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119 LATINES (VERSIONS) DE LA BIBLE ANTÉRIEURES À S. JÉRÔME 120

pourrions d’abord répondre que ce sont les recenseurs peut-être qui ont ainsi rapproché les textes, car enfin, quand on a plusieurs textes d’un même ouvrage entre les mains, une recension a pour conséquence tout aussi bien de les rapprocher que de les éloigner les uns des autres. Mais n’insistons pas sur cet argument, qui n’est après tout qu’un argument ad hominem, et venons à la réponse directe. Or, nous disons que la rencontre des mêmes mots sous la plume des divers traducteurs était inévitable. Les Livres saints ont été pensés, puis écrits par des Sémites qui ont toujours suivi la syntaxe de leur propre langue, même quand ils ont écrit en grec. De là cette perpétuelle succession de petites phrases courtes, sans aucun lien qui les réunisse pour former quelque chose qui ressemble à nos périodes latines. Saint Luc lui-même, le meilleur écrivain grec du Nouveau Testament, n’a pas d’ordinaire échappé à cette loi. Or, un livre ainsi composé ne peut être traduit fidèlement que si l’on coule presque constamment sa propre phrase dans le moule de la phrase sémitique ; autrement, on ne semble pas traduire, mais paraphraser. Ajoutons à cela que le principal souci, et, pour ainsi dire, l’unique souci du traducteur des saints Livres a toujours été l’exactitude, la fidélité stricte. Il devait en être ainsi ; ce qui importe par-dessus tout dans l’étude des Écritures, c’est de savoir d’une manière précise ce que Dieu a dit. Car il s’agit d’une parole révélée et faisant loi, à laquelle on ne peut donc rien ajouter, rien retrancher, sans forfaire aussi bien à la science qu’au respect de la foi. C’est ce qui nous explique pourquoi toutes les versions approuvées dans les Églises sont des versions en somme littérales. Une version de la Bible doit pouvoir faire autorité comme un texte juridique ; or, elle ne le peut que si elle est littérale et rend l’affirmation divine telle quelle, rien de moins rien de plus. Dans ces conditions, il est absolument inévitable que les traducteurs se rencontrent souvent. Le lecteur est ^ même d’en faire l’expérience. Qu’il prenne un chapitre des Évangiles grecs, ou simple, ment le passage de saint Luc donné plus haut d’après nos trois manuscrits, et qu’il se mette lui-même à le traduire fidèlement, littéralement en latin ; il constatera que sa traduction se rapproche ou s’éloigne des anciennes versions qui datent de dix-sept à dix-huit cents ans, dans la mesure même où celles-ci s’éloignent ou se rapprochent les unes des autres. Et ainsi, l’examen intrinsèque de nos textes, comme aussi les témoignages des anciens écrivains ecclésiastiques, nous amènent à cette conclusion que partout où l’on rencontre des textes aussi divergents que le sont ceux de nos trois manuscrits, on a affaire, non pas à de simples recensions, mais bien à des traductions différentes.

VI. Du classement des textes par groupes de versions ou recensions diverses. — Les anciens textes latins ont été classés, mais pour la partie du Nouveau Testament seulement, par les deux célèbres critiques anglais Westcott et Hort, The New Testament in the original Greek, Introduction, p. 78-84, Cambridge, 1881, et l’on peut dire que leur système a été universellement accepté. Voir par exemple Scrivener, A plain Introd., p. 55-56 ; Gregory, Prolegomena, p. 948-949, et Textkritik, p. 598 ; Kenyon, Our Bible, London, 1895, p. 78 ; P. Monceaux, Revue des Études juives, avril 1901, p. 130-131 ; S. Berger, Histoire de la Vulgate, p. 5 ; Nestlé, dans Urtext und Uebersetzungen, p. 87-88 ; Kennedy, Diclionary of the Bible, t. m. p. 55-60. Se plaçant au point de vue de la diversité des versions ou recensions, Westcott et Hort en ont distingué trois groupes : groupe africain, groupe européen, groupe italien. Il va sans dire que cette classification ne comprend ni les textes alors insuffisamment étndiés ou même inconnus, ni les textes par trop mêlés pour qu’on puisse discerner leur groupe originel. Mais que faut-il entendre par textes africains, européens, italiens, si l’on veut rester dans le vrai, sans préjuger la question d’origine première de chaque version ou recension, et quels sont les textes à ranger daus chaque groupe ?

