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JUGES (LIVRE DES)


vie siècle avant Jésus-Christ, les critiques catholiques s’accordent généralement à reconnaître Samuel pour l’auteur du livre des Juges. Leur sentiment s’appuie sur une affirmation du Baba Bathra, d’après laquelle Samuel écrivit les Juges. Voir t. ii, col. 140. Cf. Wogue, Histoire de la Bible et de l’exégèse biblique, Paris, 1881, p. 25-26. C’est aussi l’opinion de saint Isidore de Séville, De officiis eccl., i, 12, t. lxxxiii, col. 747. Elle s’accorde bien avec l’époque précédemment fixée de la composition du livre. Celle-ci ayant eu lieu dans les débuts du règne de Saûl, aucun personnage n’est mieux désigné pour cette œuvre que le prophète Samuel. Par ailleurs, le but que se proposait l’écrivain concorde parfaitement avec les paroles que Samuel adressait aux Israélites, I Reg., vii, 3, et avec les faits qu’il leur rappelait. I Reg., xii, 9-11. Cf. Kaulen, Einleitung, p. 182 ; Vigoureux, Manuel biblique, t. ii, p. 57 ; Cornely, Introd. specialis in hist. V. T. libros, p. 218-219 ; F. de Hummelauer, Comment, in lib. Jud., p. 29-32, etc.

IX. Autorité historique.

1° Il résulte de ce qui précède que le livre des Juges est l’œuvre d’un écrivain bien informé et sincère. Celui-ci, en effet, a été contemporain dune partie des faits qu’il raconte ; il a eu toute facilité de se renseigner. Pour narrer les événements qui s’étaient passés antérieurement dans l’intervalle de trois siècles à peu près, il a consulté des documents anciens et il les a reproduits intégralement, sans modifier le style, par exemple, le cantique de Débora, la fable de Joatham, etc. Il a aussi consigné par écrit des récits oraux, attachés à certains lieux et au souvenir de quelques personnages, Jud., ii, 5 ; iv, 5 ; vi, 24, 32 ; xv, 19 ; xviii, 12, 29 ; conservés et transmis de génération en génération en raison de leur intérêt ou de leur importance. D’ailleurs, on ne pouvait guère perdre la mémoire de si grandes misères et de si heureuses délivrances. Les rationalistes prétendent que la tradition orale sur les héros d’Israël, en particulier sur Gédéon et Samson, telle qu’elle a été recueillie par l’auteur, était déjà surchargée de légendes ou ornée de détails mythologiques. Ils rabaissent, il est vrai, la date de la composition du livre et donnent à la légende le temps de se former. Mais Samuel était plus rapproché des faits que le rédacteur deutéronomiste, et il n’y a pas de raison de révoquer en doute le caractère historique de ses récits. Il n’a pas inventé d’histoires pour combler les lacunes de sa narration. Sur Othoniel et sur les petits Juges, il reproduit fidèlement ses sources et il n’embellit pas leur histoire de circonstances imaginées à plaisir. Enfin, il ne cherche pas à plaire aux Israélites ; il raconte leur idolâtrie, leur corruption, leurs divisions et leurs querelles. Se proposant un but religieux et moral, il a dû pour l’atteindre, pour détourner efficacement les Israélites de l’idolâtrie et les attacher fidèlement au culte du vrai Dieu, ne rapporter que des faits certains, des exemples connus ; il ne pouvait appuyer avec succès sa thèse sur des légendes ou de vagues rumeurs. La fin qu’il poursuivait exigeait de sa part une parfaite sincérité, une véracité incontestable.

Les critiques rationalistes prétendent que le rédacteur qui a placé les événements dans le cadre de péchés suivis de châtiments et de repentir amenant le pardon et la délivrance, a donné à cette succession des faits un lien religieux, qui n’existait pas en réalité et qu’il a imaginé en vue de la leçon à en tirer. De fait, l’auteur du livre des Juges s’est borné à exposer la succession providentielle des événements. D’épisodes particuliers, plusieurs fois répétés, il a déduit avec raison une loi générale. Dans chacun des cas, en punissant quelques tribus, puis en recevant leur repentir, Dieu s’adressait à tout son peuple et le détournait fortement de tout culte idolâtrique. Les mêmes critiques disent que la chronologie du livre, elle aussi, est artificielle. Les histoires des Juges sont agencées de façon à former une succes sion ininterrompue de sauveurs. Toutefois, l’étude comparée du texte montre qu’il y a eu, à certaines époques, plusieurs juges à la lois, exerçant simultanément leur action sur divers points du territoire palestinien. Voir t. ii, col. 729. Cf. Vigouroux, Manuel biblique, t. II, p. 57-62. Sur d’autres explications proposées, voir Lagrange, Le livre des Juges, p. xli-xlv.

