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MYTHIQUE (SENS)


l’addition involontaire d’embellissements, tantôt d’un narrateur et tantôt d’un autre, s’est grossie comme la boule de neige ». Vie de Jésus, lntrod., § xiv ; trad. Littré, 2° éd., Paris, 1853, t. i, p. 107, 108. Dès lors, peut-il dire, « nous nommons mythe évangélique un récit qui se rapporte immédiatement ou médiatement à Jésus, et que nous pouvons considérer, non comme l’expression d’un fait, mais comme celle d l’une idée de ses partisans primitifs. » Ibid., § xv, p. 116.

Strauss ne peut prétendre reléguer toute la vie de Jésus dans le royaume des mythes, il est obligé de reconnaître qu’elle tient profondément à l’histoire. Bien plus, il convient que sa critique « ne dépouille pas la vie de Jésus de tous les traits qui purent se prêter à être regardés comme des miracles » (§ 14, p. 113). Le mythe évangélique ne peut, en effet, s’expliquer que par « la puissante impression » produite par le Sauveur, et cette impression elle-même suppose de toute nécessité, dans sa personne et dans ses discours, quelque chose de cet extraordinaire que relatent nos documents. Mais comment faire le départ entre ce qui est mythe et ce qui est histoire ? Strauss a fixé sur ce point les règles de la critique. « Un récit n’est pas historique, dit-il, § xvi, p. 118, premièrement quand les événements relatés sont incompatibles avec les lois connues et universelles qui règlent la marche des événements… » Donc, tout ce qui est voix célestes, apparitions divines, miracles, prophéties, apparitions et actes d’anges ou de démons, doit être impitoyablement rayé de l’histoire. Ibid. Et voici à quel signe caractéristique on reconnaîtra principalement que le récit non historique doit être ramené à un mythe : « Si le fond d’un récit concorde d’une manière frappante avec certaines idées qui prévalent dans le cercle même où ce récit est né, et qui semblent plutôt être le produit d’opinions préconçues que le résultat de l’expérience, alors il est plus ou moins vraisemblable, d’après les circonstances, que le récit a une origine mythique… Ainsi, nous savons que les Juifs voyaient, dans les écrits de leurs prophètes et de leurs poètes, des prédictions, et, dans la vie des anciens hommes de Dieu, des types du Messie ; cela nous suggère le soupçon que ce qui, dans la vie de Jésus, est visiblement figuré d’après de tels dires et de tels précédents, appartient plutôt au mythe qu’à l’histoire. » § xvi, p. 121-122.

Le mythe, ainsi compris, sera, soit un mythe pur, s’étendant à la substance même du récit, soit un mythe mêlé à l’histoire, lorsque l’élément mythique n’est qu’un accident dans une histoire véritable. Et voici d’après quelles règles on pourra faire le discernement. « Dans lès cas où non seulement le détail d’une aventure est suspect à la critique, et le mécanisme extérieur exagéré, etc., mais encore où le fond même n’est pas acceptable à la raison, ou bien est conforme d’une manière frappante aux idées des Juifs d’alors sur le Messie ; dans ces cas, non seulement les prétendues circonstances précises, mais encore toute l’aventure, doivent être considérées comme non historiques. Au contraire, dans les cas où des particularités seulement dans la forme du récit d’un événement ont contre elles des caractères mythiques, sans que le fond même y participe, alors du moins il est possible de supposer encore un noyau historique au récit. » § xvi, p. 126.

Il est aisé maintenant de retracer la genèse du mythe évangélique, ainsi exposé. « Le mythe pur, dit Strauss, aura deux sources qui, dans la plupart des cas, concourent simultanément à sa formation ; seulement, tantôt l’une, tantôt l’autre prédomine. La première de ces sources est l’attente du Messie sous toutes les formes, attente qui existait parmi le peuple juif avant Jésus et indépendamment de lui ; la seconde est l’impression particulière que laissa Jésus en vertu de sa personnalité, de son action et de sa destinée, et par laquelle il modifia l’idée que ses compatriotes se faisaient du Messie. C’est presque

