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MESSIE


supposée, la pénitence d’Israël, faisait défaut. « Maudits ceux qui se livrent aux calculs sur le Messie ! Qu’arrivet-il en effet ? Il arrive que le Messie ne se presse nullement de justifier ces supputations imaginaires… Mais si Dieu attend, et si nous, nous attendons, qu’est-ce donc qui empêche le salut ? C’est l’inflexible justice, ce sont nos péchés. Qu’Israël fasse pénitence et il sera sauvé ; autrement, il ne le sera pas. i> Sanhédrin, 98, 99. Cf. II Pet., iii, 3-9. Plus tard, Maimonide et d’autres docteurs reconnurent que beaucoup des prophéties messianiques devaient être entendues en paraboles et en énigmes. Plusieurs avouèrent même que « toute l’œuvre du Messie est spirituelle et divine, mais non corporelle ». Cf. Eb. Hamel, Ex Hos., iii, 4, 5, dans le Thésaurus de Hase et Iken, Leyde, 1732, t. i, p. 1018. La grande erreur des contemporains de Notre-Seigneur fut que, ’pour la plupart, ils ne surent pas se placer à ce point de vue pour interpréter les anciennes prophéties. Cf. Lepin, Jésus Messie et Fils de Dieu, 2e édit., Paris, 1905, p. 1-54.

III. Réserve de Jésus vis-a-vts du titre de Messie.

— 1° Il ne pouvait convenir au Sauveur de prendre publiquement un titre dont la signification était si étrangement faussée. Se présenter au peuple comme le Messie, c’était prendre officiellement la charge des revendications nationales, assumer un rôle politique dont Rome devait immédiatement s’inquiéter, et surtout reléguer à l’arrière-plan ce qui constituait la mission principale du Sauveur, la rédemption par la souffrance et la fondation du vrai royaume spirituel, le « royaume des cieux ». En heurtant ainsi de front l’opinion générale de ses contemporains, Notre-Seigneur savait qu’il se les aliénerait presque tous. Mais il ne pouvait, d’aucune manière, favoriser des prétentions absolument chimériques, basées sur une interprétation grossière, étroite et trop intéressée des prophéties. L’opposition qu’il allait ainsi susciter contre lui procurerait l’accomplissement de sa mission rédemptrice et dégagerait le royaume spirituel des liens du particularisme et de l’exclusivisme qui enchaînaient le messianisme conçu par les Juifs. Il fallait donc s’attendre à ce que Notre-Seigneur, sans nier sa qualité de Messie, en déclinât pourtant le titre dans les occasions où les auditeurs n’étaient pas en mesure de l’entendre correctement.

2° Pendant que Jean prêche et baptise, des émissaires du sanhédrin viennent lui demander s’il est le Christ. Jean répond que non, parle de celui qui doit venir et bientôt après le montre, sans pourtant le désigner formellement comme Messie. Joa., i, 25-30. Cette réserve n’empêche pas André de conclure et de dire à son frère Simon : « Nous avons trouvé le Messie. » Joa., i, 41. Nathanaël, informé à son tour, s’étonne que le Messie » puisse venir de Nazareth ; mais bientôt il reconnaît en Jésus « le Fils de Dieu, le roi d’Israël ». Joa., i, 41-49. Notre-Seigneur laisse dire, parce qu’il va garder à ses côtés ces premiers disciples et saura leur imposer le silence quand il sera nécessaire. À la Samaritaine, il déclare ouvertement que lui-même est le Messie attendu. Joa., iv, 25, 26. Les Samaritains concluent de sa prédication qu’il est le « Sauveur du monde ». Joa., IV, 42. L’antipathie qui les anime contre les Juifs ne leur permet pas de croire que le Messie^puisse venir pour établir l’hégémonie politique de ces derniers. Notre-Seigneur déclare que le salut vient des Juifs, Joa., iv, 22 ; mais en se donnant comme le Messie, il sait qu’il ne court pas en Samarie les mêmes risques de fausse interprétation qu’en Galilée et en Judée. De fait, le titre que lui assignent les Samaritains est très correct, et, même pris dans un sens peu compréhensif, il indique an moins que les étrangers ne seront pas exclus d’un royaume dont les Juifs restreignent le bienfait à eux seuls.

