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113 LATINES (VERSIONS) DE LA BIBLE ANTÉRIEURES À S. JÉRÔME 114

partout connu dans la société romaine, et qu’à Rome même les premiers monuments de la civilisation chrétienne, la liturgie, l’épigraphie, les documents émanés des apôtres Pierre et Paul, et de tous les papes jusqu’au milieu du IVe siècle, sont écrits en grec. Il est vrai que les premiers apôtres prêchèrent tout d’abord dans le milieu hellène de la diaspora, et c’est ce qui explique qu’ils écrivirent en grec et que la liturgie, à l’origine, fut grecque. Mais le IIe siècle n’était pas commencé que déjà l’Église avait brisé les premiers cadres de son action devenus trop étroits, débordé le cercle restreint des synagogues, pénétré enfin dans la société romaine où l’hellénisme juif n’était qu’un point perdu dans l’espace. On parlait grec, dit-on, dans la société romaine et à Rome surtout. La vérité est que le peuple parlait latin. On sait, à n’en pas douter, par le témoignage de Tertullien, Apolog., xxxvii, t. i, col. 462-463, que de son temps déjà les masses populaires chrétiennes inondaient toute la société romaine et que, par conséquent, l’évangélisation du bas peuple, parlant uniquement le latin, devait remonter jusqu’aux origines. On peut donc conclure que vers la fin du v siècle, à Rome comme en plusieurs autres contrées de la péninsule ou de l’empire, on devait posséder déjà quelque traduction de l’un ou de l’autre des trois premiers Évangiles. Peu à peu, les autres documents, Évangile de saint Jean, Épîtres de saint Paul ou des autres apôtres, arrivent à la connaissance du monde d’Occident et sont pareillement traduits en latin pour l’usage soit du peuple, soit des prêtres et des évêques eux-mêmes. L’Ancien Testament, lui aussi, dut être bientôt traduit, non pas de l’hébreu, mais, comme le prouvent nos anciens textes, du grec des Septante que les Juifs hellènes avaient déjà semé sur tous les rivages de la Méditerranée, alors que le christianisme était encore à son berceau. C’est dans la première moitié du IIe siècle, de l’an 100 à 150 environ, que se fit la plus grande partie de ce travail, et sur la fin du même siècle que le reste s’acheva. Cf. Kaulen, Einleitung, 1899, § 145-146 ; Westcott, dans le Dictionary of the Bible de Smith, article Vulgate, n. 5, t. iii, p. 1690.

IV. De la pluralité des versions latines antérieures à saint Jérôme. — Dans la question présente nous n’avons pas à nous demander si la Bible latine antérieure à saint Jérôme est l’œuvre d’un ou de plusieurs auteurs ; la pluralité des traducteurs de nos textes n’est contestée par personne. Il ne s’agit pas non plus de rechercher si la Bible fut traduite plusieurs fois en entier ; les renseignements et les textes qui nous restent ne sont pas assez nombreux pour qu’on puisse trancher cette question. Nous nous demandons simplement si pour un certain nombre de livres, et en particulier pour ceux dont nous possédons des textes divers, il faut reconnaître une seule version fondamentale avec des recensions subséquentes qui expliqueraient la diversité de ces textes, ou bien au contraire s’il y eut des versions multiples dès l’origine, entreprises par des traducteurs différents. À la question ainsi posée tous ne répondent pas de la même manière. Des auteurs éminents, tels que Sabatier et Bianchini au XVIIIe siècle, Vercellone et Tischendorf de nos temps, plus près de nous encore Kennedy, Scrivener, Gregory (bien que ce dernier fasse une grave concession dans son récent ouvrage Textkritik, t. ii, 1902, p. 597), sont pour l’unité de version. Voir Sabatier, Bibliorum sacr. lat. versiones antiques, t. i, p. vi ; Bianchini, Evangelium quadr., proleg., p. 29 ; Vercellone, Dissertazioni accademiche, Roma, 1864, p. 21 ; Tischendorf, Novum Test. triglottum, Leipzig, 1854, proleg., col. xlvii-li ; Kennedy, dans Dictionary of the Bible, art. Latin Versions [The old], t. iii, p. 48-49 ; Scrivener, A plain Introduction, 4e édit v t. ii, p. 41-43 ; Gregory, Proleg., p. 949-952, et Textkritik, loc. cit. D’autres, au contraire, surtout depuis les derniers travaux qui ont été faits, admettent la thèse de la pluralité. De ce nombre sont, chez les Allemands. Gams, Rönsch, Ziegler, Nestlé, Kaulen, et chez nous, L. Delisle, U. Robert, Gaston Paris, P. Monceaux. Voir Gzm%Kirchengeschichte Spaniens, 1879, t. ii, p. 501 ; Rönsch, Itala und Vulgata, p. 2 ; Ziegler, Die latein. Bibelübersetzung vor Hieron., p. 1 ; Nestlé, Urtext und Uebersetzungen der Bibel, Leipzig, 1897, p. 85-86 ; Kaulen, Einleitung, 1899, § 146 ; L. Delisle, Notice sur un manuscrit de Lyon, dans la Biblioth. de l’École des Chartes, 1878, t. xxxix, p. 428 ; U. Robert, Pentat. versio, introd., p. cxxxii, et Heptateuchi versio latina, p. xxv ; G. Paris, dans le Journal des savants, 1883, p. 387 ; P. Monceaux, La Bible latine en Afrique, dans la Revue des Études juives, 1901, p. 15-17. Cette seconde opinion nous paraît l’emporter en probabilité ; nous allons en donner nos raisons.

