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LITTERAL (SENS)


t. xv, col. 1661 : « Si la forme du sens simple répugne, cherchons la figure spirituelle ; » Cassien, Collât, pair., vm, 3, t. xlix, col. 725 : « Si certains passages ne sont pas atténués par une explication allégorique et fondus au creuset du feu spirituel, ils sont plus nuisibles qu’utiles, » et il cite l’exemple de moines qui, prenant à la lettre la parole du Seigneur, Matth., x, 38, portaient sur leurs épaules des croix de bois et faisaient rire d’eux. Dans la pensée de ces Pères, ce n’est pas, en somme, le sens littéral qu’il faut parfois exclure au profit du sens spirituel, mais le sens propre au profit du sens figuré. La chose est manifeste chez Nicolas de Lyre, Prol. 3 ad postill. Biblior., t. cxiii, col. 34, qui, après avoir écrit : « Parfois l’Écriture n’a pas, à proprement parler, de sens littéral, » apporte comme exemple l’apologue de Joatham, Jud., IX, 845, qui n’a pas de sens propre, mais a certainement un sens figuré.

— 3° En réalité, les Pères sont expressément opposés à la conception d’Origène, visiblement influencé sur la question par l’allégorisme de Philon. D’après saint Jérôme, In Is., xiii, 19, t. xxiv, col. 158, « il faut avant tout chercher et établir l’intelligence des mots de la Sainte Écriture, parce que l’interprétation spirituelle doit se conformer à l’ordre de l’histoire. » Saint Augustin réprouve ceux qui, dans les récits du déluge, pensent que rien de cela n’est arrivé, mais qu’il n’y a là que des figures de mots, De civ. Dei, xv, 27, t. xli, col. 474, et ailleurs, il dit : « Nous avertissons et, autant qu’il est en nous, nous prescrivons que, quand vous entendez un récit mystérieux de la Sainte Écriture, vous admettiez tout d’abord que la chose s’est passée comme elle est racontée, car, faute de cette base historique, c’est en l’air que vous chercheriez à bâtir. » De tent. Abrah., Serm., ii, 7, t. xxxviii, 30. Saint Grégoire le Grand, Moral., i, 37, t. lxxv, col. 554, ne veut pas que, pour élever l’âme au sens spirituel, on s’écarte du respect dû à l’histoire. Saint Thomas, Quodlib., vii, q. vi, a. 16, formule ainsi la vraie règle : « Le sens spirituel repose toujours sur le sens littéral et en procède. » — 4° Cette règle est fondée sur la nature même des choses. Bien qu’écrivant sous l’inspiration de l’Esprit de Dieu, l’écrivain sacré se sert d’un langage humain, qui doit être intelligible à ceux qui l’entendent ou le lisent. Sans doute, il n’est pas nécessaire que l’auteur ou l’auditeur saisissent toute la portée de la pensée divine ; mais la parole de Dieu se doit à elle-même d’avoir un sens humain, puisqu’elle s’adresse à des hommes, et, du moment que la personnalité de l’écrivain n’est pas absorbée par le divin Inspirateur, il faut que cette personnalité accuse sa coopération, non par la simple transcription de phrases inintelligibles, mais par la rédaction intelligente de pensées exprimées pour être comprises. C’est ainsi que procède Notre-Seigneur, quand il déclare qu’il parle en paraboles, pour qu’en entendant, on ne comprenne pas. Matth., xiii, 13. Le sens supérieur et profond de ses récits échappera à ses auditeurs ; il n’en restera pas moins, à l’usage de ces derniers, un sens littéral merveilleusement net. D’autre part, si quelques passages n’avaient vraiment pas de sens littéral, ou bien ils seraient inintelligibles, comme certains versets de la traduction latine des Psaumes, ou bien le sens appelé spirituel serait lui-même le sens littéral, ou enfin il serait impossible de saisir l’analogie indispensable qui doit exister entre ce que dit un auteur et ce qu’il veut dire. Il faut noter aussi que, le sens littéral une fois sacrifié pour certains passages, ce serait la ruine de tout argument tiré des Saintes Écritures ; car c’est seulement du sens littéral propre que l’on peut faire sortir une preuve théologique, à l’exclusion même du sens spirituel. Cf. S. Augustin, Epist. xciii, Ad Vincent. , viii, 24, t. xxxiii, col. 334 ; S. Thomas, Summ. theol., I a, q. i, a. 10, ad 1. Ce dernier ajoute : « . Rien de nécessaire à la foi n’est contenu dans un sens spirituel,

sans que l’Écriture ne l’exprime clairement quelque part sous forme de sens littéral. » Si donc on pouvait nier l’existence du sens littéral dans tel ou tel passage, les hérétiques ne manqueraient pas d’exciper de cette possibilité pour nier la force probante de tous les textes qui les gêneraient.

