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LUC (ÉVANGILE DE SAINT)


critiques donnent à ces questions des réponses différentes. On admet généralement que saint Luc a eu recours à la tradition orale, puisqu’il l’indique dans son prologue. On se sépare, lorsqu’il s’agit de déterminer l’importance de l’emprunt. Tandis que les tenants de l’hypothèse de la tradition attribuent tout le troisième Évangile à une forme particulière de la catéchèse, voir t. ii, col. 2091-2093, d’autres ne font dépendre de cette source que tout ou partie seulement des particularités de son écrit. Quant aux ministres de la parole et aux témoins oculaires que Luc a pu interroger et consulter, on a dressé la liste des personnages de cette double catégorie, avec qui il a eu des rapports d’après l’histoire et la tradition. On a placé en première ligne l’apôtre saint Paul, dont Luc a été le disciple et le compagnon, Les Pères avaient devancé les critiques dans cette voie. On ne peut pas conclure rigoureusement, il est vrai, du texte du canon de Muratori, voir t. ii, col. 170, comme l’ont fait quelques critiques, que Luc a écrit son Évangile au nom de Paul, parce que dans ce passage le nomine signifie plutôt en son nom propre, mais saint Irénée, cité par Eusèbe, H. E., Y, 8, t. xx, cl. 449, dit expressément : Kai Aovxâj 8è, S àxéXouOo ; naûXcnj, ™ un’èxsi’voy xy]pu<ra6|jLevov EùayT^’07 " P’ëXi’io xatÉÔETO. Tertullien, Adv. Marcion., iv, t. ii, col. 367, affirme aussi qu’on a coutume d’attribuer à Paul l’Évangile de Luc. Au témoignage d’Origène, rapporté par Eusèbe. H. E., vi, 25, t. xx, col. 584, le troisième Évangile avait été jecommandé par saint Paul. Eusèbe, H. E., iii, 4, col. 220, et saint Jérôme, De viris illust., 7, t. xxiii, col. 621, ont signalé comme étant l’avis ou l’hypothèse de quelques-uns que, lorsque saint Paul parlait de son Évangile, il entendait parler du troisième, œuvre de son disciple. Saint Chrysostome, In Acta, Hom., i, n. 1, t. lx, col. 15, en conclut qu’on ne se tromperait pas si on assignait à Paul l’Évangile de saint Luc. Sans admettre cette conclusion qui est forcée, beaucoup de critiques reconnaissent avec raison que l’auteur du troisième Évangile a subi l’influence doctrinale de l’apôtre des gentils et ils retrouvent dans son œuvre des indices de paulinisme. Ils signalent des expressions et des idées communes. Voir Schanz, Commentar ïiber das Evangelium des heiligen Lucas, Tubingue, 1883, p. 22-34. Mais si saint Paul a été un ministre de la parole, il n’a pas été un témoin oculaire des faits. Saint Luc, par conséquent, n’a pu lui faire de larges emprunts ni reproduire la catéchèse de son maître. Tout au plus peut-on penser qu’il a raconté la vie de Jésus-Christ d’après les sources authentiques, de manière à justifier et à affermir l’Évangile de Paul dans le sens de l’universalisme de sa doctrine. Il nous est, d’ailleurs, présenté par les Pères, S. Irénée, Cont. hœr., III, x, i, t. vii, col. 872 ; Eusèbe, H. E., iii, 4, t. xx, col. 220 S. Jérôme, De vir. illust., 7, t. xxiii, col. 621, non seulement comme le disciple de saint Paul, mais encore comme celui des autres apôtres, de la bouche desquels il a appris bien des laits et des détails particuliers. On a supposé, en effet, que saint Luc avait vu saint Pierre et saint Barnabe à Antioche. Il est certain qu’il a été mis en rapport par Paul avec Jacques le Mineur à Jérusalem, Act., XXI, 18, avec l’évangéliste Philippe à Césarée. Act., xxi, 8. On a même conjecturé qu’il avait été renseigné sur les récits de l’enfance de Jésus et de Jean-Baptiste par la sainte Vierge elle-même et par les parents du précurseur. La conjecture ne s’impose pas, parce que l’évangéliste a pu connaître ces faits par l’intermédiaire d’autres personnes ou même au moyen de sources écrites. Les critiques, en effet, admettent généralement aujourd’hui qu’en dehors de la tradition orale, saint Luc s’est servi de documents écrits, canoniques ou éxtracanoniques. Ils pensent que ces sources écrites sont désignées par l’évangéliste lui-même lorsqu’il parle de ses devanciers qui avaient essayé déjà de rédiger le récit de la vie de Jésus-Christ. Il est vrai que d’anciens com mentateurs, S. Ambroise, Exposit. Ev. sec. Luc, 1. I, t. xv, col. 1 533-1534 ; S. Jérôme, Translat. hom. Origenis in Luc, homil. i, t. xxvi, col. 232-233 ; Bède, In Luc. Ev. exposil., . I, t. xcii, col. 307, avaient entendu ces expressions comme un blâme jeté sur ces essais qui représentaient des Évangiles apocryphes ou hérétiques. Mais comme ces Évangiles n’avaient pas paru avant celui de saint Luc, les critiques modernes interprètent plus bénignement le terme iiz&^ùfr<sai, conati sunt, « ont entrepris. » En effet, sans les blâmer, puisqu’il se place sur la même ligne qu’eux, saint Luc dit cependant que ces écrivains ont produit des essais, des tentatives plus ou moins heureuses plutôt que des récits entièrement satisfaisants. Il les a utilisés et s’est efforcé de mieux réussir que leurs auteurs. Pour beaucoup de critiques, ces essais d’écrivains inconnus, quoique composés d’après la tradition apostolique, sont tombés dans l’oubli, puis ont disparu, après que les quatre Évangiles canoniques ont été universellement et exclusivement adoptés dans l’Église. On a même cherché, avec plus ou moins de succès, à reconstituer les sources particulières du troisième Évangile. Selon P. Feine, E’ne vorcanonische Uberheferung des Lucas, Gotha, 1891, toute la partie propre à saint Luc aurait été empruntée à un évangile hiérosolymitain, d’origine judéo-chrétienne, composé en grec et formé d’un noyau de discours, auxquels on a joint des paraboles, puis des récits. Mais on ajustement observé que ces morceaux ne forment pas une compotion originale, un document distinct par l’esprit et par le style. La tendance judéo-chrétienne, qu’on prétend y retrouver, se remarque dans l’Évangile entier, et le vocabulaire est le même que dans d’autres morceaux. Resch, Aussercanonische Paralleltexte zu den Evangelien. Drittes Heft, Paralleltexte zu Lucas, dans ïexle und Untersuchungen, Leipzig, 1895, t. x, fasc. 3, p. 834847, a discerné à la base du troisième Évangile un écrit :

