MATTHIEU (ÉVANGILE DE SAINT)
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2o Critères internes. — Sans parler des tendances ébionites et judaïsantes, que Baur avait cru remarquer dans le premier Évangile et qui lui faisaient retarder la composition de cet écrit jusqu’aux années 130-134, sous le règne d’Adrien, Jùlicher, Einleitung in das N. T., 3e et 4e édit., Tubingue et Leipzig, 1901, p. 241-243, fixe la date du premier Évangile aux environs de l’an 100. Dans la parabole des noces royales, la vengeance du roi qui envoie son armée pour tuer les invités qui avaient exterminé ses serviteurs et pour brûler leur ville, xxii, 7, suppose réalisée la ruine de Jérusalem par les Romains et nous reporte à une date postérieure à 70. Le retard du maître et de l'époux, xxiv, 48 ; xxv, 5, suppose aussi une longue attente de la parousie, et l’expression : « jusqu’aujourd’hui, » xxvii, 8 ; xxviii, 15, un intervalle considérable écoulé entre le récit et les faits racontés. L'évangélisation du monde païen, xxviii, 18-20 ; cf. x, 23 ; l’annonce des persécutions des apôtres de la part des puissances terrestres, x, 17-19 ; le souci de ne donner aux Romains aucune occasion de scandale, xvii, 26 ; le rôle prêté à Pilate et à sa femme durant la passion, xxvii, 11-24, 58, nous reportent au règne de Domitien, durant lequel la communauté chrétienne avait intérêt à montrer son impartialité politique. D’autre part, la prédication apostolique par le monde entier et la formule trinitaire du baptême, xxviii, 19, ne conviennent guère au Ier siècle. Enfin la tendance de saint Matthieu est franchement catholique ; l'Église, pour 1 ui, est une société fortement organisée, xvi, 18, 19 ; xviii, 15-18, qui dispense les biens célestes et qui exige la.pratique des œuvres en vue de la récompense, xxv, 31-46. Le catholicisme ainsi constitué nous éloigne de la tradition primitive et nous reporte à une époque déjà tardive. On voit aisément le caractère tendancieux de ces arguments, qui placent dans la réalité de l’histoire ce que l'évangéliste raconte comme prédiction de Jésus et conditions futures de l'Église fondée par Jésus-Christ. Une telle manière de raisonner est aussi défectueuse que celle de Baur et de l'école de Tubingue. — D’autres critiques, avec B. Weiss et A. Harnack, fixent la date de l'Évangile de saint Matthieu aux années 70-75, qui suivent immédiatement la ruine de Jérusalem. Ils s’appuient sur la parabole des noces déjà citée et disent que le passage, xxii, 7, manifeste l’incendie de Jérusalem comme un fait accompli. Ils s’appuient surtout sur la proximité maintenue entre cette catastrophe et la seconde venue de Jésus. La transition : eùûlwi ; 8è |i£-rà tyjv GXt^iv t<5v rinspâv èxetvuv avec la description des signes précurseurs de la parousie, xxiv, 29, rattache le récit à l'époque qui suit immédiatement la catastrophe, alors qu’on n’avait pas encore eu le temps de se convaincre que les deux faits n’auraient pas lieu consécutivement. Mais précisément cette circonstance produit chez d’autres critiques l’impression que ce récit a été rédigé avant la destruction de Jérusalem. Un écrivain postérieur aurait, selon eux, plus expressément marqué l’intervalle qui devait exister entre les deux événements. Quelle que soit d’ailleurs l’interprétation qu’on en donne, les deux passages invoqués ne suffisent pas à prouver la composition du premier Évangile après l’an 70. — Tous les critiques modérés pensent que saint Matthieu a écrit avant 70. Ils apprécient différemment les témoignages patristiquçs et les critères internes et ils s'écartent les uns des^ autres dans la fixation d’une 'date, approximative. Ms r Batiffol, Six leçons sur les Évangiles, 2e édit., Paris, 1897, p. 51, se rallie à saint Irénée et place la composition du premier Évangile dans la période 65-70. Zahn, Einleitung in das N. T., 2= édit., Leipzig, 1900, t. ii, p. 163, suit la même voie et indique les années 61-66. Godet, Introduction au N. T., Paris et Neuchâtel, 1898, t. ii, p. 245249, aboutit à la conclusion que le premier Évangile date de 60 à 66. A. Schsefer, Einleitung in dos N. T., PaderLorn, 1898, p. 199, s’arrête aux années 50 où 51. Le P. Cornely, Introductio specialis in singulos N. T. libros
Paris, 1886, p. 76-80, accorde un plus grand intervalle, entre 40 et 50. J. Belser, Einleitung in das N. T., Fribourg-en-Brisgau, 1901, p. 30-32, se rallie catégoriquement à l’ancienne opinion et adopte la date de 41-42. Voir t. H, col. 2062.
