Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome III.djvu/954

Cette page n’a pas encore été corrigée
1851
1852
JUGES (LIVRE DES)


uns de leurs arguments sont réfutés par le P. Cornely, Introductio specialis in historicos V. T. libros, p. 215-218.

Le P. Lagrange a exposé, dans Le livre des Juges, in-8°, 1903, Introduct., p. xxv-xxxvi, ce qui dans ces théories critiques lui paraît certain ou probable. Son dessein est de rechercher les sources dont s’est servi le dernier Tédacteur inspiré et qu’il a reproduites sans y faire de changements substantiels. Le corps du livre, qui pour lui commence, ii, 6, présente un caractère particulier, très nettement dessiné. Son auteur a écrit l’histoire des grands Juges suivant le cadre à quatre points : péché, châtiment, pénitence, délivrance. De plus, pour chacun, non seulement la durée de l’oppression et de la judicature est mentionnée, iii, 8, 11, 14, 30 ; iv, 3 ; v, 31 ; vi, 1 ; viii, 28 ; x, 8 ; xii, 7 ; xiii, 1 ; xv, 20, mais encore la délivrance est considérée comme s’étant étendue à tout Israël, iii, 10, 15 ; iv, 4 ; viii, 34 ; xii, 7 ; xv, 20. Toutefois, cette unité n’est pas rigoureuse ; elle est plutôt constituée par le cadre, dans lequel l’auteur a fait rentrer des matériaux préexistants. La preuve résulte d’un certain manque d’harmonie primordiale entre le cadre et les histoires qui y ont été insérées. Le rédacteur a introduit un nouveau point de vue qui n’était pas celui des auteurs primitifs, et a’insisté sur la leçon d’ensemble que les faits particuliers fournissaient à tout Israël. En effet, tandis que le cadre historique présente les juges comme les sauveurs de tout Israël, chacun d’eux, en réalité, n’a sauvé qu’une partie d’Israël. L’usurpation de la royauté par Abimélech est aussi en dehors du cadre et fait suite à. l’histoire de Gédéon ; cette histoire et celle d’Abimélech étaient donc antérieures au cadre. D’autre part, l’histoire d’Othoniel n’est que le cadre avec des noms propres ; elle est donc de l’auteur du cadre. Les autres histoires, notamment celle de Samson, qui diffère de son genre, n’est pas de lui. Le rédacteur a donc transcrit pour l’histoire des grands Juges, sauf pour celle d’Othoniel, des documents préexistants, qu’il a reproduits dans leur état primitif. Comme son œuvre propre présente une étroite affinité avec le Deutéronome, ce rédacteur est nommé deutéronomiste. L’histoire des petits Juges, bien que ne remplissant qu’une partie du cadre, rentre dans la chronologie du corps de l’ouvrage ; elle est donc, même plus probablement pour Samgar, l’œuvre du rédacteur deutérononomiste. La seconde introduction, ii, 6-m, 6, n’est pas entièrement de sa main ; tout ce qui se rattache à l’histoire de Josué a le cachet de la partie élohiste du récit.

Mais les histoires des grands Juges formaient-elles un seul et même ouvrage, ou bien autant d’ouvrages distincts, ou seulement deux histoires parallèles, jéhoviste et élohiste, combinées par un premier rédacteur ? Il faut distinguer les cas. L’histoire d’Aod est parfaitement une et très caractéristique. Celle de Samson lui ressemble et ne présente aucune trace de deux récits parallèles. Elles sont très vraisemblablement sorties de la même plume, J. L’histoire de Débora, qui est une elle aussi, est au contraire le type de l’histoire prophétique, E. Celle de Gédéon a été racontée au moins par deux auteurs, qui paraissent être J et E. Dans Jephté la dualité est moins accusée, le partage plus difficile à fixer. En résumé, pour les grands Juges, il n’y a que deux écrivains, car il n’y a que deux types d’histoire ou deux manières d’écrire. Si j n’est pas le jéhoviste du Pentateuque, il est du moins de son école ; Ese rattache plus clairement à l’histoire élohiste du Pentateuque ; la communauté d’idées et d’expressions prouve, sinon l’unité d’auteur, du moins la parenté intellectuelle avec ce récit élohiste.

