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PAUL (SAINT)

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semble pas, d’après cela, que Paul ait jamais eu de fortune patrimoniale. Act., xviii, 3 ; xx, 34. Les Épîtres aux Corinthiens, I, i, 26 ; II, xi, 27, éloignent encore plus toute idée de superflu et même de situation quelque peu aisée : c’est la vie au jour le jour. Il dut, plus d’une fois, faire part de sa détresse à ses chers Philippiens et consentir à recevoir leurs offrandes. Phil., iv, 14-16.

Au temps ou le jeune Saul arrivait dans la Ville sainte, les écoles juives étaient en pleine prospérité, tant à cause de la science et du talent de leurs chefs, que du grand nombre d’élèves qui suivaient leurs cours. Si l’on en croit le Talmud, Gamaliel aurait eu 1 000 disciples dont 500 étudiaient la Loi, 500 la sagesse grecque, philosophie et littérature, sous sa direction. Depuis la fin du règne d’Hérode le Grand, les écoles pharisiennes étaient divisées en deux factions rivales. Il y avait les Schammaïstes et les Hillélistes, îx, 16, les uns se réclamant du célèbre Hillel, les autres se rattachant à son adversaire Schammaï. Le fond de l’opposition entre ces deux enseignements paraît avoir été, d’après le Talmùd, dans la manière plus ou moins rigoureuse d’interpréter la Loi. En général, Schammaï préconisait, dans sa casuistique, les principes les plus sévères et les solutions rigoristes ; c’était un homme violent, emporté, absolu, plus ardent, plus patriote, plus ennemi de l’étranger que le doux Hillel. Celui-ci, au contraire, penchait plutôt, sur nombre de points, vers la conciliation et vers les ménagements. Mais cette modération n’était que relative et n’enlevait guère qu’un degré d’exagération à l’intransigeance farouche des Schammaïstes. — Saul se mit à l’école de Gamaliel, petit-fils d’Hillel et continuateur de sa méthode et de son esprit. Act., xxii, 3. Voir Gamaliel 2, t. iii, col. 102.

Ce que Saul apprit, pendant son stage à l’école du célèbre rabbin, fut cette dialectique subtile, cette exégèse ingénieuse et raffinée qui caractérisait l’enseignement rabbinique. Cette méthode d’interprétation, conservée dans la Mischna, Sanhedr., VI, s’appelait S-chebat Middoth (sept règles) et contenait les principes d’herméneutique en usage pour déterminer le sens des textes sacrés. Cf. dans Herzog, Encyclopàdie, t. xv, p. 65, l’article de Pressel. Cette méthode d’enseignement a laissé, dans la composition des Épîtres de saint Paul, des traces nombreuses et profondes. I Cor., ix ; Gal., iii, 15 ; II Cor., iii, 7 ; Rom., v, 12. À pareille école, le jeune scribe acquit une souplesse et une subtilité de raisonnement remarquable. En même temps, sa mémoire se développait à tel point, qu’elle pouvait dans la suite citer avec une égale facilité n’importe quel passage de l’Ancien Testament. Presque toutes les citations de ses Épîtres, on en compte près de 88, semblent faites sans l’aide d’un texte écrit. Ce qui se comprend lorsqu’on pense que dans les écoles juives, la Bible était le seul livre qu’on eût entre les mains.

On a conjecturé que son éducation rabbinique une fois finie, Paul retourna dans sa ville natale. Rien, en effet, dans les écrits de l’Apôtre, ne permet de supposer sa présence à Jérusalem en même temps que Jésus. La vision sur la route de Damas est présentée comme la première entrevue du maître et des disciples. I Cor., ix, 7 ; II Cor., v, 16, n’y contredit pas. Paul n’a donc pas connu le Jésus des Évangiles et n’a pas été mêlé aux scènes de la Passion. Car, avec la fougue de fanatisme qu’on lui connaît, il est difficile de croire qu’il fût demeuré simple spectateur des événements sans prendre ici, comme dans le meurtre, d’Etienne, un des premiers rôles parmi les persécuteurs. Or, Paul ne s’est jamais reconnu d’autre tort que celui d’avoir persécuté les premiers disciples. I Cor., xv, 9 ; Act., xxii, 20.

