? Comment se fait-il que, nonobstant la foi des premiers jours au Christ glorieux et vrai Fils de Dieu, on ait su maintenir à la manifestation personnelle de Jésus ce caractère de discrétion et de réserve qu’elle a dans les Évangiles, et qu’elle a dû avoir dans la réalité, qu’on l’ait fait se désigner habituellement par le titre de « Fils de l’homme », qu’on n’ait pas laissé de lui attribuer, touchant ses rapports avec Dieu, des déclarations aussi humaines que celles que relèvent complaisamment nos critiques, qu’enfin on. ait gardé de son agonie, des tourments de sa passion, de sa mort sur la croix, un souvenir aussi précis et, pour ainsi dire, aussi réaliste, où les détails humiliants, loin d’être dissimulés et idéalisés, sont rendus avec une vérité au plus haut point saisissante ? Cela suppose bien que nos évangélistes ont su faire abstraction de leur croyance personnelle et se soustraire à l’influence des idées théologiques de leur temps, pour reproduire l’histoire avec fidélité : et certes la chose est extrêmement significative de la part du troisième Évangéliste, si familiarisé avec la doctrine de saint Paul. Cela suppose que les documents mêmes et les souvenirs dont nos écrivains dépendent avaient su pareillement garder intact le Christ de l’histoire, et conserver avec la réalité de sa physionomie humaine celui qu’au lendemain de sa résurrection on regardait déjà comme le Messie triomphant, participant à la puissance de Dieu. — Ainsi, sur les points où la comparaison entre les Évangiles synoptiques et les idées de la première Église chrétienne se trouve particulièrement aisée à faire et significative, nous constatons d’une manière remarquable l’indépendance des documents vis-àvis des influences de la foi. Cette constatation parait tout à fait rassurante en faveur de la fidélité historique de l’ensemble de nos écrits. Cf. M. Lepin, Jésus Messie et Fils de Dieu d’après les Évangiles synoptiques, 2e édit., Paris, 1905, p. xliv-lxxii. — Si nous examinons maintenant les cas particuliers où l’on a voulu appliquer’le système de l’interprétation mythique aux récits évangéliques, nous constatons en fait que, d’une manière générale, ces interprétations sont arbitraires et mal fondées.

1° Les récits de la conception virginale et de l’enfance. — a) Opinion de M. Loisy. — Les critiques libéraux, nous l’avons vii, expliquent les récits de la conception virginale et de l’enfance du Sauveur par une évolution d’idées, qu’auraient amenée la foi messia-