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MYTHIQUE (SENS)


racontées les origines du monde et de l’humanité : ces récits ne sont ils pas mythiques, comme ceux que présentent sur les mêmes sujets les annales des peuples païens ? Elle nous décrit les origines d’Israël et remet sous nos yeux toute la suite de son histoire : là encore n’est-ce pas au mythe qu’il faut attribuer tant d'événements merveilleux, d'épisodes extraordinaires, d’interventions miraculeuses de Dieu et de ses anges ? Enfin, n’est-ce pas encore le mythe qui expliquera ce qu’offre de prodigieux la vie de Jésus racontée en nos Évangiles ?

II. Exposé des systèmes d’interprétation mythique. — I. l’interprétation mythique appliquée a l’ancien testament. — C’est aux livres de l’Ancien Testament que l’on a d’abord appliqué le système de l’interprétation mythique. Le savant philologue C. G. Heyne, professeur à Gœttingue, venait en 1783 d’exposer cette idée que le mythe doit être regardé comme un symbole expressif des croyances et des mœurs populaires, si bien que, sous son enveloppe imagée, le savant peut découvrir et l’histoire et la philosophie des anciens : À mythis omnis priscorum hominum cum historia tum philosophia procedit. Apollodori Atheniensis Bibliothecm libri très et fragmenta, Gœttingue, 1782-1783, t. i, p. xvi. En même temps que ces principes étaient appliqués aux légendes sacrées de Rome et d’Athènes, les critiques allemands songeaient à les appliquer aux pages miraculeuses de la Bible. — Dès 1802, G. L. Bauer composait son Hebrâische Mythologie des Alten und Neuen Testaments, und Parallelen aus der Mythologie anderer Vôlker, besonders der Griechen und Rômer, 2 in-8°, Leipzig, 1802, où la plupart des faits bibliques étaient mis en parallèle avec les fables grecques et romaines. — Peu après, J. S. Vater présentait le Pentateuque en particulier comme une collection de fragments dont il expliquait par le mythe les récits miraculeux. Commenlar ùber den Pentateuch, 3 in-8°, Halle, 1802-1805. — Cependant celui qui fut le principal propagateur du mythisme en Allemagne, et que l’on peut regarder comme le père du mythisme biblique dans son application à l’Ancien Testament, fut W. M. Lebrecht de Wette (1780-1849). D’après de Wette, Kritik der mosaischen Geschichte, 1807 ; Lehrbuch der historisch-kritischen Einleitung in die kanonischen und apokryphischen Bûcher des Alten Testaments, 1817, les livres historiques de l’Ancien Testament, et en particulier le Pentateuque, n’ont été écrits que longtemps après les événements ; leurs rédacteurs ont rapporté de bonne foi des légendes populaires, élaborées peu à peu au cours dés âges, grossies et embellies tandis qu’elles passaient de bouche en bouche, et qui ont fini par constituer « l'épopée théocratique d’Israël », à peu près comme les multiples fragments de rhapsodes inconnus ont constitué VIliade et l’Odyssée, que l’on attribue à Homère. Le critique avait soin d’ajouter que les Écritures ne laissaient pas d'être pour lui, même dans leurs éléments mythiques, une chose sainte et sacrée, puisque, à défaut de la vérité historique, elles gardaient du moins la vérité idéale, celle des conceptions grandes et nobles qui avaient inspiré leurs mythes pleins de poésie. — Le double procédé de de Wette, consistant à rejeter bien après l'époque des faits racontés la composition des divers livres de l’Ancien Testament, et à mettre sur le compte de l’idéalisation légendaire ou du mythe ce que ces écrits renferment de miraculeux, est le procédé qu’ont suivi depuis lors, en le complétant et perfectionnant, les critiques de l’Allemagne protestante. Tels, H. Ewald, Geschichte des Volkes Isræls, 1843-1859 ; Th. Nôldeke, Die Alttestamentliche Litleratur, 1868 ; Eb. Schrader, Einleitung in dos A. T., de « le Wette, 8e édit. remaniée, 1869 ; J. Wellhausen, Geschichte Isræls, 1878 ; 2e édit., Prolegoniena ivr Gesch. Isræls, 1883, etc.

