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MATTHIEU (ÉVANGILE DE SAINT)


hébreu et qu’on était obligé d’interpréter souvent en grec comme on pouvait, parce qu’on n’en avait pas encore fait une traduction grecque. C’est inutilement que plusieurs critiques ont tenté de diminuer l’autorité du témoignage de Papias. Ils ont remarqué qu’au rapport d’Eusèbe, H. E., iii, 39, t. xx, col. 300, l’évêque d’Hiérapolis. était un petit esprit, cçôSpa toi ajiucpô ; <Sv tôv voCv, et ils ont gratuitement supposé qu’un Ébionite lui aura présenté comme l’œuvre de saint Matthieu l’Évangile apocryphe des Hébreux. Mais si Eusèbe appelle Papias un « petit esprit », c’est uniquement au sujet du millénarisme dont il était imbu. En dehors de cette circonstance, Eusèbe rapporte avec confiance les paroles et les renseignements de Papias, qu’il regarde comme dérivant des traditions primitives. Par conséquent le témoignage du vieil évêque sur l’original hébreu de saint Matthieu a autant de valeur que les autres qu’Eusèbe nous a conservés sur l’Évangile de saint Marc et sur l’apôtre Jean. C’était une tradition qui s’était répandue dans les Églises d’Asie, à l’époque où vivaient encore les disciples immédiats de Jésus et les premiers chrétiens de langue hébraïque. Longtemps même l’Évangile de saint Matthieu y avait été conservé dans sa teneur originale, et chacun le traduisait en grec de son mieux. D’ailleurs, il n’existait alors aucun autre livre hébreu, dont la tradition ecclésiastique ait parlé et qui ait été traduit en grec. Le recueil de discours de Jésus, que les critiques modernes découvrent dans les lôiia. de Papias, n’a jamais existé. Sa supposition n’est qu’un moyen récemment inventé pour résoudre la question synoptique. Voir t. ii, col. 2097. Mais l’ancien état de choses que signale Papias avait cessé lorsqu’il écrivait. Nous l’avons déjà dit, sa manière de s’exprimer permet de conclure qu’une traduction grecque de l’Évangile hébreu de saint Matthieu existait de son temps dans les Églises d’Asie. Chacun savait alors qu’elle représentait l’écrit original de l’apôtre. Cf. Zahn, Èinleitung in da$ N. T., 2e édit., Leipzig, 1900, t. ii, p. 259-260.

Du reste, Papias n’est que le premier chaînon d’une longue tradition patristique. Les partisans modernes de l’originalité du texte grec de saint Matthieu ont prétendu, il est vrai, que les Pères de l’Église avaient répété simplement le renseignement fourni par Papias. Leur témoignage n’ayant pas de valeur propre et indépendante, la tradition ecclésiastique de la rédaction du premier Évangile en hébreu n’avait que l’appui fragile de la parole de l’évêque d’Hiérapolis. De tous les Pères qui parlent de l’original hébreu de saint Matthieu, saint Irénée et Eusèbe de Césarée ont seuls connu l’ouvrage de Papias. On n’en trouve aucune trace dans les écrits d’Origène, et cependant cet écrivain, admet, aussi bien qu’Irénée avant lui et qu’Eusèbe après lui, que l’Évangile de saint Matthieu a été primitivement rédigé en hébreu. D’ailleurs, l’Église d’Alexandrie connaissait ce fait par une autre voie que par l’ouvrage de Papias. On racontait, « n effet, que saint Pantène, prêtre et catéchiste de cette Église, était allé avant 180 dans l’Inde, c’est-à-dire vraisemblablement dans l’Arabie Heureuse qui était alors couramment nommée l’Inde, et qu’il y avait trouvé un Évangile écrit dans l’idiome et en caractères hébraïques ; les chrétiens du pays le regardaient comme l’Évangile de saint Matthieu et comme un exemplaire écrit de la main même de saint Barthélémy, leur apôtre. Eusèbe, H. E., v, 10, t. xx, col. 456 ; S. Jérôme, De viris, 36, t. xxiii, col. 651. Quel que soit le fondement de cette donnée, il est clair qu’elle est indépendante du témoignage de Papias. Pantène l’ayant apprise la rapporta à Alexandrie. Voir t.i, col. 1471-1472.

