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MILLÉNARISME


26. Après U dernière Cène, Notre-Seigneur parle des demeures multiples qui sont dans la maison de son Père ; il va en préparer une à chacun de ses apôtres, puis il reviendra pour les prendre avec lui. Joa., xiv, 2, 3. Où les emmènera-t-il ? Dans cette maison de son Père dont il vient de parler, dans le ciel. La parole adressée au sujet de saint Jean : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne…, » Joa., xxi, 22, suppose une venue du Christ au moment de la mort naturelle de chacun, d’après Joa-, xiv, 3, ou une manifestation quelconque de sa puissance, comme la ruine de Jérusalem ou la propagation merveilleuse de l’Évangile. Cf. Matth., XVI, 28 ; Marc., viii, 39 ; Luc, IX, 27. Mais il n’y a pas là d’allusion à l’inauguration d’un règne temporel, et l’apôtre avertit lui-même « lue les paroles du Maître ne signifient pas : s. Il ne mourra pas. » Joa., xxi, 23. — Dans l’Apocalypse même, on trouve des manières de parler comme cellesci : « Au vainqueur, je donnerai à manger de l’arbre de vie, qui est dans le paradis de mon Dieu. s Apoc, H, 7. « Le vainqueur n’aura rien à craindre de la seconde mort. » Apoc, H, 11. « Au vainqueur, … je donnerai pouvoir sur les nations, .., comme moi-même j’en ai reçu le pouvoir de mon Père. » Apoc, ii, 27. Le sens de ces expressions symboliques est expliqué par cette autre sentence : « Celui qui vaincra, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme moi aussi j’ai vaincu et me suis assis avec mon Père sur son trône. » Apoc, iii, 21. Or ce trône du Père est dans le ciel ; ce n’est pas le trône d’un royaume temporel. Le trône de Dieu, dressé dans le ciel, est ensuite décrit. Apoc, iv, 2-11. Puis viennent différentes scènes préparant le jugement. Apoc, vi, 1-17. Immédiatement après, les élus sont introduits devant le trône de Dieu et devant l’Agneau. Apoc, vii, 9-17. Aucune mention n’est faite d’un règne temporel intermédiaire. D’autres symboles représentent la même idée. Ce sont les âmes vierges’qui sont auprès de l’Agneau et l’accompagnent partout. Apoc, xiv, 1-5. C’est, dans le ciel, la grande voix de la foule immense qui célèbre la chute de Babylone. Apoc, xix, 1-8. Jusqu’ici, les scènes décrites par l’apôtre se déroulent sur deux théâtres, la terre, qui est celui de la lutte, et le ciel, qui est celui de la récompense. Dans une nouvelle vision, saint Jean introduit la mention de ce règne de mille ans réservé aux fidèles disciples du Christ, et au bout duquel Satan reprend sa liberté pour tâcher de séduire les nations. — 3° Avant tout, il faut se rappeler que ce texte est prophétique et qu’en général les prophéties attendent de l’événement leur meilleure explication, parfois même la seule qui soit possible. Aussi leur sens obvie n’est-il pas toujours celui qu’il faut préférer ; si ce sens, clair en apparence, n’est pas en harmonie avec d’autres propositions certaines de l’Écriture, c’est qu’il n’est pas le vrai. Voir Herméneutique, 4e règle, t. iii, col. 618. Il faut remarquer ensuite, dans le passage en question, des manières de parler qui ne sauraient être entendues à la lettre, la clef de l’abîme, la grande chaîne, la porte scellée pendant mille ans. Apoc, xx, 1-3. Mais surtout les fidèles qui doivent prendre part au règne de mille ans sont des décapités, des morts, favorisés d’une première résurrection et n’ayant pas à craindre une seconde mort. Apoc, xx, 4-€. Il est difficile d’admettre qu’ils règnentmille ans avec le Christ en corps et en âme, car saint Jean nïT^ le dit pas ; Jésus-Christ a déclaré au contraire qjftl ressusciterait ses enfants « au dernier jour », Joa., vi, 39, 44, c’est-à-dire immédiatement avant le jugement. Saint Jean qui a consigné cet enseignement dans son Évangile ne peut le contredire ici ; d’autre part, le règne de mille ans ne coïncide pas avec le dernier jour, puisque doit se produire ensuite, à l’instigation de Satan, une nouvelle insurrection des nations contre le Christ. Apoc, xx, 7-9. Ce sont donc seulement des âmes qui tègnent avec le Christ durant mille ans. Dès lors, comment ce règne peut-il être entendu d’un règne temporel ?

