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MESSIE


beaucoup moins sentir au commun des âmes. Les Israélites s'étaient habitués en conséquence à concevoir et à attendre un Messie qui les débarrassât de ce dont ils souffraient le plus, la sujétion à l'étranger.

2° À l'époque de Notre-Seigneur, les anciennes prophéties recevaient généralement des docteurs une interprétation conforme à cette idée. Le Messie devait être un roi temporel, un dominateur terrestre que Dieu susciterait) auquel il prêterait sa puissance et qu’il revêtirait de sainteté. C’est ce qu’enseignent les Psaumes de Salomon, xvii, 23-46, qui datent de l'époque de Pompée, le quatrième livre d’Esdras, le livre d’Hénoch, et les autres apocryphes de l'époque. À la venue du Messie, les puissances adverses doivent s'élever contre lui. Orac. Sibyll., , iii, 663 ; IV Esd., xiii, 33-36 ; Henoch, xc, 16. L’antéchrist, I Joa., ii, 18, 22 ; iv, 3 ; II Joa., 7, appelé plus tard parles rabbins Armilus, c’est-à-dire Romulus ; cf. Bousset, Der Antichrist in der Ueberlieferung des Judentums, 1895, et le compte rendu de cet ouvrage par Eaufmann, dans Der Monatsschr. fur Gesch. und Wissensch. des Judenthums, t. XL, 1896, p. 134, était comme la personnification de toutes ces puissances ennemies. Daniel, xi, 1-45, pouvait servir de base à cette donnée. On trouvait dans Joël, iii, l’annonce du châtiment qui devait anéantir tous ces ennemis d’Israël. Bien de plus formel que cette conviction dans les apocryphes, et rien de plus populaire que cette assurance. Cf. Assumpt. Mosis, x ; Henoch, xc, 18-37 ; Psal. Salom., xvil, 27, 39 ; Apoc. Baruch, xxxix, 7-xl, 2 ; lxx, 9 ; lxxii, 2-6, etc. L’extermination doit se faire par les armes, ou par un jugement solennel, IV Esd., xm, 28, 38 ; Apoc. Baruch., XL, 1, 2 ; xlvi, 4-6 ; lii, 4-9 ; lv, 4 ; lxi, 8, 9 ; lxii, 4-9, et un ange doit intervenir pour exercer cette vengeance divine. Apoc Baruch., lxii, 10, 11. On lit dans les Targums de Jonathan sur Is., x, 27, du pseudo-Jonathan et de Jéruschalmi sur Gen., xlix, 11 : « Les peuples seront broyés par le roi Messie… Qu’il est beau le roi Messie qui doit surgir de la maison de Juda ! Il ceint ses reins, s’avance dans la plaine, engage le combat contre ses ennemis et met â mort les rois. » La conséquence de cette lutte victorieuse, c'était l'établissement à Jérusalem d’un grand royaume établi par Dieu même et qui devait dominer le monde entier. On appelait ce royaume « le grand royaume du roi immortel ». Orac. Sibyll., iii, 47, 48 ; cf. Psal. Salom., xvil, 4 ; Assumpt. Mosis, x, 1, 3. Le Messie était destiné à tenir en main « le sceptre de toute la terre », Orac. Sibyll., iii, 49, et Israël devait avoir le bonheur de « monter sur le cou et sur les ailes de l’aigle », Asçumpt. Mosis., x, 8, allusion probable à une victoire définitive sur les Romains. Saint Jérôme, In Joël, iii, 8, t. xxv, col. 982, rappelle ces idées encore en faveur parmi les Israélites de son époque : « Les Juifs se promettent ou plutôt rêvent qu’au dernier temps il seront rassemblés par le Seigneur et ramenés à Jérusalem ; et, non contents de ce bonheur, ils affirment que Dieu même livrera en leurs mains les fils et les filles des Romains, pour que les Juifs les vendent, non aux Perses, aux Éthiopiens et aux autres nations voisines, mais à un peuple éloigné, les Sabéens. » Voir JÉsusCbbist, t. iii, col. 1435-1439 ; Schûrer, Geschichte des jûd. Tolkes, t. ii, p. 530-540 ; de Broglie, Les prophéties messianiques, Paris, 1904, t. i, p. 23-41.