Il est à propos de remarquer tout d’abord qu’aux époques reculées où remonte la traduction latine, Ier et IIe siècles, avons-nous dit, il n’y eut pas évidemment de version pour ainsi dire officielle, élaborée par autorité ecclésiastique pour être ensuite communiquée identiquement aux différentes communautés chrétiennes. Les premiers pasteurs des églises n’avaient ni le temps ni les moyens de constituer une sorte de commission savante, chargée de préparer pour tous les peuples de langue latine une traduction officielle et unique de nos livres sacrés. Saint Augustin a dit en peu de mots comment l’Écriture parvint aux Églises latines : « Aux origines de la foi, le premier venu, s’il lui tombait entre les mains un texte grec et qu’il crût avoir quelque connaissance de l’une et de l’autre langue, se permettait de le traduire. » De doct. christ., ii, 11, t. xxxiv, col. 43. Donc pas de texte officiellement élaboré, arrêté pour tous, mais une série de travaux privés, entrepris sans aucune entente préalable par des écrivains que séparent de longues distances et que sollicitent les mêmes besoins. Dès lors il est probable qu’un certain nombre de livres ont dû être traduits par plusieurs travailleurs.

Les premiers Pères, en effet, qui se sont servis des textes antérieurs à la Vulgate, semblent tous d’accord pour nous attester l’existence, non pas seulement de variantes dans les manuscrits d’un même texte, mais encore de traducteurs multiples pour les mêmes livres. Tertullien paraît déjà avoir eu connaissance de plusieurs versions : Quidam de græco interprétantes… pro afflatu spiritum ponunt. Adv. Marc, II, 9, t. ii, col. 294. — Saint Hilaire, à différentes reprises, nous parle aussi de traducteurs multiples d’un même passage : Aliqui translatores nostri ; latini quidem interpretes transtulerunt. In Ps. LIV, 1, t. ix, col. 347 ; m Ps. cxviii, littera xii, 3, t. ix, col. 577. Cf. De Trinit., 1. VI, 45, t. x, col. 194. — Saint Ambroise se sert bien souvent d’expressions du même genre, et il n’est pas rare de le voir discuter les traductions discordantes. In Ps. xxxvi, 56, t. xiv, col. 994 ; ïn Ps. cxvill, Serm., xii, 7, t. xv, col. 1362 ; Serm., xv, 3, col. 1410 ; Serm., xx. 10, col. 1486. Cf. Ambrosiaster, Comm. in Rom., v, 14, t, xvii, col. 96. — Le langage de saint Jérôme suppose aussi notre thèse, notamment dans sa Préface aux quatre Évangiles, t. xxix, col. 525, et dans la lettre xviii, 21, au pape Damase. Præf. in quatuor Evang., t. xxix, col. 525 ; t. xxii, col. 376.

Mais de tous les Pères aucun n’a parlé plus clairement que le grand évêque d’Hippone, saint Augustin. C’est au livre second de son traité De doctrina christiana surtout (t. xxxiv), qu’il a dit sa pensée sur ce sujet. Après avoir énuméré les livres canoniques (c. viii), et indiqné ce que l’on doit chercher avant tout dans les Écritures, il signale au travailleur les difficultés d’ordre philologique qu’il rencontrera sur sa route (c. ix-x),