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LATINES (VERSIONS) DE LA BIBLE ANTÉRIEURES A S. JÉROME

avait alors en manuscrit, ou bien n’est-ce qu’un récit fait de mémoire et en gros, peut-être une traduction nouvelle de ce passage improvisée sur le texte grec qu’on a sous les yeux ? On le voit, les citations scripturaires des anciens doivent être examinées de près et jusque dans les détails, si l’on veut être sûr que l’on tient entre les mains une version dont le texte était à l’avance fixé, une version enfin que l’écrivain rapporte fidèlement, littéralement, sans commentaire comme sans omission. En négligeant cette précaution, on s’exposerait à trouver chez un même Père plus de versions qu’on n’en voudrait. D’autre part, et pour ne rien perdre des avantages auxquels ils ont droit, les partisans de la pluralité doivent surveiller les éditions des Pères dont ils se servent à défaut de manuscrits, parce que trop souvent il arrive que l’éditeur maladroit remanie les citations scripturaires pour les rendre conformes à quelque texte reçu, et fait ainsi disparaître toutes les divergences. Au total, l’emploi de textes pris dans les ouvrages des Pères est parfaitement légitime, mais le maniement en est fort délicat, si l’on ne veut ni exagérer ni affaiblir la valeur des arguments puisés à cette source, et il est préférable, quand on en a la facilité, de recourir directement aux textes continus des Écritures, que l’on rencontre dans les manuscrits ou dans les éditions qui en ont été publiées.

Mais est-il possible d’établir d’après les seuls manuscrits la pluralité des anciennes versions latines pour chacun des livres de l’Écriture ? Évidemment non ; car nous sommes loin de posséder, en particulier pour l’Ancien Testament, le nombre de textes qui seraient requis pour faire une telle démonstration. Aussi bien, selon ce quia été dit en commençant, n’est-il pas nécessaire de prétendre que l’antiquité ait possédé plusieurs versions latines de tous les Livres saints sans exception. Mais, si nous sommes relativement pauvres en manuscrits du Vieux Testament, il n’en est plus tout à fait de même pour les livres du Nouveau. C’est pourquoi nos adversaires ont ici le droit d’exiger que nous leur prouvions, d’après les textes qui nous restent des Évangiles, des Actes ou des Épîtres de saint Paul, la pluralité des anciennes versions latines. Cette preuve, on peut la faire, et, à notre avis, elle est à tout le moins suffisante pour établir solidement notre thèse, encore qu’elle ne force pas la conviction de tous les critiques.

Nous donnerons un exemple qui permettra au lecteur de voir à peu près dans quelle mesure nos textes s’éloignent ou se rapprochent les uns des autres. Voici en quels termes les trois manuscrits a. Vercellensis, b. Veronensis et f. Brixianus racontent la visite des saintes femmes au sépulcre, le matin de la résurrection, d’après saint Luc, xxiv, 1-11 :

a. Vercellensis. b. Veronensis. f. Brixianus.
1. prima autem die sabbatorum 1. una autem sabbati 1. una autem sabbati
2. venerunt ante lucem valde ad monumentam 2. venerunt valde tempore ad monumentum valde diluculo venerunt ad monumentum
3. adferentes quæ paraverunt 3. portantes quæ paraverant 3. portantes quæ paraverant aromata
4. 4. 4. et aliæ simul cum eis
5. invenerunt autem lapidem revolutum a monumento 5. et invenerunt lapidem revolutum 5. et invenerunt lapidem revolutum a monumento
6. ingressæ autem non invenerunt corpus 6. ingressæ autem non invenerunt corpus 6. et ingressae non invenerunt corpus
7. et factum est dum stuperent de hoc 7. et factum est dum mente consternatæ essent de facto 7. et factum est dum hæsitarent de hoc
8. ecce viri duo adstiterunt juxta illas in veste fulgenti 8. et ecce duo viri steterunt secus illas in veste fulgente 8. ecce duo viri adstiterunt juxta illas in veste fulgenti
9. timere autem adprehensæ inclinantes faciem ad terram 9. cum timerent autem et declinarent vultum in terram 9. cum timerent autem et declinarent vultum in terram
10. dixerunt ad illas quid quæritis vivum cum mortuis 10. dixerunt ad illas quid quæritis viventem cum mortuis 10. dixerunt ad illas quid quœritis vîventem cum mortuis
11. 11. 11. non est hic sed surrexit
12. memoramini sicut locutus est vobis 12. rememoramini qualiter locutus est vobiscum 12. recordamini qualiter locutus est vobis
13. dum adhuc esset in galilæa 13. cum adhuc in galilæa esset 13. cum adhuc in galilæam esset
14. dicens quoniam filium hominis oportet tradi 14. dicens quia oportet fllium hominis tradi, 14. dicens quia oportet filium hominis tradi
15. 15. in manus hominum et crucifigi 15. in manus hominum peccatorum et crucifigi
16. et tertia die resurgere 16. et die tertia resurgere 16. et tertia die resurgere
17. et memoratæ sunt verborum horum 17. et rememoratæ sunt verborum horum 17. et recordatae sunt verborum ejus
18. et reversæ renuntiaverunt hœc omnia illis omnibus et ceteris omnibus 18. et regressae renuntiaverunt hæc omnia illis XI et ceteris omnibus 18. et regressas a monumento nuntiaverunt hæc omnia illis undecim et ceteris omnibus
19. erat autem magdalena 19. erat autem maria magdalenæ 19. erat autem maria magdalena
20. et maria iacubi et iohanna 20. et iohanna et maria iacobi 20. et iohanna et maria iacobi
21. et reliquat cum eis quai dicehant ad apostolos hæc 21. et ceteræ quæ cum ipsis fuerant hæc dicebant ad apostolos 21. et ceteræ quæ cum eis erant quæ dicebant ad apostolos hæc
22. et visa sunt illis tanquam délira verba hæc 22. et visa sunt ante illos sicut deliramentum verba ista 22. et visa sunt coram illos quasi deliramentum verba illarum
23. et non credebant eis 23. et non credebant illis 23. et non credebant illis.


Les trois récits qu’on vient de lire sont-ils l’œuvre de différents traducteurs, ou bien n’étaient-ils à l’origine qu’une seule et même version qui s’est modifiée dans la suite entre les mains de divers recenseurs ? Telle est exactement la question qui se pose en face de ces textes et tant d’autres semblables. Pour nous, il nous paraît que les variantes de nos manuscrits sont trop nombreuses pour qu’on puisse les expliquer autrement que par l’existence de plusieurs versions. De plus, si nous n’avions affaire qu’à des recensions, les divergences trahiraient la préoccupation qu’a toujours un recenseur de rendre son texte ou plus exact ou plus littéraire. Or nous ne voyons aucun souci de ce genre se trahir dans nos trois rédactions.

Une difficulté reste toutefois. On nous dit : Si nous admettons que ces textes viennent d’auteurs différents, comment expliquer qu’il s’y rencontre encore tant d’expressions semblables, absolument les mêmes ? Nous.