III. Il n’existe pas de double sens littéral dans les textes sacrés. — 1° Saint Augustin, en divers endroits de ses écrits, a admis la possibilité de plusieurs sens littéraux pour les textes sacrés. -Il pense que les différentes explications données de Gen., i, 1, peuvent porter sur des sens également littéraux. Confess., xiii, 31, t. xxxii, col. 844. « Quand les mêmes paroles de l’Écriture, dit-il, sont entendues non seulement d’une seule manière, mais de deux ou davantage, même si l’on ignore comment les entend celui qui les a écrites, il n’y a pas d’inconvénient si, d’après d’autres passages des Saintes Écritures, on peut montrer que chacun de ces sens est conforme à la vérité. » De doctr. christ., iii, 27, t. xxxiv, col. 80. Il ajoute, au paragraphe suivant, qu’il est possible que, parmi ces sens multiples ne se trouve pas celui que l’auteur sacré a eu en vue, et il confesse que vouloir les déterminer sans le secours d’autres passages de la Sainte Écriture constitue une. pratique dangereuse. Il avait dit précédemment, De doctr. christ., iii, 4, col. 68 : « Quand il s’agit des livres des divines Écritures, il est très rare et très difficile que l’ambiguité se rencontre dans les termes propres, in propriis verbis, sans qu’on puisse la lever à l’aide du contexte. » Le saint docteur n’est donc pas très affirmatif. Il propose son système comme plus respectueux, religiosius, pour le texte sacré. Confess., xiii, 31, col. 844. Il ne lui reste même pas toujours fidèle. Expliquant le passage de l’Exode, iii, 1-6, dans lequel celui qui apparaît à Moïse sur l’Horeb est appelé tantôt l’ange de Jéhovah et tantôt Jéhovah lui-même, il laisse l’audieur libre de choisir l’une ou l’autre des deux appellations, qui pourtant, à ses yeux, devraient être également littérales et maintenues au même titre. Serm., vii, 5, t. xxxviii, col. 63. — 2° Saint Thomas, Summ. theol., I », q. I, a. 10, s’appuie sur saint Augustin pour établir qu’au point de vue littéral plusieurs sens peuvent se trouver dans la lettre de l’Écriture. Selon lui, « toute vérité appartient au sens de la divine Écriture, quand elle peut s’adapter à l’expression de la lettre. » De potent. , q. iv, a. 1. Il n’est pas démontré cependant que saint Thomas ait admis sans restriction la théorie de saint Augustin. Bon nombre de théologiens ont suivi saint Thomas et ont soutenu qu’au moins certains textes ont un double ou un multiple sens littéral. Bonfrère, qui les cite, Prseloq. in S. S., dans le Ctirs. conipl. S. S. de Migne, Paris, 1839, col. 211-214, prétend que cette pluralité de sens littéraux est toute à l’honneur de la sagesse divine, qu’elle prouve la profondeur et la fécondité des Saintes Écritures et qu’enfin elle est supposée par l’exégèse des auteurs sacrés du Nouveau Testament. Le Hir, Etudes bibliques, Paris, 1869, t. i, p. 81-83, admet un double sens littéral dans certaines prophéties. Parfois, dit-il, « le texte nous met sous les yeux deux objets faits sur le même modèle, et les dessine tous deux en même temps. C’est une question débattue entre les orthodoxes, et qui n’intéresse point l’apologie chrétienne, mais seulement la rigueur du langage théologique, de savoir si, dans les prophéties à double objet, on peut dire que les mêmes paroles les embrassent tous les deux dans leur sens immédiat et littéral, ou bien si l’un des deux objets n’est atteint que dans le sens spirituel. Les plus graves écrivains de notre temps se prononcent assez fortement contre la prétention de donner deux sens littéraux à la même phrase… Cependant, n’est-ce pas la lettre même d’une prophétie, qui, par la magnificence, l’emphase et l’exagération de ses termes, vous avertit de regarder plus loin que l’objet