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LUC (ÉVANGILE DE SAINT)


gile, i, 3, saint Luc adresse son livre à Vexcellent Théophile, qui est un personnage historique, ayant une dignité officielle, plutôt qu’une désignation collective, représentant les chrétiens qui aiment Dieu et sont aimés de lui. C’est pour lui, dans son intérêt, que Luc a cru bon de rédiger son Cvangile selon la méthode et le plan qu’il indique : Toutefois Théophile semble être le patronus libri, c’est-à-dire le personnage distingué sous l’autorité et parfois aux frais de qui le livre était présenté au public, plutôt que l’unique destinataire du troisième Évangile. En effet, par-dessus Théophile, l’auteur s’adressait à toute une catégorie de lecteurs, qui se trouvaient dans la même situation que lui et avaient les mêmes besoins religieux. Or, Théophile et les lecteurs du troisième Évangile n’étaient pas des Juifs. Saint Luc ne leur suppose pas une connaissance détaillée de la langue, des mœurs et de la géographie de la Palestine. Il ne cite aucun mot araméen ou hébreu ; il explique les usages juifs qu’il rapporte et il nomme toutes les localités par leurs noms grecs. Il présente Jésus comme le Sauveur de l’humanité entière, et non comme le Messie attendu par le peuple juif. Théophile et les lecteurs du troisième Évangile étaient des païens, mais des païens convertis, car rien ne laissa soupçonner que saint Luc se propose d’attirer à la foi chrétienne ceux pour qui il écrit. Les Pères avaient déjà constaté ce caractère du troisième Évangile, et ils avaient déclaré que saint Luc s’adressait à tous les païens convertis, toÏç àm> xûv èBvûv, Origène, cité par Eusèbe, H. E., 1. VI, c. XXV, t. XX, col. 581, ou aux Grecs, d’après le vieil argument latin, P. Corssen, Monarchianische Pr éloge zuden vier Evangelien, p. 8 ; S. Jérôme, Epist., xx, ad Damas., n. 4, t. xxii, col. 378 ; S. Grégoire de Nazianze, Carnx., 1. I, sect. î, xxii, 1, t. xxxvir, col. 492, ou à tous les chrétiens. S. Chrysostome, In Matth., homil. i, n. 3, t. lvii, col. 17. Disciple de-saint Paul, Luc visait assurément les Églises fondées par l’Apôtre dans le monde gréco-romain, dans lesquelles la majorité des convertis avait appartenu à la gentilité. Aussi dans son récit évite-t-il ou adoucit-il tout ce qui aurait pu les froisser. Ainsi il omet les paroles de Jésus : Lnviam gentium ne abieritis, Matth., x, 5 ; Non sum missus nisi ad oves quse perierunt domus Israël. Matth., xv, 24. Aux gentils, Matth., v, 47, il substitue les pécheurs, vi, 34 ; au lieu de dire : Eritis odio omnibus gentibus, Matth., xxiv, 9, il dit simplement : Eritis odio omnibus, xxi, 17. Quand il parle de l’empire, de ses magistrats, de ses officiers, c’est avec une considération marquée, ii, 1, 2 ; iii, 1 ; vii, 2-9, Il évite de leur attribuer la mort de Jésus, dont il charge les Juifs, xxi ii, 25. Il a reproduit seul les paraboles les plus capables de donner confiance aux païens convertis, et il présente Jésus comme le Sauveur de l’humanité entière.

VIL But. — Saint Luc lui-même nous l’apprend dans son prologue : « Plusieurs ayant déjà essayé de rédiger le récit des choses accomplies parmi nous, selon ce que nous ont rapporté ceux qui dès le commencement ont été les témoins oculaires et les ministres de la parole, j’ai cru bon, moi aussi, après avoir tout examiné avec soin depuis l’origine, de t’en écrire, excellent Théophile, une narration suivie, pour que tu reconnaisses la solidité des enseignements que tu as reçus dans la catéchèse. » I, 1-4. Il se proposait donc une double fin : 1° celle de composer une biographie de Jésus plus complète et mieux ordonnée que les essais qui avaient été tentés antérieurement ; 2° celle de fournir à Théophile et à tous ses lecteurs, chrétiens convertis de la gentilité, un moyen d’affermir leur foi et de confirmer la catéchèse des premiers prédicateurs de l’Évangile. Eusèba de Césarée, H. E., iii, 24, t. xx, col. 268, a fort bien compris et exposé ce but historique " et dogmatique de saint Luc.