III. PAUL PERSÉCUTE LES PREMIERS CHRÉTIENS. —

On ne sait quelle cause ramena le jeune scribe dans la Ville sainte. Il dut s’y trouver vers le temps où le diacre

Etienne venait de commencer ses prédications dans les synagogues hellénistes. En tout cas, il est, pour l’instant, parmi les plus avancés du parti pharisien, rigoristeet exalté, qui poussait jusqu’aux derniers excès le zèle pour la loi et les traditions du passé. Ce fut dans la. synagogue des Ciliciens qu’il entendit, pour la premièrefois, l’exposition de la foi chrétienne, et qu’il défendit, avec acharnement, la cause du Temple et de la Loi. Act., vi, 9. Il prit une part active à la mort d’Etienne et se mit, dès ce moment, à organiser un système de violences contre ceux qui paraissaient adhérer aux doctrines nouvelles. Il ne respirait, dit le texte, que mort et menaces, allait de synagogue en synagogue, forçant les gens timides à renier le nom de Jésus, faisant fouetter ou emprisonner tous les autres. Act., xxii, 4 ; xxvi, 10, 11 „ De Jérusalem sa rage se répandit sur les villes voisines-Quand il apprit, par des Juifs de Syrie, que les communautés dispersées se reformaient ailleurs, et qu’un groupe notable de fidèles s’était formé à Damas, il n’eut de’repos qu’après avoir obtenu du grand prêtre — c’était peut-être déjà Théophile, fils de Hanan — des lettres pour la synagogue de cette ville, afin qu’on lui livrât tous ceux qui appartenaient à la secte nouvelle. Le grand conseil de Jérusalem n’avait, en réalité, aucun pouvoir direct sur les Sanhédriens locaux, en dehors des limites de la Judée. Schùrer, Gesch. des jud. Volk. im Zeit. J. C, 3e édit., t. H, p. 206, note. Mais il s’agissait, cette fois, d’une mission extraordinaire imposée par les circonstances, et on comptait surle bon vouloir, sur l’esprit de prosélytisme des Juifs de Damas, pour obtenir cettefaveur. Il y avait du danger à laisser l’hérésie s’implanter dans une ville si importante. Les Juifs y étaient nombreux. — Josèphe porte à 10000 le nombre de ceux que Néron y fît massacrer, vers l’an 66. Bell, jud., II, xx, 2 ; VII, viii, 7. Ils avaient plusieurs synagogues et possédaient une influence considérable. C’est ce qui détermina le voyage du jeune fanatique. Une autre circonstance vint, sur les entrefaites, faciliter son projet. Arétas ou Hareth, le roi nabatëen, s’était emparé de Damas avec l’aide des Juifs. Or, le meilleur moyen de payer leur concours était, on le savait, de leur donner pleine liberté dans leurs questions religieuses. Le moment d’agir était donc tout désigné. Saul se mit en marche vers la Syrie. Il emmenait avec lui plusieurscompagnons et, à ce qu’il semble, voyageait à pied. Act., ix, 4, 8 ; xxii, 7, 11 ; xxvi, 14, 16. L’hypothèse d’une chute de cheval, au lieu de la vision, n’est permise qu’à la peinture ; elle n’est confirmée, en ce qui regarde l’histoire, par aucune particularité du récit :  : l’ensemble de la narration lui est même nettement, hostile.

On ne saurait suivre, faute de détails précis, l’itinéraire de la petite caravane. II y avait deux routes principales pour aller de Jérusalem à Damas : l’une venued’Egypte, contournait quelque temps les frontières de la Samarie et de la Galilée, passait le Jourdain au pont des « Filles de Jacob », au nord du lac de Tibériade, et traversait tonte la région déserte qui s’élève aux piedsdes montagnes de l’Antiliban, L’autre route, celle que construisirent les Romains, peut-être vers cette époque, , allait droit sur Néapolis, l’ancienne Sichem, gagnait Scythopolis, puis Gadara, à l’est du Jourdain, et se dirigeait vers Damas, après avoir parcouru les âpres et brûlantes régions de la Gaulonitide et de l’Iturée. La distance à franchir, dans les deux cas, était à peu près la même, environ 200 kilomètres, et demandait une bonne semaine de marche. Paul dut régler les étapes de son voyage de manière à suivre les traces de sesvictimes et à les persécuter jusque dans les villes étrangères où elles s’éta<ient réfugiées. Act., xxvi, 11. Maisc’est quand-il se croit sur le point de réussir, que se produit le. fait miraculeux auquel il rapporte sa conversion et son apostolat.