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dans la profonde dépression du Ghôr : les eaux prennent alors leur pente naturelle et descendent soit vers la Méditerranée, soit vers la mer Morte. C’est ainsi que les rois virent à l’aurore les eaux descendre par le chemin d’Édom, et comme on pent le conjecturer avec certitude d’après l’ancienne version grecque, du désert de Chour, c’est-à-dire des plateaux du Tih. Si l’orage s’était déchaîné vers la montée d"Aqrabbim, les eaux devaient s’écouler naturellement par l’ouadi Fiqrê qui est bien le chemin d’Édom. Mais elles ne pouvaient aller bien loin dans le sable brûlant, il importait de les recueillir et c’est pourquoi le prophète avait donné le conseil de creuser non des puits, mais des fosses. Tous les détails portent et concordent avec la situation ; c’est le phénomène du seil, bien connu des Bédouins de l’a péninsule sinaïtique.

Les Moabites-ne pouvaient soupçonner le changement opéré dans la situation. Ceux qui ont visité les rives méridionales de la mer Morte savent quelles étranges couleurs changent parfois l’aspect des objets. Nous avons vu la mer Morte vraiment rouge le soir du 1 er novembre 1897 ; assurément on ne l’eût pas crue changée en sang ; mais, de loin, les Moabites, sachant de science certaine qu’il n’y avait pas d’eau au campement d’Israël, ont pu prendre telle flaque d’eau rougie par l’aurore pour du sang répandu. Ils quittèrent leur position défensive, s’engagèrent eux-mêmes dans un sol, tantôt mouvant, tantôt, rugueux, et furent battus. La contrée était ouverte, les Israélites mirent tout à feu et à sang, détruisant les villes, coupant les arbres, bouchant les sources, pendant que Mésa avec une élite se réfugiait dans sa capitale. Le roi de Moab a passé tout cela sous silence, il fallait s’y attendre. Cependant à quoi fait-il allusion quand il nous dit : C’est moi qui ai bâti Beth-Bamoth, car elle était détruite — c’est le propre terme de la Bible ; — c’est moi qui ai bâti Beser, car elle était en ruines ? À s’en tenir à son premier bulletin de victoire, on ne s’explique pas l’urgence de tant de réparations. Nous voyons même un indice moins facile à relever, mais [peut-être encore plus significatif, dans les constructions qu’il fit à Qorkha. Cette ville était sa capitale, puisqu’il y avait son palais royal. Or, il est évident que tout ce qu’il y construit, sauf précisément ce palais, a pour but de mettre la ville en état de défense. Fut-ce.ayant ou après le siège qu’il y subit, c’est ce qu’il ne dit point ; il se peut que les travaux, commencés à la hâte, furen t terminés à loisir, mais en tout cas une comparaison s’impose entre les travaux entrepris à Qorkha et les mesures prises par Ëzéchias pour.défendre Jérusalem contre Sennachérib. Ézéchias bouçh&la source, qui coulait en dehors de la ville et l’introduit dans la cité ; il répare les murs avec leurs tours, fait un mur extérieur, met ; en ordre l’arsenal. II.Par., xxxii : , 2, 5, 30. Quand on était Jnquiet à Jérusalem, on ^réparait le mur d’Ophel, II Par., xxvii, 3 : lors de ;  ; la..grande alerte décrite par Isaïe, tous les regards settomnaient.vers l’arsenal, bêt-ya’âr, ’e$. ces deux noms ressemblent ; étrangement à ceux des murs bâtis par Mésa ; , S’il-fournit la ville d’eau, il est bien probable qu’il ne : se préoccupe pas à la romaine.de procurer les eaux en : abondance-pour le luxe des bains.-A y regarder de près’, c’*st encore un ? njesure. défensive, analogue à celle d’Ézéchias, Les seules villes : d’Orient qui n’ont pas de citernes Sont celles quiont.l’eau à portée, comme c’est le cas du Kérak ; mais en dehors delà ville. En cas de siège, on se trouvait au dépourvu. Mésa lait une double piscine pour le public, puis commande à chacun de se creuser une citerne dans sa maison. L’expédition des rois eut lieu à la saison des pluies, comme le prouve l’orage dont nous avons vu les effets ; l’ordre était donc très pratique, et aussi la construction des fossés à laquelle on fit travailler les prisonniers faits naguère sur Israël.

