Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome IV.djvu/718

Cette page n’a pas encore été corrigée
4383
1384
MYTHIQUE (SENS)


3° Les Juges et les Rots. — La suite de l’histoire d’Israël, sous les suges et sous les Rois, ne serait pas exemple elle-même de toute influence mythique. D’une façon générale, il y aurait un départ à faire entre la substance des récits, qui serait historique, et les multiples détails, qu’aurait ajoutés la tradition, soit en idéalisant les grands héros de l’histoire, soit en projetant dans le passé les formes sociales ou les conceptions religieuses des temps postérieurs. Cf. Encyclopœdia biblica, art. Historical Literature (G. F. Moore), § 5 sq., t. ii, col. 2077 sq. ; Judges (Id.), § 17, t. ii, col. 2634 sq. ; Kings (E. Kautzch), t. H, col. 2665 sq. ; Ckronicles (S. R. Driver), t. i, col. 767 sq. — Ainsi d’après T. È. Cheyne, art. Prophétie Literature, § 6, ibid., t. iii, col. 3859, « on ne saurait dire dans quelle mesure les scènes si frappantes de la biographie d’Élie peuvent être regardées comme historiques. La narration, dans sa forme actuelle, a évidemment un caractère subjectif. On peut voir sûrement, non seulement dans tel ou tel détail, mais dans la couleur générale des récits, la main d’un narrateur qui idéalise son héros. » — B. Stade, art. Samuel, ibid., t. iv, col. 4270, estime que la biographie de Samuel contient un « noyau d’histoire », mais que « le portrait traditionnel a été embelli sous l’influence des idées religieuses plus récentes ». De même au jugement de T. K. Cheyne, art. Saul, David, Solomon, ibid., t. i, col. 1019 ; t. iv, col. 4302, 4680, les vies de Saûl, de David, de Salomon, sont historiques dans leur substance et dans leurs grandes lignes ; ce qui est idéalisation mythique, transformation légendaire, garde la valeur de renseignement sur le caractère de l’époque où s’est accompli ce travail complémentaire.

Les critiques, qui découvrent le mythe astral dans l’histoire des patriarches, prétendent le retrouver jusque dans l’histoire des Juges et des Rois. À en croire E. Stucken, Astralmythen, et H. Winckler, Geschichte Isræls, cf. Die Keilinschriften und das Aile Testament, de Schrader, 3e édit., h » partie, remaniée par Winckler, 1902, les Juges tiennent à la fois de l’histoire et du mythe, du mythe plus que de l’histoire : Josué est le génie du sanctuaire de Benjamin ; Samson est un dieu solaire ; Débora une Astharté pleurant Adonis près du chêne des Lamentations. — De son côtépT. K. Cheyne, art. Samson, § 2, t. iv, col. 4268, croit qu’on peut ramener Samson à un mythe solaire primitif : « Il est possible, dit-il, qu’il y ait eu un héros solaire, analogue à Gilgamesh, et portant le nom ou le titre de Samshan ; ce nom se sera attaché à quelque champion réel ou imaginaire des Danites, ou d’Israël lui-même, contre les Philistins oppresseurs. Peut-être aussi certains exploits du Samson légendaire ont-ils quelque affinité avec des mythes naturels. » — Quant aux Rois, Saûl, David, Salomon, ce sont sans doute des personnages en chair et en os, et la substance de leur histoire est véritable. Néanmoins, la légende astronomique leur aurait donné une couleur mythique dans les détails. Ainsi, au dire de Winckler, Saül apparaît comme une figure mythologique du dieu-lune. Sin, le dieu lunaire des Babyloniens est appelé « l’oracle » ; or Sa’ùl peut signifier « le consulté ». Le symbole du dieu-lune est la lance ou l’épieu ; or Saül a toujours la lance à la main. La mélancolie du roi représente l’assombrissement mensuel du disque lunaire. Sa décapitation est un autre symbole de la lune envahie par les ténèbres : elle a lieu près de la ville de Bets’àn (Bethsan), où l’on peut voir facilement Bethsin, donc une ville consacrée à Sin, un centre de culte lunaire. David, par contre, sera un héros solaire, plus spécialement Ninib, ou le soleil croissant. Salomon sera également le dieu soleil, probablement Reseph, un Apollon chananéen, ou Nebo, le soleil d’hiver à son déclin. Sa mère Bethsabée, on Balséba’, « fille de sept, » ne peut êlre qu’un reflet pseudo-historique de

IStar, la fille mythologique du dieu-lune, dont le symbole numérique était le chiffre sept.