— Tout s’explique au contraire avec une harmonie suffisante si l’on interprète ce passage allégoriquement. Le démon est lié une première fois par la venue du Christ sur la terre, Joa., xii, 31, et par le pouvoir laissé à l’Église. Les mille ans désignent le temps qui doit s’écouler entre la venue du Christ et l’apparition de l’Antéchrist. Les âmes des martyrs et des saints sont celles qui, après une première mort, celle du corps, entrent dans la bienheureuse éternité, passage qui est appelé première résurrection. Il est à noter d’ailleurs que saint Jean ne place ni à Jérusalem ni sur la terre le règne de mille ans. La seconde mort est celle de la damnation qui frappera les impies. Enfin le dernier assaut de Satan et des nations contre le Christ sera le règne persécuteur mais éphémère de l’Antéchrist. « Concluons donc que tout ce qu’on dit de ce règne de mille ans, pris à la lettre, engage à des absurdités inexplicables ; que le Fils de l’homme ne viendra plus visiblement qu’une fois, lorsqu’il paraîtra en sa gloire sur une nuée, et que ceux qui l’auront percé le verront prêt à les juger ; que, lorsqu’il viendra en cette sorte, il ne sera pas mille ans à tenir ses saints sur la terre ; qu’il prononcera aussitôt son irrévocable jugement et ira régner éternellement dans le ciel. » Bossuet, Explic. de l’Apocalypse, part, ii, c xx, Réflexion sur l’opinion des millénaires, Bar-le-Duc, 1870, t. ii, p. 276. Cf. Hurter, Tkeolog. dogmat. compend., Insprûck, 1879, t. iii, p. 527-533. Est-ce bien ce second sens qu’il faut préférer au premier, au sens littéral conforme à l’idée juive ? C’est aux Pères à le dire, d’après une autre règle d’herméneutique. Voir t. iii, col. 625.

III. Le millénarisme et les Pères. — 1° Le millénarisme se présenta tout d’abord sous une forme assez grossière avec l’hérésiarque Cérinthe, qui, s’inspirant surtout des apocalypses juives, rêvait d’un règne du Christ à Jérusalem, durant lequel ses fidèles pourraient s’adonner à la fois à tous les plaisirs de la chair et aux fêtes liturgiques. Eusèbe, H. E, iii, 28 ; vii, 25, t. xx, col. 270, 694, qui parle de ce système d’après Caïus et Denys d’Alexandrie, rappelle l’observation de ce dernier rapportant que plusieurs croyaient l’Apocalypse composée par Cérinthe lui-même, sous le nom supposé de saint Jean, en faveur de son système. Voir Apocalypse, t. i, col. 742-743. II est plus que douteux que Cérinthe ait emprunté ses principales inspirations à l’œuvre de saint Jean, dans laquelle il apparaît trop clairement que « le royaume de Dieu n’est ni le manger ni le boire ». Rom., xiv, 17. Sa conception est bien plutôt juive. Duchesne, Les origines chrétiennes, Paris, 1878-1881, lithog., p. 53, 54, pense que Caïus, dont Denys d’Alexandrie ne fait que reproduire l’assertion, accuse Cérinthe de millénarisme plutôt par raisonnement que par tradition, sans que pourtant la théorie millénariste ait lieu d’étonner chez l’hérésiarque. Le millénarisme matérialiste et judaïque de Cérinthe fit horreur à l’Église. — 2° L’Épitre de Barnabe, vii, 13, pose en principe que Dieu exécute la fin des choses sur le modèle de leur commencement, et l’auteur en conclut que mille ans du règne glorieux succéderont à six mille ans de durée du monde, comme le septième jour aux six autres. Barn., xv, 4-8. — En Asie Mineure, l’évêque d’Hiérapolis, Papias, professait le millénarisme. À ce sujet, Eusèbe, H. E., m, 39, t. xx, col. 300, l’accuse de médiocrité intellectuelle et ajoute que, s’il a été suivi, c’est à cause de son ancienneté. Cf. S. Jérôme, De vir. illust., 18, t. xxiii, col. 637. Mais le vieil auteur ne faisait que refléter les idées qui avaient cours dans son milieu et qui, après lui, furent admises par des esprits qu’on ne peut taxer de faiblesse. — Saint Justin déclare qu’il croit avec beaucoup d’autres au règne de mille ans, bien que de pieux chrétiens pensent différemment. Il appuie son opinion sur Isaïe, lxv, 17-25, et sur le texte de l’Apocalypse. Il va jusqu’à dire que le millénarisme est une