d° Saint Luc est donc avant tout un historien. Il a . des préocupations historiques ; il se propose de remon ter plus haut que ses prédécesseurs, de prendre le récit à l’origine et de composer une narration suivie. Il s’est informé de tout et il tient à ce qu’on le croie. Il indique les sources auxquelles il a puisé, et il veut procéder avec exactitude et ordre. Il harmonise la vie de Jésus avec l’histoire profane et il fournit des points de repère pour la naissance et le commencement de la prédication. L’exactitude de l’historien ne saurait être mise en doute. Sur les deux erreurs historiques attribuées à saint Luc, voir Lvsanias et Cyrinus, t. ii, col. 11861191. Quant à l’ordre chronologique, il est rigoureusement suivi pour la trame générale des événements. Voir t. II, col. 2099-2114. Toutefois, saint Luc intervertit la suite chronologique pour certains détails, dont quelques-uns ne manquent pas d’importance. Il le fait ou pour grouper ensemble des idées ou des faits analogues, par exemple, i, 64-66 ; ii, 17-20 ; iv, 36-38 ; viii, 34-37 ; soit pour compléter une narration, avant d’en commencer une autre dont le début se mêle à la fin de la précédente, m, 18-21 ; xxxiii, 44, 45. Ce procédé particulier qui fait grouper des détails particuliers ne trouble pas l’ordre général des événements. H. Lesêtre, La méthode historique de saint Luc, dans la Revue biblique, 1892, t. i, p. 171-185.

2° En écrivant la vie de Jésus, saint Luc se propose de confirmer la vérité de la catéchèse orale. On peut donc dire avec raison que cet historien n’a pas écrit exclusivement ad narrandum, mais ad probandum, dans un but dogmatique. « Non qu’il veuille tirer des faits des conséquences forcées ; s’il raisonnait, il ne serait plus historien, mais apologiste ; les faits parleront assez d’eux-mêmes ; il se contente de les présenter exactement. » Lagrange, Les sources du troisième Évangile, dans la Revue biblique, 1896, t. v, p. 16. Or, les laits, tels qu’il les expose, montrent que Jésus est le Fils de Dieu et qu’il est descendu du ciel pour sauver tous les hommes ; ils présentent l’Homme-Dieu comme le divin médecin de l’humanité. Jésus est venu pardonner aux pécheurs, et l’Évangile de saint Luc a pu être appelé l’Évangile de la miséricorde, parce qu’il est rempli des marques d’amour et de bonté du Sauveur pour les pécheurs. Saint Luc, s’adressant aux, chrétiens de la gentilité répandus dans le monde gréco-romain, tend à faire ressortir que le règne de Jésus sur terre n’est pas opposé aux puissances terrestres, et il a soin de remarquer que le royaume de Dieu est intérieur et spirituel, xvii, 20, 21. De là, le soin qu’il prend de ne pas froisser le pouvoir toujours susceptible, et de reconnaître ses droits dans les choses temporelles, xx, 20-26. On a constaté aussi dans tout le troisième Évangile une sympathie prononcée pour les pauvres et une insistance fréquente sur le détachement des biens de la terre et le danger des richesses. — C’est sans aucun fondement que l’école de Tubingue avait reconnu dans l’Évangile de saint Luc un écrit de polémique, dirigé contre le parti judaïsant. D est’de fait que cet Évangile est beaucoup moins antijuif que celui de saint Matthieu. Il n’exclut pas Israël du salut apporté au monde par Jésus. Il raconte que Jésus pleura sur Jérusalem, xjx, 41. et pria pour ses bourreaux, xxiii, 34, et il relate l’ordre donné aux apôtres d’aller prêcher la rémission des péchés parmi toutes les nations païennes, mais en commençant par Jérusalem, xxiv, 47.

VIII. Sources. — N’ayant pas assisté aux faits qu’if raconte, saint Luc, avant d’écrire, a dû se renseigner et se procurer des matériaux authentiques. En véritable historien, il nous apprend lui-même dans son prologue qu’il a consulté les témoins oculaires et les ministres de la catéchèse orale. Il ne dit rien qui n’ait été transmis par la tradition des premiersjemps ; il n’a fait que préciser et coordonner les renseignements qu’il a recueillis. Mais à qui a-t-il eu recours pour connaître la tradition primitive ? à des auteurs ou à des témoins ? Les