Quant à l’Évangile des Hébreux, c’est par pure hypothèse qu’on a prétendu qu’il aurait donné occasion à la tradition patristique d’un original hébreu de saint Matthieu. Montré par quelque judéo-chrétien de Syrie ou -de Palestine à Papias, il aurait été involontairement con fondu par lui avec l’Évangile de saint Matthieu, et Papias aurait par son erreur inconsciente été le point de départ d’une fausse tradition. Cette hypothèse sans fondement est peu vraisemblable. On ignore quels rapports l’Évangile des Hébreux avait avec celui de saint Matthieu. Clément d’Alexandrie, Origène et Eusèbe, qui l’ont connu, ne signalent pas qu’il était apparenté avec saint Matthieu. Saint Jérôme et saint Épiphane ont cru, il est vrai, que c’était l’Évangile hébreu de cet apôtre. Les critiques sont à son sujet dans le plus complet désaccord. Voir t. iii, col. 552-553. Cf. P. Batiffol, Six leçons sur les Évangiles, 2e édit., Paris, 1897, p. 34-38 ; dom L. Sanders, Études sur saint Jérôme, Bruxelles, Paris, 1903, p. 284295. Il est aujourd’hui difficile de décider s’il n’était qu’une édition, altérée par les Ébionites, de l’Évangile hébreu de saint Matthieu. On peut légitimement penser que l’opinion de sa parenté avec cet Évangile s’est fondée sur l’ancienne tradition que saint Matthieu avait composé son récit évangélique en hébreu pour les Hébreux. Comme les ébionites étaient des judéo-chrétiens de la Palestine, on en a conclu qu’ils avaient dû garder, mais en l’altérant, l’Évangile rédigé primitivement pour leurs ancêtres.^

2° L’Évangile primitif de saint Matthieu était-il hébreu ou araméen" ? — P. Schegg, Evangelium nach Matthâus, Munich, 1856, t. i, p. 13-15, a soutenu qu’un Évangile qui a été écrit en Judée et pour les Juifs et dont le fond est en rapports si étroits avec l’Ancien Testament n’avait pu être rédigé que dans la langue de l’Ancien Testament, par conséquent en hébreu, mais dans un hébreu présentant déjà les formes spéciales de la langue de la Mischna. Franz Delitzsch, qui d’abord admettait que saint Matthieu avait écrit en araméen, Neue Untersuchungen uber Entstehung und Anlage der hanon. Evang., 1853, t. i, p. 7, 45, 49, 50, a prétendu plus tard qu’il s’était servi de la langue hébraïque. The Hebrew N. T., Leipzig, 1883, p. 30. A. Resch, Aussercanonische Paralleltexte zu den Evangelien, dans Texte und Untersuch., Leipzig, 1893, t. x, fasc. i, p. 83-108, a supposé aussi à la base des synoptiques un Évangile primitif hébreu. Voir t. ii, col. 2097-2098. Mais la majo-. rite des critiques reconnaît que le premier Évangile de saint Matthieu, ou au moins le recueil de discours intitulé Aoyta xupiaxâ, était composé dans l’idiome parlé en Palestine du temps de Notre-Seigneur, c’est-à-dire en araméen. Cet idiome est appelé, dans le Nouveau Testament, iêpaU ScaXéxToc, voir t. iii, col. 515 ; et c’est lui que Papias et les autres Pères désignent par le nom d’hébreu quand ils affirment que saint Matthieu a rédigé son Évangile en hébreu. Cf. A. Meyer, Jesu Muttersprache, Leipzig, 1896 ; G. Dalman, Die Worte Jesu, Leipzig, 1898, t. i, p. 34-57. Il est resté, d’ailleurs, dans le texte grec de saint Matthieu, quelques mots araméens, tels que paicà, v, 22 ; fia|juovâ{, vi, 24’; tlxravva, xxi, 9 ; xop6av5{, xxvii, 6, qui ne sont pas expliqués et qui ont été conservés du texte primitif. A. Brun, L’Évangile araméen de l’apôtre Matthieu, Montauban, 1901.

3° La version grecque de l’Évangile araméen de saint Matthieu. — Le texte original du premier Évangile est perdu depuis longtemps. On suppose que destiné à l’Église chrétienne de Palestine, il a dispan avec elle ou qu’il s’est conservé, plus ou moins altéré, chez les sectes hérétiques des Ébionites et des Nazaréens sous le nom d’Évangile selon les Hébreux. Cette dernière hypothèse s’appuie en particulier sur les témoignages de saint Jérôme et de saint Épiphane ; mais il n’est pas démontré que l’Évangile selon les Hébreux était le texte aramaïque de saint Matthieu, et il est même peu vraisemblable que ce texte ait encore existé au IV siècle, fût-ce sous une forme altérée. Sa disparition rapide s’explique par l’impossibilité de son emploi dans les Églises chrétiennes hellénistes et par l’existence d’une version grecque dès la plus haute, antiquité.