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GÉNÉALOGIE


laræe elle-même, qu’on peut constater presque à chaque page de l’Ancien Testament. « Par suite de cette solidarité, dit fort bien l’abbé de Broglie, ouvr. cité, p. 102, le même nom propre signifie indifféremment, en principe général, un individu et une famille, tribu ou nation. Israël est le fils d’Isaac : Israël, c’est le peuple israélite. Juda, c’est le fils de Jacob : Juda c’est la tribu de Juda. Ce n’est pas par métaphore que les tribus sont désignées . par le nom de l’aïeul. Le sens ethnographique et le sens personnel et biographique sont aussi propres, aussi naturels l’un que l’autre. » Il y a plus. Le peuple finit par s’identifier avec le pays qu’il occupe. Le sol personnifie la race. Israël c’est à la fois le fils d’Isaac, le peuple hébreu et la Palestine ; Éphraïm c’est le fils de Joseph, c’est une des douze tribus et c’est le pays montagneux qui avoisine Sichem. « Voici les fils de Séir l’Horréen… voilà les chefs des Horréens qui commandèrent dans la terre de Séir. s Gen., xxxvi, 20 et 30. Dans la suite, fils de Séir devint synonyme d’Iduméens. II Par., xxv, 11, 14.

Il ne faudra donc pas être surpris de trouver, dans les tables généalogiques, des peuples et même des pays mêlés à des individus : le pays désignant par une métaphore, presque effacée à force d’être usuelle, la population qui l’habite. Ainsi Cham, fils de Noë, engendre Mesraîm (les deux Égyptes, la basse et la haute ; Mesraïm étant le duel de Mesr, usité encore en arabe pour indiquer l’Egypte). Mesraïm, à son tour, engendre les Ludim habitants du Delta), les Ànanim, les Laabim (Libyens), les Nephtuim (habitants de Memphis ; Naphtah, gens de Phtah), les Phetrusim (habitants de la Thébaïde ; P-tO-res, la terre du Sud), les Chasluim, souche des Philistiim (Philistins) et des Caphtorim (Cretois). Chanaan de son côté engendre Sidon (la Pêcherie), l’Héthéen, l’Amorrhéen, l’Hévéen, l’habitant d’Arka, d’Arad, de Simyra, de Hamath. Il n’y a pas là de mythe ; il y a filiation véritable ; seulement le nom de l’aïeul oublié est remplacé par le nom ethnique ou géographique.

Point de vue mnémonique.

À une époque où,

l’écriture étant inconnue ou peu répandue, les traditions antiques se transmettaient de père en fils, elles se figeaient aisément dans un cadre inflexible qui soulageât la mémoire et servît à conserver intacts les documents. Deux systèmes étaient en présence : versifier l’histoire, et c’est le moyen qu’adoptèrent la plupart des peuples depuis les Grecs et les Hindous jusqu’aux sauvages de l’Australie et de la Micronésie, ou bien recourir aux artifices mnémoniques, aux nombres sacramentels. Le choix de ces nombres fut déterminé par des considérations symboliques dont ce n’est pas ici le lieu d’étudier la nature et l’origine. Toujours est-il que le nombre dix, somme des doigts des deux mains, base de la numération, et le nombre sept, total des jours de la semaine, avec leur produit, 10 X 7 =70, furent pour les Hébreux les nombres mystiques par excellence. Il y a 10 patriarches antédiluviens, 10 patriarches postdiluviens. L’auteur des Paralipomènes énumère 70 descendants de Juda (I Par., ii, 3, 55), 70 descendants de Benjamin, toi, 1, 28. Le tableau ethnographique de la Genèse comprend 70 noms. Moïse aurait pu l’augmenter ou le réduire, car il mentionne des peuplades de peu d’importance et passe sous silence des races que certainement il connaissait. Les descendants de Jacob, comptés à l’occasion de l’entrée en Egypte, sont encore au nombre de 70. Mais plusieurs membres de cette liste étaient déjà morts et d’autres n’étaient pas nés encore. Cf. de Hummelauer, Comment, in Gènes., p. 572, et Pannier, Genealogise biblicæ, 1886, p. 272. On voit l’intention de l’auteur d’arriver au chiffre fatidique de 70. Ce n’était pas là un frivole jeu d’esprit. En s’arrêtant à un nombre sacramentel, on fermait la porte aux additions frauduleuses de noms nouveaux et on prévenait les omissions dictées par le désir d’abréger. Restaient les substitutions d’un nom à un autre, substitutions qui probablement se sont produites plus d’une