I. textes africains. — Par textes africains il faut entendre tous les textes, d’où qu’ils viennent, principalement apparentés avec ceux dont se servirent les Pères d’Afrique, Tertullien et surtout saint Cyprien. Car, nous l’avons dit, Cyprien a pour nous cet avantage qu’il cite souvent la Bible et la cite dans les mêmes termes ; c’est évidemment qu’il possédait une collection de textes déterminés, fixés, une véritable Bible latine qui peut par conséquent servir de point de départ ou de terme de comparaison pour retrouver la teneur des textes usités en Afrique à l’origine des Églises. Or on regarde comme se rapprochant particulièrement des citations de Tertullien et de Cyprien, pour les Évangiles : le Codex Bobbiensis (k), le Palatinus (e) ; pour les Actes et pour l’Apocalypse : le palimpseste de Fleury-sur-Loire (h).

II. textes européens. — Par textes européens on entend ceux qui ont été en usage dans les anciennes Églises latines d’Occident et sont restés en dehors des textes revisés par saint Jérôme. Les textes de cette catégorie sont fort nombreux. On cite, par exemple, pour les Évangiles les manuscrits suivants : Vercellensis (a), Curiensia fragmenta (a 2), Sangallensia fragmenta (anciens n, o, p, qui ont fait retour au a 2), Veronensis (b), Golbertinus (c), Corbeiensis (v. 2), Claromontanus (h) Vindobonensis (i), Usserianus primus (r 1) ; pour les Actes : Gigas Holmiensis (g), fragmentum Mediolanense (g 2), Bobbiensis palimpsestus (s) ; pour les Épitres catholiques : le Corbeiensis (ff) de Pétersbourg, contenant l’Êpître de saint Jacques ; enfin, pour l’Apocalypse : le Gigas Holmiensis (g).

III. textes italiens. — Les textes italiens sont, comme nous l’avons expliqué plus haut, en parlant de l’opinion de saint Augustin sur la pluralité des versions, les textes ainsi dénommés par ce Père, et qui, avons-nous dit encore, devaient être en usage, sinon dans toute l’Italie, au moins dans la partie nord du pays, appelée « diocèse d’Italie », comprenant entre autres les villes de Vérone, Aquilée, Brescia, Ravenne et Milan. Cf. S. Berger, Hist. de la Vulgate, p. 6. Les textes italiens sont donc eux aussi des textes d’Europe ; on les a mis pourtant dans une classe à part, à cause du mot célèbre d’Augustin. Comme le grand docteur les préférait aux autres et s’en servait dans ses propres écrits, que d’autre part il apprit vraisemblablement à les connaître quand il était à Milan, on les retrouvera facilement en voyant s’ils sont apparentés avec les citations bibliques d’Augustin, avec celles d’Ambroise ou des autres écrivains du nord de l’Italie.

Il faut cependant noter ici une opinion spéciale qui vient de se produire. Jusqu’à ces derniers temps, presque tous les auteurs avaient considéré l’Italique ou les textes italiens comme absolument différents des textes hiéronymiens. On citait pourtant saint Isidore de Séville, qui avait appliqué aux travaux de saint Jérôme l’éloge donné par Augustin à l’Itala. Presbyter quoque Hieronymus, trium linguarum peritus, ex Hebrœo in Latinum eloquium easdem Scripturas convertit eloquenterque transfudit, cujus interpretatio merito ceteris antefertur ; nam est et verborum tenacior et perspicuitate sententiæ clarior atque utpote a Christiano interprète verior. Etym., 6. 4, t. lxxxiii, col.236. Dans les Prolégomènes à la Glose ordinaire de Walafrid Strabon (Patr. Lat., t. cxiii, col. 26), on lisait aussi quelque chose de semblable. Plus récemment, C. A. Breyther, Diss. de vi quam antiquissimæ versiones, quæ extant latine, in crisin Evang. IV habeant, Mersebourg, 1824, 8°, cité par Nestlé, Urtext, p. 87, avait parlé dans le même sens, et de même enfin Ed. Reuss, dans la 2e et