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MANNE

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humide ; il apparaît après la pluie, est mou et grenu, peut être broyé à la meule et au pilon, se putréfie aisément, étant donnée sa composition chimique, et a un goût douceâtre qui se rapproche de celui du froment. Cf. Arthaud, Étude sur un cryptogame du genre Tuber, dans les Actes de l’Acad. de Bordeaux, 1851 ; E., Niel, Recherches sur la nature de la manne des Hébreux, Rouen, 1892 ; Renaud et Lacour, De la manne du désert, Alger, 1881 ; Socin, Zur Géographie des Tûr’Aledîn, dans la Zeitschrift der deutschen morgenlândischen Gesellschaft, 1881, t. xxxv, p. 254.

VI. Inadmissibilité de l’explication naturaliste. — 1° En supposant une origine naturelle à la manne qui a nourri les Hébreux au désert, on ne s’explique plus leur étonnement en la voyant pour la première fois. « Si elle eût découlé naturellement des arbres, ils n’auraient pas considéré ce fait comme un plus grand miracle que la vue des dattes qui pendent des palmiers, des grenades qui ornent les grenadiers, des oranges qui dorent les orangers. » L. de Laborde, Comment, géograph. sur l’Exode et sur les Nombres, Paris, 1841, p. 96. — 2° Les tamaris, il est vrai, ne manquent pas dans la presqu’île ; à la partie méridionale de l’ouadi Schech, au nord du Sinaï, ils forment un petit bois qu’on met une heure à traverser. Mais la quantité de manne qu’ils peuvent fournir, quand toutefois la pluie le permet, est hors de proportion avec ce qu’il eût fallu aux Hébreux. Burchardt, Traveh in Syria, p. 601, estimait à cinq ou six cents livres le total de cette production. Stanley, Sinai and Palestine, 1868, p. 26, assure que toute la manne de la presqu’île n’eût pas suffi à nourrir un homme pendant six mois. La manne de Perse y est encore plus rare que la précédente. Quant au lichen et au champignon, leur production est accidentelle et notoirement insuffisante.

— 3° Même en admettant le miracle pour multiplier en abondance ces différentes mannes, suivant l’idée suggérée par Josèphe et adoptée par différents auteurs, comme Hengstenherg, Keil, etc., on n’arriverait pas encore à expliquer ce fait, que la manne ait alimenté plusieurs centaines de mille personnes durant quarante ans. Berthelot a analysé la manne du tamaris et celle du Kurdistan. Sur 100 parties, la première renferme 55 de sucre de canne, 25 de sucre interverti (lévulose et glucose) et 20 de dextrine ou produits analogues, la seconde 61, 1 de sucre de canne, 16, 5 de sucre interverti et 22, 4 de dextrine et matières analogues. Ces deux sortes de mannes constituent donc un véritable miel ; mais, conclut le chimiste, « on voit en même temps que la manne du Sinaï ne saurait suffire comme aliment, puisqu’elle ne contient point de principe azoté. » Comptes rendus del’Acad. des sciences, 1861, p. 586. Berthelot explique ensuite que les cailles fournissaient aux Hébreux les principes azotés indispensables à leur alimentation. Mais les cailles ne sont apparues en masses considérables que deux fois en quarante ans et les autres viandes ont été d’un usage exceptionnel. Il fallait donc que la manne fût de nature à constituer à elle seule un aliment complet. On ne résout pas la difficulté en restreignant arbitrairement aux proportions d’un petit clan nomade l’immense caravane des Israélites. Cette restriction est contraire aux données historiques. Num., ii, 45, 46. — 4° Les autres caractères attribués à la manne par le texte sacré ne se vérifient que très incomplètement, ou même ne se vérifient nullement, quand il s’agit de mannes végétales ou du champignon terfas. Ces derniers ne tombent pas du ciel ; même la manne de lichen ne peut être considérée comme telle. Les Hébreux devaient bien s’apercevoir que la manne naturelle était le produit d’arbrisseaux qu’ils avaient sous les yeux. La chute de la manne six jours de la semaine, à l’exclusion du sabbat, l’impossibilité de la conserver intacte d’un jqur à l’autre, sauf le sixième jour, l’égale quantité qui s’imposait à tous ceux qui la recueillaient, la manière dont elle se comportait dans les mortiers et

ensuite au feu, sont autant de traits qui ne peuvent convenir à la manne naturelle et qui ne s’expliquent que par l’intervention d’une volonté supérieure agissant en dehors des lois ordinaires. Cf. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., t. ii, p. 459-472.