D1CT. DE LA BIBLE.

Mais, si nous voulons prendre une idée un peu complète de la manière dont aujourd’hui l’interprétation mythique est appliquée à l’Ancien Testament, il nous faut considérer à part : les descriptions des origines du monde et de l’humanité aux premiers chapitres de la Genèse, les récits de l’histoire des patriarches et des origines du peuple de Dieu, les annales qui nous rapportent le développement de l’histoire d’Israël sous les Juges et sous les Rois, enfin les divers livres qui racontent quelque épisode détaché ou histoire particulière.

1° Les premiers chapitres de la Genèse. — Ce que contiennent les premiers chapitres de la Genèse, au dire des critiques indépendants, ce sont des fictions ingénues où l’esprit populaire a traduit sa philosophie et sa théologie enfantines, en réponse aux questions que se posait la curiosité des premiers âges sur l’origine des choses. Ces fictions mythiques appartiennent à un fond de légendes commun à tous les peuples sémitiques ; elles sont étroitement apparentées aux mythes primitifs de Babylone, Dans l’ensemble, on peut les considérer comme de vieux mythes polythéistes, purifiés par la tradition Israélite et adaptés au point de vue du monothéisme hébreu.

Telle est la thèse exposée par H. E. Ryle, The early Narratives of Genesis, Londres, 1892. D’après ce critique, le récit biblique de la Création, l’histoire du Paradis terrestre et celle du Déluge, sans être en dépendance directe vis-à-vis des mythes assyrobabyloniens, ont une commune origine. Les Hébreux étaient frères des Chaldéens ; en quittant la Mésopotamie pour la terre de Chanaan, ils emportèrent avec eux leurs légendes ancestrales, qui s'étaient élaborées côte à côte avec celles de Babylone et de Ninive, comme elles, mélangées d’un polythéisme grossier. Plus tard, sous l’influence de l’inspiration, les saints et les prophètes d’Israël débarrassèrent ces légendes de leurs éléments païens, les revêtirent de cette noble simplicité qui caractérise le pur monothéisme, et infusèrent aux vieux mythes un esprit nouveau, leur faisant exprimer, sous l’enveloppe primitive, les sublimes vérités que la révélation destinait au peuple de Dieu. — Ainsi, le récit de la Création reproduit « la cosmogonie très simple qui avait cours dans la branche hébraïque de la race sémitique » ; le récit de la Chute remonte en dernière analyse « à la mythologie religieuse » commune aux peuples de Mésopotamie ; le récit du Déluge rappelle « quelque cataclysme local qui submergea le berceau originel de la race sémitique ». Quant aux autres récits des premiers chapitres de la Genèse : l’histoire de Caïn et d’Abel est probablement une ancienne légende reçue des ancêtres polythéistes et épurée de ses éléments païens ; les Caïnites devaient figurer primitivement des demi-dieux ou des héros, ramenés ensuite aux proportions d’hommes ordinaires ; l'épisode des Fils de Dieu et des filles des hommes est sans doute un souvenir d’une légende hébraïque strictement païenne ; de même l’histoire de la Tour de Babel doit appartenir à la mythologie hébraïque primitive, où l’on rattachait l’origine de la diversité des langues au mystère qui enveloppait une tour sacrée gigantesque. — En résumé, « ce que nous trouvons dans les onze premiers chapitres de la Genèse, ce sont des récits populaires, nullement scientifiqueS^qui, dans la tradition hébraïque primitive, exprimaient, sous une forme vivement imagée, les idées courantes touchant les origines de l’univers et celles de la société humaine. L’inspiration n’a point révélé à l'écrivain une connaissance scientifique exacte de choses qu’il ignorait ; mais l’auteur israélite a été mû par l’Esprit-Saint à recueillir de différentes sources les matériaux d’une relation suivie, qui, en s’incorporant la tradition ancienne dans sa plénitude et sa variété, fût le moyen voulu par Dieu pour l’instruction des hommes. » P. 135.

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