La première introduction, I-li, 5, présente la marque encore plus accusée d’une rédaction d’après des sources. Elle renferme plusieurs passages qu’on lit dans le livre de Josué. Des deux livres, l’un n’a pas été copié sur l’autre ; il est plus vraisemblable que tous deux ont

puisé à une source commune. P. de Hummelauer, Comment, in Ub. Josue, Paris, 1903, p. 60-71 ; Lagrange, Les Juges, p. 27-32. Mais quelle est cette source et quel en est le rédacteur ? Est-ce j, histoire de la conquête de la Palestine ? N’est-ce pas plutôt un exposé de ce que les Israélites n’ont pas fait, en opposition avec ce qu’ils devaient faire ? Si elle avait existé, le rédacteur deutéronomiste l’aurait maintenue. Elle a été composée pour servir de première préface à l’ouvrage, d’après de très anciennes notices, dont une au moins est antérieure à la prise de Jérusalem par David, Jud., i, 21, et dont les autres semblent être du même temps, puisque l’assujettissement des Chananéens est attribué à la maison de Joseph, Jud., i, 35, et non au pouvoir royal.

Les appendices constituent un tableau de ce qui s’est passé avant l’institution de la royauté. L’histoire de Michas et des Danites, xvii, xviii, ne présente aucun indice sérieux du mélange de deux documents anciens ou de la transformation d’un document ancien par un rédacteur. Tout au plus a-t-elle subi quelques retouches. Il en est de même de la première partie de l’histoire de Gabaa, xix. Les chapitres xx et xxi paraissent, au point de vue littéraire, résulter de la transformation d’un ancien document par un rédacteur postérieur, qui serait l’auteur de la première introduction. Le document employé se rapporterait àe et non à j.

En résumé, la composition du livre de Josué aurait suivi cet ordre chronologique. Au début, deux groupes d’histoires, l’un racontant les épisodes des guerres de Jehovah, d’un style plus populaire, j, l’autre traçant d’une manière continue l’histoire religieuse de Josué à Samuel, E. Ils ont été soudés par un premier rédacteur de façon à former l’histoire des cinq grands Juges, écrite dans un but moral pour montrer le secours donné par Dieu à son peuple. Un second rédacteur deutéronomiste a accentué cette leçon, en l’appliquant à tout Isrær et en ajoutant l’histoire d’Othoniel et celle des petits Juges. Plus tard, quand on fit entrer le livre des Juges dans la série des ouvrages qui racontaient l’histoire complète d’Israël, un dernier rédacteur, l’auteur inspiré de tout le livre actuel, mit en avant une préface qui traçait le tableau général de la situation au début de cette période historique et ajouta les appendices qui n’avaient pas été employés par le rédacteur deutéronomiste. Quant aux dates de composition, les deux premiers documents, élohiste et jéhoviste, seraient de l’époque de David, sans qu’il y ait ici aucune raison décisive de priorité. L’élohiste se rattacherait à l’école de Samuel et le jéhoviste à la cour militaire de David. Du rédacteur qui les a combinés, on ne peut rien dire tant ses sutures sont bien faites. Le deutéronomiste est naturellement postérieur à la promulgation du Deutéronome en 621. La dernière rédaction pourrait être placée au temps d’Esdras, ^

Que penser de ces conclusions ? Réserve faite au sujet des rapprochements avec les prétendus résultats de la critique littéraire du Pentateuque, il est certain qu’il n’y a rien à leur opposer au point de la toi et de l’orthodoxie. La tradition catholique n’a pas d’enseignement précis touchant l’auteur et la date du livre des Juges. D’autre part, l’emploi de documents antérieurs se concilie avec l’inspiration divine de l’écrivain qui les met en œuvre. La question est donc d’ordre exclusivement critique. Nous ne nions pas non plus qu’il ne soit possible à un œil exercé de découvrir dans un livre les différentes sources desquelles il dérive. Les résultats obtenus sont certains, lorsque les documents primitifs ont été conservés à l’état isolé. En dehors de cette hypothèse, on n’aboutit souvent qu’à des conclusions vraisemblables ou simplement possibles. La vraisemblance dépend des indices, découverts dans le livre, de documents utilisés par l’auteur. Or, dans le cas particulier du livre des Juges qui, aussi loin que nous puissions