3° Lorsque les envoyés de Jéan-Baptiste viennent lui demander s’il est « celui qui doit venir », c’est-à-dire le

Messie, Notre-Seigneur ne répond pas directement, mais équivalemment, en montrant qu’il fait les œuvres attribuées au Messie par le prophète. Matth., xi, 4, 5 ; Luc, vu, 21, 22. Encore a-t-il soin le plus souvent de prescrire le silence à ceux qui ont été l’objet ou les témoins d’un miracle qui pourrait révéler sa qualité de Messie. Cette défense est intimée au lépreux de Galilée, Matth., vin, 4 ; Marc, i, 44 ; Luc, v, 14 ; à Jaïre et aux siens, après la résurrection de la jeune fille, Marc, v, 43 ; Luc, VIII, 56 ; aux deux aveugles, Matth., IX, 30 ; aux témoins de la guérison du sourd-muet, Marc, vii, 36 ; à l’aveugle de Bethsaïde. Marc, viii, 26. Il ne veut pas que les démons, qui prétendent le connaître, disent qui il est. Marc, I, 34 ; Luc, iv, 41 ; Marc, iii, 12. En voyant tant de miracles, les Galiléens se demandaient en effet : « N’est-ce pas lui le fils de David ? » c’est-à-dire le Messie, Matth., XII, 23, et il ne fallait pas qu’ils arrivassent trop vite à une conclusion affirmative, étant donnée la signification politique qu’ils attachaient à ce titre. Au contraire, au démoniaque de Gérasa, qui veut le suivre après sa délivrance, Notre-Seigneur ordonne de s’en retourner chez lui et de publier le miracle dont il a été favorisé. Luc, viii, 39. Le danger d’un messianisme politique n’existe pas en effet dans cette région païenne. En Judée et à Jérusalem, Notre-Seigneur ne porte pas de semblable défense à ceux qui sont les objets de sa bonté. Il accomplit des miracles parmi les Juifs précisément pour attirer leur attention. Mais, quel que soit l’éclat de ces miracles, guérisons du paralytique et de l’aveugle-né, résurrection de Lazare, il n’est pas à craindre que les Juifs acceptent comme Messie un homme qui répond si mal à leur idéal politique. À son entrée triomphale à Jérusalem, non seulement il laisse librement retentir autour de lui des acclamations d’un caractère nettement messianique, mais il oppose une fin de nonrecevoir aux pharisiens, qui lui demandent de les faire cesser.- Matth., xxvi, 9 ; Marc, xi, 9, 10 ; Luc, xix, 3840 ; Joa., xii, 13. C’est qu’alors le moment est venu pour lui de révéler tout ce qu’il est, malgré les conséquences qui vont résulter pour lui de cette révélation.

4° Interrogé par Jésus, Pierre lui déclare qu’il reconnaît en lui le Christ, le Messie. Matth., xvi, 16 ; Marc, viii, 29 ; Luc, ix, 20. Le Sauveur défend aux apôtres de publier ce qu’ils savent à ce sujet, et aussitôt, pour corriger les idées fausses que peut faire naître dans leur esprit ce titre de Messie, il leur annonce sa passion. Matth., xvi, 20, 21 ; Marc, viii, 30, 31 ; Luc, ix, 21, 22. De fait, cette annonce leur semble si parfaitement contradictoire avec la revendication que Jésus vient de faire du titre de Messie, que Pierre manifeste un violent étonne^ ment et se fait sévèrement rappeler à l’ordre. L’idée formulée par Pierre était à peu près générale parmi les Juifs. Saint Jean, xii, 37, 38, note qu’ils ne croyaient pas à « Quiacruà notre parole ? » c’est-à-dire à la prophétie de la passion qui commence par ces mots. Is., lui, 1. Un Messie souffrant leur paraissait contradictoire et inconcevable. Voir Jésus-Christ, t. iii, col, 1438, 3. C’était pour eux un scandale. I Cor., i, 23. Après la transfiguration, le Sauveur, qui s’apprête à revenir en Galilée, prescrit aux trois témoins du miracle de garder le silence, et, presque aussitôt après, il réitère l’annonce de sa passion. Matth., xvii, 9, 21 ; Marc, ix, 8-9, 30 ; Luc, ix, 36, 44. Pour les apôtres eux-mêmes, il y avait une contradiction irréductible entre ces deux termes, Jésus Messie et Jésus souffrant.

5° Il est donc incontestable que le Sauveur, pendant l’exercice de son ministère apostolique en Galilée, imposa aux témoins de ses miracles une véritable discipline du secret, à laquelle d’ailleurs on ne se soumettait pas toujours. Marc, i, 45 ; Matth., ix, 26 ; cf. Marc ; , v ; 43 ; Matth., IX, 31 ; Marc, vii, 36. Cette discipline n’était pas commandée par une raison d’humilité, car Notre-Seigneur ne l’impose qu’en Galilée, et même’, en una