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LOGOS


recommander par sa simplicité, mais elle ne résiste pas à un examen approfondi. Sans la Bible, Philon n’aurait jamais pensé au Logos. En effet la raison divine, centre et lieu des idées, s’appelle dans Platon voijç et non pas Xô-j-o ?. Le >ôf o ; toiasv ; d’Heraclite, cette loi qui préside à l'évolution de l’univers en tirant les contraires de. l’unité primordiale, n’exprime qu’un aspect très particulier et très exceptionnel du Logos philonien. D’autre part, le Xd-yoç des stoïciens, c’est-à-dire l’intelligence et la force divines répandues dans la matière (Xd-j-o ? cræpuatix(5 ; ), l'âme du monde qui remue et vivifie la masse inerte (mens agitât molem et magno se corpore miscet, Virgile, JEneid., vi, 727), est nettement panthéiste. C’est le principe actif de la matière, principe passif : Ta &ï irâtr/ov eïvat rïiv anoiov où<rfavT7)v CX^v, to S^tcoioOvtov iv aÛTfj Xêyov tôv ©eôv. Voir tout le passage de Diogène Laërce, Vit. philosoph., VII, i, 68, édit. Didot, p. 188191. Jamais Philon ne se fût inspiré de ces spéculations blasphématoires. Il peut être dualiste, mais il n’est ni matérialiste, ni panthéiste, ni athée. — Philon a pris sa première idée du Logos dans l'Écriture. Dans l’Ancien Testament le Verbe de Dieu (dâbâr) est assez souvent personnifié. C’est par lui que les cieux ont été créés. Ps. xxxiii (xxxii), 4, 6. Il fait surtout fonction de messager de Jéhovah. Is., îx, 7 ; Ps. cvn (cvi), 20 ; cxlvii (cxlvi), 15. — Isaïe, lv, 11, soutient plus longuement la prosopopée : « Le verbe qui sort de ma bouche ne reviendra pas à moi sans effet : il exécutera ma volonté et accomplira mes desseins. » Au Livre de la Sagesse, xviii, 15-16, la personnification fait un pas de plus : « Ton verbe tout-puissant du haut des cieux, des trônes royaux, s'élança guerrier impitoyable au milieu de la terre de perdition ; portant, comme un glaive tranchant, ton ordre explicite, partout il semait la mort. Pendant qu’il touchait au ciel il marchait sur la terre. » — Ces passages et d’autres semblables préparaient les esprits aux spéculations du judaïsme sur le médiateur appelé Memra. Memra (quelquefois dibbura, même sens) veut dire « parole » et correspond exactement à la signification biblique de Xi-j-o ?- Le Memra joue un très grand rôle dans la théologie judaïque et son emploi dans les Targums est continuel : 1. Pour éviter les anthropomorphismes. Quand Dieu regarde, entend, se lève, se repent, se met en colère, jure par lui-même, etc., c’est le Memra de Jéhovah qui le fait à sa place. — 2. Pour servir d’intermédiaire entre Dieu et les hommes. Il est vrai que la rédaction des Targums est postérieure à Philon, mais on ne peut guère douter que l’esprit et la tradition n’en remontent à cette époque, et Weber, Jûdische Théologie, 2e édit., 1896, p. 184, se prononce catégoriquement dans ce sens. Du reste Philon luimême rapporte à la Bible, c’est-à-dire à sa manière de l’entendre, sa théorie du Logos dans ce qu’elle a de plus grec et de moins biblique : De mundi opif., t. i, p. 5 : Mutiaéwç Ècrri t<S& 8<5f|A « toûto, oùx 1(j16v, il s’agit du Logos prototype des choses. Quis rer. divin, hssres, t.'ij p. 503. — Philon fut très heureux de rencontrer un terme également usité dans la philosophie grecque et la théologie judaïque. Il s’en empara et, avec le syncrétisme dont il était coutumier, il le chargea des acceptions qu’il avait reçues de part et d’autre, en essayant de se persuader et de faire croire qu’au fond ces notions opposées étaient identiques. Sa théorie hybride du Logos n’a pas d’autre source.

