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GÉNÉALOGIE DE JÉSUS-CHRIST


Zorobabel Résa..Cela ne concorde guère. Pour établir l’harmonie il faut recourir à deux applications successives, assez compliquées, de la loi du lévirat ; — 2° Les noms de Salathiel et de Zorobabel purent être fréquents chez les Juifs, après la captivité, comme chez nous celui de Napoléon, après l’empire. On ne les retrouve pas dans les écrits de l’Ancien Testament ; mais il y a très peu d’écrits postérieurs à cette époque, et d’ailleurs les noms de Jacob et de Lévi, que nous rencontrons plusieurs fois dans nos listes et qui sans doute étaient communs, ne figurent dans l’Ancien Testament que" pour désigner les patriarches connus. Aucun de leurs homonymes n’est parvenu à la célébrité ; — 3° Quant à l’ordre identique, il n’a rien d’étonnant. Les noms illustres s’appellent mutuellement. Même chez les juifs modernes, un Abraham nomme volontiers son fils Isaac, et celui-ci donnera au sien le nom de Jacob. On obtient ainsi, dans des familles différentes, les mêmes séries bibliques. Cela peut fort bien être le cas pour Salathiel et Zorobabel.

III. Conciliation des deux généalogies.

Les systèmes de conciliation ayant une sérieuse probabilité V se réduisent à deux. — Première solution. — Saint Mat-I thieu donne la généalogie de Joseph et saint Luc celle de Marie. Ce système ne résout pas seulement la difficulté, il la supprime. Joseph descend alors de David par Salomon en suivant la ligne directe jusqu’à la fin j de là royauté ; Marie descend de David (par Nathan), et ses ancêtres, sauf peut-être Salathiel et Zorobabel, sont / tous inconnus dans l’histoire. À raison de sa simplicité et de sa valeur apologétique ce système a été adopté, depuis le xvie siècle, par un grand nombre d’écrivains, tant protestants que catholiques. Ses partisans ne se proposent pas précisément de le démontrer. Ils soutiennent qu’il peut être admis et cela suffit. En effet pour qu’une hypothèse réduise une objection à néant, c’est assez qu’elle soit vraisemblable. L’onus probandi incombe à l’agresseur. — Or, toujours d’après les défenseurs dece système, l’hypothèse en question réponde tout et ne se heurte à rien. 1° Elle est conforme au texte de saint Luc, iii, 23. Dans cette phrase : Kcft ocùtoç ^v 6 I’Ifiaovi â>aù Ètûv TptâxovTa àpx<5[<.svoç, &y (toç évofiiÇeTO 1 vjiôç’Iuxrrçfp) f°û’HXt, toO MoTSaT, xtX, mettez entre parenthèses les mots toç àvojifîêTo utbç’Iuxt-^ç, comme nous « ’avons fait ci-dessus, le sens sera : Jésus, qu’xrn croyait Mis de Joseph, l’était réellement d’Héli, fils de Mat-’that, etc. La construction est bien un peu dure, mais on rencontre chez les classiques des tournures assez analogues. Patrizi, De Evangeliis, t. III, diss. ix, cap. 19, in-4°, Fribourg, 1853, t. ii, p. 85. — 2° Une tradition respectable veut que le père de la sainte "Vierge s’appelât Joaçhim ; saint Luc, d’après ce système, lui donne le nom d’Héli. Il n’y a pas contradiction. Héli ou Éli est l’abrégé d’Éliachim, et Éliachim est l’équivalent de Joachim ; seul le nom divin diffère, El d’un côté, Jéhovah de l’autre. Dans.Judith, le même grand prêtre est appelé tantôt Joachim, xv, 9, tantôt Éliachim, iv, 5, 7, 11. — On élève contre ce système deux objections assez fondées. — 1° La tradition lui est contraire. — Saint Hilaire le mentionne bien (Mai, Nov. JBibl. Patr., t. i, p. 477), mais pour le repousser. Le moyen âgé, comme l’antiquité, semble l’ignorer. Au dire de Patrizi, il se présente d’abord, vers la fin du XVe siècle, sous le patronage d’Annius de Viterbe. C’est seulement au Xvie siècle qu’il fait ses premiers adeptes. Voilà des dits incontestables ; mais peut-être ne faudrait-il pas invoquer la tradition dans une question de ce genre. Les Pères ne cherchent ici qu’une réponse aux difficultés et ils souscriraient volontiers à toute solution satisfaisante. Saint Augustin avait soutenu d’abord l’hypothèse de l’adoption, mais dès qu’il connut l’explication de Jules Africain il s’y rallia. Retract., ii, 7, t. xxxii, « ol. 633. — 2° L’exégèse paraît forcée. — Il est certain