4° Esther, Tobie, Judith, Job, Jonas, Daniel. — En dehors des annales proprement dites qui nous relatent la suite de l’histoire nationale (livres des Juges, livres des Rois, Paralipomènes, etc.), nous avons aussi des écrits ayant la forme de l’histoire et qui se rapportent à quelque personnage particulier ou à quelque épisode détaché de la vie d’Israël. Ce sont les livres d’Esther, de Judith, de Tobie, de Job, de Jonas, et de Daniel. Or l’interprétation que les critiques indépendants tendent à donner à ces écrits offre beaucoup d’affinité avec l’interprétation mythique. Nous aurions en ces divers livres des récits fictifs, créés de toutes pièces par l’auteur, ou bien empruntés à la tradition courante, aux contes populaires, à quelque légende sans doute brodée sur un certain fond de réalité. Dans la pensée de l’auteur, comme dans l’esprit de la légende, ces récits fictifs seraient conçus en vue de faire valoir une idée ou de symboliser un enseignement ; comme les mythes, ils ne vaudraient que pour la leçon qu’ils contiennent, ou pour le renseignement qu’ils fournissent sur la psychologie du temps qui les a vus naître.

Au jugement de S. R. Driver, Literature of the Old Testament, 7e édit., Edimbourg, 1898, p. 483, le livre d’Esther doit avoir seulement une base historique ; les éléments du récit ont été fournis à l’auteur par la tradition ; aidé par sa connaissance de la vie et des » coutumes persanes, il les a combinés en un tableau harmonieux, où il se propose, non seulement d’expliquer l’origine de la fête des Phurini et de la recommander, mais encore d’exalter l’influence des Juifs et de faire valoir leur importance. Cf. [G. Wildeboer, Die Litteratur des À lien Testaments, Gœttingue, 1895, p. 445 sq. ; J. A. M’Clymont, art. Esther, Dict. of the Bible, de Hastings, t. i, p. 775. Pour T. Nôldeke, art. Esther § 2, Encycl. bibl., t. ii, col. 1402, l’ouvrage n’est pas un roman historique, mais une pure fiction, un conte fabuleux, qui a pour but d’encourager les Juifs à l’observance de la fête des Purirn.

Mêmes opinions au sujet du livre de Judith. D’après M. Gaster, art. Judith, §5, Encycl. bibl, t. H, col. 2644, « un simple incident d’une guerre de l’antiquité, signalé par l’héroïsme d’une jeune fille, tel est le canevas sur lequel un écrivain récent à brodé ce conte richement orné, dont il a fait une leçon de réconfort et d’encouragement. » Cf. F. C. Porter, art. Judith, dans le Dict. of the Bible, t. ii, p. 823. D’après C. H. Cornill, Einleitung in das Alte Testament, Fribourg-en-B., 4e édit., 4896, p. 271, nous avons affaire à « un roman tendancieux » ; <( la tendance est d’encourager les Juifs à lutter sans crainte, pour l’honneur de Dieu, contre la suprématie païenne. » D’après G. F. Moore, art. Historical Literature, § 16, Encycl. bibl-, t. it, col. 2086, « la mise en scène est purement fictive ; si quelque incident réel a fourni le noyau de l’histoire, les circonstances du fait avaient été complètement oubliées. Ce qui en ressort nettement, c’est la leçon de confiance en Dieu et de fidélité à la Loi. »

Le livre de Tobie, au dire de T. K. Cheyne, art. Jonah, § 2, Encycl. bibl., t. ii, col. 2566, appartient au genre midrasch. Le midrasch est « le développement imagi naire d’une pensée ou d’un thème suggéré par l’Écriture, et spécialement une>exposition didactique ou homilétique, ou hien encore une histoire religieuse édifiante ». J. T. Marshall, art. Tobit, Dict. of the Bible, t. iv, p. 788, estime que ce midrasch doit reposer sur une histoire réelle. W. Erbt, art. Tobit, § 7, 8, 17, Encycl. biblica, t. iv, col. 5114, 5118, est plutôt d’avis qu’il a s » base dans le domaine du folk-lore, ou des contes populaires, en particulier dans le conte étranger d’Ahikar.

On a prétendu autrefois que le livre de Job devait