Si Ton doutait qu’on puisse parler avec autant de sérénité que Mésa d’une aussi chaude alerte, il suffirait pour s’en convaincre de relire dans II Par., xxxii, le récit de la campagne de Sennachérib contre Ézéchias. On voit bien que le roi d’Assyrie avait eu l’intention de s’emparer des villes de Juda, II Par., xxxii, I, et de Jérusalem, mais il en fut pour sa courte honte, et dès lors le récit se termine comme l’inscription de Mésa : « Et Ézéchias se fit des villes et de nombreux troupeaux. » II Par., xxxii, 29. Des villes prises, du tribut payé, des territoires arrachés à Juda, il n’est pas fait la moindre mention. De son côté, l’historien biblique ne dissimule pas le triomphe final de Mésa, mais ici c’est à son tour à glisser légèrement. Soit qu’iL ait été pris au dépourvu dans ses préparatifs de défense, soit qu’il manquât de vivres, Mésa reconnut bientôt que la résistance était impossible. Avec sept cents hommes, cette élite dont il a parlé, il essaya de se frayer un passage jusqu’au roi d’Aram. Le texte dit Édom, mais le roi d’Édom n’eût pu que le livrer à ses alliés. Aram pour Édom n’est pas même un changement dans l’ancienne écriture. Ce fut en vain. Alors il eut recours à. cette suprême ressource des Carthaginois en péril, le meurtre d’un enfant, et pour être plus agréable à son dieu qui ne peut être que Chamos, il choisit pour victime son propre fils, l’héritier de sa couronne. Il l’immola en holocauste, sur le mur, sans doute pour que le sang versé en l’honneur du dieu le rendît inviolable. De cela non plus il ne s’est pas" vanté, .mais ; dans son cri de triomphe et d’action de grâces au Chamos de Qorkha, n’a-t-on pas comme un écho de ce drame ? C’est à Qorkha que Chamos l’avait sauvé, il veut lui élever un sanctuaire à Dibon, dans sa patrie, pour lui témoigner sa reconnaissance, « parce qu’il l’a sauvé de toutes ses chutes et l’a fait triompher de tous ses ennemis. »

Que se passa-t-il alors ? Cela est demeuré un secret impénétrable. Les Israélites abandonnèrent le siège et rentrèrent chacun chez soi. On a supposé que Mésa avait acheté leur retraite et fait sa soumission ; cette hypothèse ne concorde ni avec ses accents qui paraissent sincères, ni avec le texte sacré. Dans les opinions religieuses d’Israël et de tous les Sémites, un échec final aussi lamentable (le prophète n’avait rien prédit de l’issue définitive de la campagne) né pouvait être attribué qu’à la colère divine ; c’est aussi ce que le texte dit.

Quel fut l’événement interprété comme un châtiment de Jéhovah ? Encore une fois le point demeure obscur. Peut-être les Moabites combattirent-ils dès lors avec l’énergie du désespoir ; peut-être les Israélites redouteront-ils l’efficacité de l’horrible sacrifice ; élevés depuis le règne d’Achab dans des idées â moitié païennes, ils ont pu craindre, non point que Chamos se mît en colère contre eux, mais que Jéhovah, auquel ils ne pouvaient offrir de victimes humaines, se trouvât dans cet état d’infériorité que les anciens coloraient publiquement en disant que leur dieu était en colère. Si on admet que le roi de Juda était Ochozias, le plus simple est de supposer que dès. lors les Syriens étaient en campagne. Les deux rois, Joram et Ochozias, furent : vairiciis dans la première année du règne d’Ochôzias à Ramoth.Gàlaad et peu après tous deux périssaient de la main de Jéhu. Le triomphe de Mésa était complet et il a pn croire, au moment où sombrait la dynastie d’Amri et où Jéhu reconnaissait ; la suzeraineté du. roi d’Assyrie, qu’Israël était perdu, perdu, pour toujours. Israël possédait un germe de vie et de résurrection que Mésa ne pouvait sonpçonner. " - —.. -,

Bibliographie. — Clermont-Ganneau, La stèle de Mésa, roi de Moab, Paris, 1870 (la première publication sur ce sujet) ; Smend et Socin, Die Inschrift des Kônigs Mesa von Moab, Fribourg-en-Brisgau, 1886 ; Clermont-Ganneau, La stèle de Mésa, dans le Journal asiatique^, 1887, t. ix, p. 72 ; Socin et Holzinger, Zur Mesainschrift,