uniquement de la première source que provient, par exemple, l’histoire de la transfiguration… Au contraire, c’est de la seconde source que dérive le récit où le rideau du temple est décrit se déchirant au moment de la mort de Jésus ; car le motif principal qui parait en avoir dicté la conception est la position de Jésus lui-même, et, après lui, de ses disciples vis-à-vis le culte juif et le Temple. » § xv, p. 116. Peut-être aussi faut-il faire intervenir, dans la formation de ce dernier trait » l’abus d’une métaphore. Il est question dans l’Épltreaux Hébreux, x, 19, de la voie du véritable sanctuaire que Jésus-Christ nous a ouverte par son sang sous le voile de sa chair. « Un auditeur peut avoir pris ce. voile au propre, et imaginé le fait sans soupçonner la fiction. » Nouvelle vie de Jésus, trad. Nefftzer et Dollfus, Paris, t. i, p. 203. — Impression profonde laissée par Jésus, besoin de montrer en lui le Messie des prophètes, tels sont aussi les deux facteurs qui ont concouru à former le grand mythe de la résurrection. Les apôtres, malgré le drame du Calvaire, restaient persuadés que Jésus était le Messie ; or le Messie devait vivre éternellement : il n’avait donc fait que passer dans sa gloire messianique ; le Psalmiste n’avait-il pas d’ailleurs déclaré : « Tu ne me laisseras pas dans le sépulcre, et tu ne souffriras point que ton saint éprouve la corruption ? » D’autre part, parmi les attributs du Messie figurait la résurrection corporelle des morts : rien donc de plus naturel que la pensée de son retour à la vie et de sa propre résurrection. Sous l’influence de ces croyances messianiques et de l’impression gardée du Sauveur, l’imagination des Apôtres s’exalte : elle leur fait prendre pour apparitions réelles ce qui n’est que vision intérieure et subjective, provoquée peut-être par quelque objet qui trompe leurs sens et fournit matière à leurs illusions. Enfin, la même exaltation d’esprit, sans doute aussi quelque préoccupation apologétique, au cours de la controverse avec la synagogue, leur suggèrent les circonstances du prétendu miracle : apparitions des anges, garde demandée par les Juifs, sceau apposé sur le tombeau, cicatrices des plaies, montrées par Jésus, vues et touchées par les Apôtres. Vie de Jésus, § cxxxviii, t. ii, p. 640-644 ; cf. Nouvelle vie de Jésus, t. i, p. 203.

Dans le mythe historique, ou mêlé à l’histoire, interviennent également l’impression faite par le Sauveur et l’idée préconçue de sa personne ou de son œuvre. Sous l’influence de cette impression et de cette idée, l’imagination s’empare d’une donnée particulière de son histoire et brode tout autour ses conceptions mythiques. Quant à la donnée, qui sert ainsi de thème à l’imagination, c’est m tantôt un discours de Jésus, par exemple les discours sur les pêcheurs d’hommes et sur le figuier stérile, discours que nous lisons maintenant transformés en histoires merveilleuses ; tantôt c’est un acte ou une circonstance réelle de sa vie : ainsi son baptême, événement réel, a été orné des détails mythiques que racontent les Évangiles ; il est possible encore que certains récits de miracles aient pour fondement des circonstances naturelles qui ont été ou présentées sous un jour surnaturel ou chargées de particularités miraculeuses)I. Toutes ces diverses conceptions sont des mythes, « en tant qu’une idée est le point de départ de la portion non historique qu’elles renferment. » Vie de Jésus, § xv, p. 117.

Strauss s’est enfin posé la question de savoir si « la qualification de mythe, applicable à la poésie légendaire et naïve qui domine dans les trois premiers Évangiles, convient également à des inventions plus ou moins réfléchies, comme celles du quatrième Évangile ». Dans sa Vie de Jésus, il observait qu’  « une fiction, même quand elle n’est pas complètement sans calcul, peut cependant encore ne comporter aucune fraude… Dans l’antiquité, surtout dans l’antiquité juive, et parmi des cercles soumis à l’action religieuse, l’histoire et la.