yitf » r"nSln, p ! 6Xo ; y^veuéu ; ’Irjsoij, ou évangile hébreu

de l’enfance, et il a essayé de le reconstituer, Das Kindheitsevangelium nach Lucas und Matthâus, Leipzig, 1897, ibid., t. x, fasc. 5, p. 202-226. L’essai de reconstitution a paru prématuré, et il en sera de même de toute tentative analogue. Tout au plus, reste-t-il simplement probable et en une certaine mesure vraisemblable, que saint Luc a pu se servir d’écrits antérieurs, composés par des catholiques et relatant les faits évangéliques.

Mais saint Luc a-t-il connu et employé les Évangiles canoniques de saint Matthieu et de saint Marc ? Cette question a été vivement débattue par les critiques et a reçu des solutions bien divergentes. Les partisans de l’hypothèse de la dépendance mutuelle des Synoptiques l’admettent généralement. Voir t. ii, col. 2088-2091. Sans revenir sur les divers systèmes, et en laissant de côté l’hypothèse d’un proto-Marc, qui est de plus en plus abandonnée, exposons seulement le sentiment prédominant chez les critiques modérés. Ils pensent généralement que, dans les parties communes aux trois Synoptiques, saint Luc s’est servi de saint Marc. Ils constatent la dépendance soit pour l’ordre des faits soit pour l’emploi des termes. Ils expliquent ainsi aisément les ressemblances. Mais dans cette hypothèse, comment rendre compte des divergences notables qui existent entre ces deux évangélistes ? Les omissions, les modifications et les transpositions de saint Luc relativement à saint Marc, s’expliquent par la liberté d’allure que le troisième évangéliste a gardée, en utilisant ses sources. Il se proposait, le prologue en fait foi, de les compléter et de les rectifier. Il l’a fait par rapport au second Évangile, en raison du but qu’il voulait atteindre, des lecteurs dont il tenait à confirmer la foi et des procédés littéraires qu’il employait. C’est ainsi qu’il élimine les détails nombreux, accumulés sous la plume de Marc, se contentant d’un large exposé de la vérité évangélique,