2° D’autre part, bon nombre de faits racontés dans le livre des Juges sont rapportés dans d’autres livres bibliques, quiengarantlssentainsila vérité. Ceux dont le récit forme la première introduction du livre des Juges étaient déjà consignés à peu près dans les mêmes termes dans le livre de Josué. L’expédition contre Dabir se trouve Jud., i, 10-15, et Jos., xv, 14-19 ; la mention des Jébuséens qui habitent Jérusalem, Jud., i, 21 ; Jos., xv, 63 ; la présence des Chananéens sur les confins de la tribu d’Éphraim, Jud., i, 29 ; Jos., xvi, 10, et sur le territoire de Manassé, Jud., i, 27, 28 ; Jos., xvil, 11-13. La mort de Josué est rappelée de la même manière, Jos., xxiv, 2831 ; Jud., ii, 6-9. La conquête de Lésem par les Danites, simplement indiquée, Jos., xix, 47, est longuement narrée dans un des appendices. Jud., xvii, xviii. Les livres postérieurs fournissent des témoignages analogues de la vérité des faits du livre des Juges. Samuel résume les ingratitudes d’Israël envers Dieu, son châtiment, son repentir et sa délivrance par plusieurs Juges, qu’il nomme, répétant ainsi le cadre même de tout le livre des Juges. I Reg., xii, 9-11. La mort d’Abimélech, fils de Gédéon, Jud., ix, 53, est rappelée par Joab. H Reg., XI, 21. Le sort qu’eurent les ennemis d’Israël, Sisara, Jabin, Oreb, Zeb, Zébée et Salmana sous les judicatures de Débora et de Gédéon, est souhaité à d’autres ennemis. Ps. lxxxii, 10, 12. L’histoire entière d’Israël à l’époque des Juges est poétiquement décrite avec ses quatre phases d’infidélité, de punition, d’humiliation et de secours. Ps. cv, 34-46. La défaite de Madian par Gédéon est, pour Isaie, ix, 4 ; x, 26, un grand jour de victoire, un jour célèbre qui sert de terme de comparaison. Osée, rx, 9 ; x, 9, rappelle deux fois le crime commis à Gabaa. Jud., xix-xx. L’Ecclésiastique, xlvi, 13-15, loue les Juges d’Israël, « qui ne se sont pas détournés du Seigneur, » et célèbre leur mémoire. Saint Paul, dans son discours à la synagogue d’Antioche de Pisidie, Act., xiii, 20, mentionne les Juges à leur place historique entre Josué et le prophète Samuel. Dans l’Épître aux Hébreux, xi, 32, il nomme quelques Juges et joint leur éloge à celui des rois et des prophètes. Aux yeux d’un chrétien, ces témoignages des Livres Saints garantissent avec l’autorité divine la vérité historique des faits cités et du cadre dans lequel tous les événements de l’époque des Juges sont distribués.

X. ÉTAT SOCIAL, POLITIQUE ET RELIGIEUX DES ISRAÉLITES

AU temps des Juges. — Pour se faire une idée exacte des événements racontés dans le livre des Juges, il est important de connaître l’état social, politique et religieux des Hébreux à cette époque.

1° Moise, leur législateur, ne leur avait pas donné de constitution politique ; il les avait laissés sous ce rapport dans leur état primitif, qui était le régime patriarcal. Fondé sur la famille et sur le droit de primogéniture, ce régime ne comportait guère d’autre organisation que celle de la famille. Le pouvoir du père sur ses descendants se transmettait de génération en génération aux aînés, et il n’était limité que par les usages reçus. Les tribus étaient constituées par les membres d’une même famille et formaient des dans indépendants. Elles n’avaient entre elles aucun lien politique, & Alors il n’y avait pas de roi en Israël et chacun faisait ce qui lui semblait bon. » Jud., xvii, 6 ; xviii, 1, 31 ; xxi, 24. Après la mort de Josué, chaque tribu achève de conquérir le territoire qui lui avait été assigné. Elles opèrent isolément, et si Juda propose à Siméon une action commune, c’est pour l’acquisition complète de son lot et à titrer.