V. Lieu de la composition. — Tous les Pères qui ont parlé de la composition du premier Évangile par saint Matthieu, de la date et du but de sa composition, ont affirmé que saint Matthieu l’avait rédigé en hébreu pour les Hébreux et avant de quitter la Palestine pour aller évangéliser d’autres contrées. Il en résulte donc que le premier Évangile a été rédigé en Palestine. La plupart das critiques modernes acceptent les données de la tradition et pensent que c’est à Jérusalem même que l’apôtre a écrit. Quelques critiques ont voulu conclure des mots irépav toû 'IopSàvou, xix, 1, que l’auteur plaçait la Judée de l’autre côté du Jourdain et que par conséquent l'Évangile de saint Matthieu avait été rédigé sur la rive orientale de ce fleuve, à l'époque où les chrétiens avaient déjà quitté Jérusalem et s'étaient réfugiés à Pella, c’està-dire vers 66. Mais cette conclusion est peu vraisemblable. En effet, le point de départ du voyage de Jésus est la Galilée et son terme les confins de la Judée en passant au delà du Jourdain. On conçoit difficilement qu’un Juif, écrivant à l’est du Jourdain, ait désigné de cette façon la Judée elle-même, qui se trouvait pour lui à l’ouest du fleuve, puisque c'était le langage reçu chez ses compatriotes de désigner par cette expression la rive orientale du Jourdain. Saint Matthieu a donc employé le langage ordinaire et dit, comme on l’entend généralement, que Jésus était allé de la Galilée en Pérée. Pour interpréter autrement son récit, il faudrait prendre népav toû 'IopSàvou comme une apposition à ec ;-rà Bpta TYjc 'IouSaiaç. Cf. Zahn, Einleitung in das iV._ T., t. ii, p. 297, 308. Msr Batiffol, Six leçons sur les Évangiles, p. 49-50, admettant que Matthieu, « juif de race, helléniste de culture et d esprit, a écrit son Évangile pour des chrétiens d’un pareil esprit, » et remarquant dans cet Évangile des paroles sévères contre les scribes, conclut : « Aussi n’est-ce point à Jérusalem que nous imaginerions que l'Évangile selon saint Matthieu a été rédigé, et volontiers penserions-nous qu’il a pu être rédigé en Syrie, par exemple à Antioche. » La détermination du but et des destinataires du premier Évangile que nous allons faire, d’après la tradition, nous montrera s’il y a des motifs suffisants de ne pas tenir compte de cette tradition au sujet du lieu de la rédaction du récit et d’imaginer quelque hypothèse contraire.
VI.IDestinataires. —1o Données patristiques. — Aussi haut que nous puissions remonter dans la tradition ecclésiastique, nous constatons que l'Évangile de saint Matthieu est présenté comme destiné aux Juifs. Saint Irénée, qui, le premier des Pères, parle du but et de la destination de cet écrit, affirme catégoriquement : Tb xotTCt Mat8aîov syayyÉ/.tov itpôç 'louSxiovq éfpâfri, Fragm., xxix, t. vii, col. 1244. Les paroles qui suivent sont, il est vrai, interprétées par quelques critiques dans un sens apologétique ; selon l'évêque de Lyon, diton, saint Matthieu se proposait de prouver aux Juifs non encore chrétiens que Jésus était le Messie, fils de David, qu’ils attendaient. Voir plus loin. Mais on peut penser que par ce nom de « Juifs » aussi bien que par celui d' « Hébreux », Cont. hier., iii, 1, ibid., ool. 814, saint Irénée désignait les judéo-chrétiens de Palestine, comme l’ont fait les autres écrivains ecclésiastiques. Origène, en effet, ne laisse là-dessus place à aucun doute. Il a appris par la tradition que saint Matthieu a destiné son Évangile toï ; àizo 'IouSaVojjiou m<mvoa.aiv, Eusèbe, H. E., vi, 25, t. xx, col. 581 ; In Matth., tom. i, t. xill, col. 829 ; toï ; 'ESpafoi ; … toïç ex irepiTO|iîi ; matcûo-uitiv. In Joa., tom. VI, 17, t. xiv, col. 256 ; cf. ibid., præf., 6, col. 29. Eusèbe, H. E., iii, 24, t. xx, col. 265, présente comme résultat de ses recherches et comme