— 5° Il suit de là d’abord que, même si l’on admettait que Dieu ait utilisé une manne naturelle pour nourrir les Hébreux, comme il a utilisé des cailles naturelles pour leur procurer de la viande, on ne peut se dispenser de constater son intervention surnaturelle et prolongée pour produire la manne dans les conditions indiquées par le livre sacré. Pour réaliser ces conditions, Dieu devait apporter de telles modifications à la constitution substantielle de la manne naturelle et aux circonstances de sa production, qu’il paraît beaucoup plus simple de croire à une création de toutes pièces. D’autre part, les botanistes et les chimistes, usant de leur droit pour affirmer ce qui concerne l’histoire naturelle et la composition de la manne végétale, excéderaient ce droit en voulant modifier les données de l’histoire pour réduire les faits à la mesure de ce que leur science propre leur révèle. De même, l’historien excéderait le sien en prêtant à la manne végétale une intensité de production et des qualités nutritives que les savants ne peuvent lui reconnaître. Il ne reste donc qu’à voir, dans la manne, un don miraculeux.

VU. Symbolisme de la manne. — 1° Le don de la manne doit rappeler aux Hébreux que l’homme ne vit pas seulement de pain mais « de tout ce qui sort de la bouche de Jéhovah », ’al-kol-môsâ’pi-Yehovâh. Deut., viii, 3. Ce qui sort de la bouche de Dieu est bien la parole, p^a, verbum, comme traduisent les versions, mais la parole qui ordonne et qui exécute ce qu’elle énonce. Les Hébreux vivaient jadis de pain ; au désert, ils vécurent de la substance produite, avec toutes ses qualités nutritives, par la parole de Dieu. C’est donc en Dieu qu’il faut avoir confiance, c’est à lui qu’il faut obéir, puisqu’il a assigné à l’homme, pour sa nourriture, d’abord le pain, puis tout ce à quoi sa Providence donne le pouvoir de nourrir. Notre-Seigneur rappelle cette parole, au moment de sa tentation au désert. Matth., iv, 4 ; Luc, IV, 4. L’homme peut vivre non seulement avec le pain, mais par tout autre moyen qu’il plaît à la Providence d’assigner. À ce sens littéral, on ajoute un sens spirituel se rapportant à la vie de l’âme que nourrit la parole de Dieu. Cf. Knabenbauer, Evang. sec. Matth., Paris, 1892, t. i, p. 147.

— 2° Le livre de la Sagesse, xvi, 21-28, voit dans le don de la manne la preuve de la bonté de Dieu envers ses enfants, afin que ceux-ci sachent bien que ce ne sont pas seulement les produits de la nature qui nourrissent l’homme, mais que la parole de Dieu conserve et fait vivre ceux qui ont confiance en lui. De la nécessité où les Hébreux étaient de ramasser la manne avant les premiers rayons du soleil, l’auteur sacré conclut qu’il faut devancer le soleil pour bénir Dieu et qu’on doit l’adorer dès l’aube du jour. — 3° La manne est par-dessus tout le symbole de l’Eucharistie. Après la première multiplication des pains, les Juifs évoquent eux-mêmes le souvenir de la manne. Ils rappellent que leurs pères ont reçu la manne au désert, grâce à l’interventioa de Moïse, et ils demandent à Notre-Seigneur ce qu’il leur donnera pour prouver qu’il est l’envoyé de Dieu. Joa., VI, 30, 31. Il leur fallait quelque chose de plus significatif que le pain multiplié sous leurs yeux. Le Sauveur leur promet un pain céleste qui sera supérieur à la manne ; car celle-ci n’a pas empêché les Hébreux de mourir, tandis que le pain qu’il veut donner empêchera la mort spirituelle et communiquera la vie éternelle. Joa., vi, 49, 59. Sur la manne, figure de l’Eucharistie, cf. S. Augustin, In Joa., xxvi, 12, t. xxxv. col. 1612 ; Serni. CCCLII, 3, t. xxxix, col. 1551. — Les artistes chrétiens représentèrent la manne comme symbole de l’Eucharistie dans les catacombes, (fig. 197). — 4° Saint Paul dit, en parlant des