2° Dans saint Jean. — Nous avons vu que le Logos de saint Jean est spécifiquement chrétien. Jean n’est ni l’auteur, ni le premier promulgateur du système qui applique au Christ ce que l’Ancien Testament dit de la Sagesse de Dieu, du Verbe de Dieu, de l’Ange de Jéhovah, etc., en accentuant encore les caractères divins et personnels de ces demi-hypostases. Il a été devancé dans cette voie par saint Paul et par le rédacteur de .I'Épitre aux Hébreux. Il n’a de propre que le nom de

Logos. C’est un signe que la théorie du Logos — au nom près — remonte à la tradition apostolique et, plus haut encore, à la prédication de Jésus. Il est à noter que saint Jean rapporte à l’enseignement du Maître tous les traits constitutifs de son Logos : la préexistence au sein de Dieu, i, 30, viii, 38, 58, xvii, 5 ; l’origine céleste, iii, 13-21, vi, 62, vii, 28-29, viii, 14, 23, 42, xvi, 28 ; l’unité avec le Père, xii. 45-50, xiv, 7-11, xvi, 15, xvii, 21 ; la divinité, v, 19-30, x, 33-38, xx, 28-29 ; la lumière du monde, xil, 46, xviii, 37 ; la source de vie, vi, 57, xiv, 6, xvii, 2, xx, 31, etc. La question de savoir d’où provient la doctrine du Logos se trouve ainsi résolue. Reste la question du nom lui-même. Ici nous sommes réduits à des conjectures plus ou moins probables. — 1. On ne saurait admettre que l'évangéliste emprunte directement le terme de Logos à Philon, car il ne montre aucune connaissance et ne semble pas avoir lu une seule ligne du philosophe alexandrin ; mais on peut supposer qu’il lui en est redevable indirectement. Les écrits de Philon doivent avoir été assez répandus parmi les Juifs hellénistes. Il est curieux de noter qu’Apollos, évidemment imbu de philonisme, prêcha à Éphèse avant et après son baptême et ne dut pas manquer d’y exercer une influence égale à celle qu’il avait conquise à Corinthe. Ce mot de Logos peut avoir été vulgarisé par lui ou par un autre adepte de Philon et saint Jean se serait emparé de ce terme d’ailleurs très propre a exprimer sa conception du Christ. — 2. D’autres pensent que le Memra de Jéhovah jouait déjà dans les écoles juives de langue hébraïque le rôle prépondérant que nous lui voyons prendre à l'époque du Targum et du Talmud. L'évangéliste l’aurait traduit en grec, lui aurait conservé ses attaches avec les textes de l’Ancien Testament où il est question d’intermédiaire divin, l’aurait appliqué au grand Médiateur de la nouvelle alliance en lui surajoutant les acceptions de la christologie chrétienne. — 3. Enfin il n’est pas absurde de supposer que les premiers hérétiques, ces pères des gnostiques contre lesquels saint Jean, selon la tradition, dirigeait spécialement son Évangile, eussent déjà abusé de ce nom de Logos, comme les gnostiques postérieurs en abusèrent dans la suite sans cependant lui donner plus de relief qu’aux autres éons. Saint Jean leur aurait arraché ce terme avec ceux de vie, de lumière, de vérité, etc., et les aurait retournés contre eux. Beaucoup d’exégètes croient remarquer dans les Épltres de la captivité de saint Paul une semblable tactique. — Il nous paraît plus vraisemblable que deux de ces causes ou même toutes les trois ont agi à la fois. Le mot Logos (Memra) était très fréquent dans la théologie judaïque contemporaine ; Philon l’avait vulgarisé dans les milieux juifs de langue grecque ; sans doute des esprits curieux et inquiets en faisaient déjà le thème de leurs spéculations. D’autre part ce terme, commun aux Juifs et aux Gentils, était merveilleusement adapté à la personne de celui qui est la sagesse substantielle de Dieu, l’image par laquelle le Père s’exprime et se traduit, la révélation vivante et le médiateur de la révélation parfaite et définitive, enfin celui qui réunit en lui-même, en un sens éminent, les propriétés du X(5yoç êvStaÔEtôç (immanent) et du Xo’yo ? irpoçopixôç des philosophes. Il ne faut pas chercher au nom du Logos une autre origine : nous avons déjà dit que la doctrine même du Logos dans saint Jean est originale, sauf les points d’attache avec l’Ancien Testament.

V. Le Logos dans les Pères de l'Église. — Il ne nous appartient pas de suivre l’histoire du Logos au delà du siècle apostolique. Nous remarquerons seulement que la doctrine du Logos a peu de relief chez les écrivains, du I er siècle et du n « à son début. Elle n’a pas une importance marquée dans les premiers systèmes gnostiques : le Logos n’est qu’un éon comme les autres, formant avec Zoé, « la Vie, » le troisième