3° Le Messie qui devait accomplir ces hauts faits viendrait de Dieu ; mais on ignorait de quelle manière il apparaîtrait. Joa., vii, 27. On croyait à une apparition soudaine, et il est possible que Satan ait exploité cette croyance dans une de ses tentations, quand il proposa au Sauveur de se jeter du haut du Temple et de se laisser porter par les mains des anges. Matth., iv, 5, 6 ; Luc, iv, 9-11. On comprenait aussi que le Messie ferait reconnaître la divinité de sa mission par des miracles extraordinaires. Après la multiplication dés pains, les Juifs comparent Jé sus àMoïse, mais attendent de lui quelque chose de plus, fort que ce miracle. Joa., vi, 30. D’autres réclament un signe dans le ciel. Matth., xvi, 1 ; Marc, viii, 11 ; Luc., , xi, 16. On n’excluait pas cependant des miracles plus humbles. On lit dans la Mischna, Sanhédrin, 98 : « Quand le Messie doit-il venir ? - Demande-le-lui à lui-même. — Mais où le trouver ? — Tu le trouveras à la porte de la ville, au milieu des pauvres et des malades/ » Cf. Matth., xi, 4, 5 ; Luc, vii, 22 ; Joa., vii, 31.

4° Cette conception d’un Messie temporel, puissant, libérateur politique de son peuple et vainqueur des nations, apparaît continuellement dans l'Évangile. Hérode redoute un Messie de cette nature quand il se dispose à faire périr l’Enfant Jésus. Matth., ii, 13. À la suite de la multiplication des pains au désert, les Galiléens croient avoir trouvé en Jésus le Messie temporel qu’ils attendent et ils songent à-s’emparer de lui pour le faire roi, Joa., vi, 15, c’est-à-dire pour l’obliger à prendre le rôle politique conforme à leurs désirs. A Jérusalem, les Juifs s’indignent de la prétention de Jésus à être le Fils de Dieu, c’est-à-dire le Messie, lui qui leur semble si méprisable et en qui ils ne voient aucune aptitude à réaliser les aspirations nationales. Les pharisiens le rejettent parce qu’il n’est pas assez Messie, c’est-à-dire chef politique disposé à soulever la nation contre les Romains ; les sadducéens le repoussent parce qu’il est trop Messie, c’est-à-dire promoteur d’un nouvel ordre de choses menaçant pour les situations acquises. Les uns et les autres s’entendent pour le trouver dangereux au point de vue politique. Joa., xi, 48. Le peuple cependant, surtout celui qui est étranger à Jérusalem, ne comprend rien à leurs calculs et ne partage pas leur antipathie ; il serait disposé à voir en Jésus le Messie et à prendre parti pour lui. Matth., xxi, 9 ; Marc, xi, 9-10 ; Luc, xix, 38. « Bénie la royauté de notre père David, qui arrive. » Marc, xi, 10. Néanmoins, devant Pilate, ses ennemis l’accusent de tendances politiques, très conformes à l’idée qu’ils se faisaient du messianisme : il est roi des Juifs, Joa., xviii, 33 ; il met tout le peuple du pays en révolution, Luc, xxiii, 5 ; il est le Christ, le Messie, Matth., xxvii, 22 ; en se faisant roi, il se met en révolte contre César, Joa., xix, 12, et les Juifs ne veulent avoir d’autre roi que César, Joa., xix, 15 ; affirmation suggérée à une foule haineuse par les meneurs du sanhédrin, mais radicalement opposée au vœu de la nation, comme le montreront les soulève^ ments qui vont aboutir à la guerre de Judée et à la ruine de Jérusalem. Ainsi les Juifs attendent un Messie temporel, qui réalise leurs idées d’indépendance et de domination. Rome le sait, et, en conséquence, gouverne d’une main ferme et parfois brutale la remuante nation. En Jésus se trouvent les caractères de Messie humble, souffrant et spirituel, auxquels la plupart des Juifs ne veulent prêter aucune attention ; par contre, les caractères de Messie temporel et dominateur, rêvés par les Juifs, lui font défaut, au moins au sens que ceux-ci entendent. Leur déception aboutit à cette solution singulière : comme Jésus n’est pas, vis-à-vis des Romains, ce qu’ils voudraient qu’il fut, ils le rejettent ; mais c’est précisément en l’accusant d'être ce qu’il n’a jamais voulu être, malgré leurs désirs, qu’ils le font con* damner par Pilate. Celui-ci, d’ailleurs, n’est pas dupe de leurs affirmations.

5° Lorsque par la suite les événements eurent déjoué toutes les prévisions d’Israël sur la venue du Messie, les docteurs expliquèrent le retard de son apparition par les péchés du peuple. Le Messie ne pouvait arriver que quand on ferait pénitence. « Si seulement tout Israël faisait pénitence en commun l’espace d’un jour, la délivrance par le Messie s’ensuivrait. Si Israël observait seulement deux sabbats de la manière qui convient, il serait immédiatement délivré. » Sanhédrin, 97 a ; Aboda sara, 9 a. On finit par renoncer à toute attente, parce que la condition,