que le sens tiré des paroles de saint-Luc ne se présente pas naturellement à l’esprit ; autrement on n’aurait pas attendu le xvie siècle pour l’y découvrir. D’ailleurs la variante que préfèrent les modernes critiques àv uiôç, (iç Èvojii’ÇeTO, 'Ia><Tï|y toû’HXeî, rend ce système insoutenable.

Deuxième solution. — Les deux généalogies se rapportent à Joseph, mais « aint Matthieu donne les ancêtres naturels, saint Luc les ancêtres légaux. Ce système est ; exposé tout au long par Jules Africain dans sa lettre à Aristide, reproduite par Eusèbe. Migne, Patr. gr., t. XX, col. 89, et t. xxii, col. 965. L’auteur le fait remonter à des parents du Sauveur dont il ne met pas en doute la véracité. Mathan, descendant de Salomon et aïeul de Joseph, eut, dé sa femme Estha, un fils nommé Jacob. Après la mort de Mathan, sa femme Estha se maria à Mathat et en eut un fils, Héli. Jacob et Héli étaient donc frères utérins, ’descendant l’un de Salomon (par Mathan), l’autre de Nathan (par Mathat). Héli étant mort sans enfants, son frère Jacob, en vertu de la loi du lévirat, épousa sa femme et de cette union naquit saint Joseph, fils réel de Jacob et descendant direct de Salomon, fils légal d’Héli et, de ce côté, descendant de Nathan. Nous avons fait au système de Jules Africain un léger changement. Nous avons substitué le nom de Mathat à celui de Melchi, donné par l’auteur, peut-être par inadvertance, ou plutôt parce que, dans son manuscrit, Lévi et Mathat étaient omis, de sorte que Melchi suivait Héli sans intermédiaire. Cette leçon devait être assez répandue, car on la constate chez saint Ambroise et chez saint Grégoire de Nazianze. Voici maintenant le schéma simplifié du système :

Lignée de Salomon.

Mathan

Jacob

Estha

Lignée de Nathan.

^ — * Mathat « W

Si l’on admet que Salathiel et Zorobabel, nommés à la fois par saint Matthieu et par saint Luc, sont les mêmes personnages, il faudra faire intervenir deux fois encore la loi du lévirat pour expliquer la double déviation de la ligne généalogique. Voir Coræly, Introductio specialis in Nov. Test., p. 199. La chose n’est pas invraisemblable, la loi du lévirat devant être d’une application assez fréquente. On ne peut rien objecter de sérieux contre le système exposé ci-dessus. Il a un fondement historique très suffisant ; rien n’empêche donc de l’admettre et les rationalistes ont mauvaise grâce de lui opposer une fin de non-recevoir. Car il n’est pas question de certitude ; une solide probabilité nous suffit, pour fermer la bouche à ceux qui accusent les Évangélistes de se contredire. Aussi les interprètes protestants « les plus modérés » ont-ils tort de « renoncer définitivement à tout essai de conciliation ». Cf. A. Sabatier, dans Y Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 1878, t. v, p. 466.

Quelques catholiques ont peine à comprendre que la généalogie de Joseph puisse être la généalogie de Jésus, puisque Marie ayant conçu son divin fils par l’opération du Saint-Esprit, le sang de Jésus n’était pas le sang de Joseph. La difficulté, assez grande pour nous, n’émeut point les Pères qui adoptent unanimement cette explication ; elle n’aurait fait aucune impression dans les milieux imbus d’idées juives ; aussi Jules Africain ne la mentionne pas. Saint Augustin va jusqu’à écrire : a Si