fois dans nos listes généalogiques, mais le mal était sans remède. Nous terrons bientôt que saint Matthieu a rangé les ancêtres du Christ en trois séries de quatorze membres chacune et cet artifice, partie symbolique, partie mnémonique, a eu pour résultat l’omission voulue de plusieurs intermédiaires. Ces remarques ont de" l’importance pour la question des lacunes sur laquelle les catholiques semblent de plus en plus tomber d’accord ; mais elles n’infirment en rien la véracité des écrivains inspirés, qui ont bien pu raccourcir leurs listes, pour les faire entrer dans leur cadre inflexible, mais non les allonger.

Point de vue juridique.

La loi du lévirat est

bien connue : « Quand, de plusieurs frères habitant ensemble, l’un mourra sans enfants, sa veuve ne se remariera pas à un étranger, mais le frère du défunt la prendra pour femme et le premier fils qu’elle enfantera succédera au nom du mort (mot à mot : se lèvera sur son nom, c’est-à-dire héritera de son nom et de ses biens), afin que le nom de ce dernier ne soit pas effacé d’Israël. » Deut., xxv, 5, 6. Suit la cérémonie ignominieuse que doit subir le beau-frère s’il refuse d’accomplir ce devoir. Voir Lévirat. C’était là une très ancienne coutume, Gen., xxxviii, 8, 14, 26, sanctionnée par Moïse par dérogation spéciale aux empêchements de mariage entre beau-frère et belle-sœur, édictés dans le Lévitique, xviii, 16 ; xx, 21. Le législateur ayant en vue, comme il le marque expressément, de prévenir l’extinction totale d’une famille, ce qui était considéré comme un grand malheur, le premier fruit de cette union était regardé, par une fiction juridique, comme le fils véritable du défunt. Il continuait la lignée de son père légal et dans un tableau généalogique il en adoptait tous les ancêtres. Nous concluons du cas de conscience posé par les Sadducéens, Matth., xxii, 24 ; Marc, xii, 19 ; Luc, xx, 28, pour embarrasser le Sauveur, que la loi du lévirat subsistait encore au temps de Jésus-Christ. Dans l’histoire de Ruth, c’est autre chose. Booz n’est pas le beau-frère (yâbdm) de Ruth, mais bien le plus proche parent (gô’êfy de son mari défunt. Il n’y a donc pas application stricte de la loi du lévirat ; mais l’exemple montre que l’usage tendait à élargir le principe posé par Moïse au lieu de le restreindre. Cf. Driver, Deuteronomy, 1895, p. 285.

Les Hébreux ne connaissaient pas l’adoption (voir Adoption) à la manière des Grecs et des Romains. Il n’y a pas trace non plus dans la Bible de cette filiation fictive, en usage chez quelques peuples, suivant laquelle un roi était considéré comme le fils et l’héritier de son prédécesseur. Mais on peut se demander si, outre la loi du lévirat, il n’existait pas d’autre mode de filiation légale, pouvant faire dévier une généalogie de sa marche directe, ou créer, pour un seul personnage, un double courant généalogique. La nature de notre travail ne nous permet pas de traiter à fond la question : nous appelons seulement l’attention du lecteur sur les points suivants.

On sait que la postérité de Jacob était divisée en douze tribus (maftêh ou Sêbéf, signifiant l’un et l’autre « verge », soit « branche vivante », d’après la métaphore usitée partout qui représente le chef de race comme une tige et ses descendants comme des rameaux, soit plutôt « branche morte », bâton de commandement, sceptre). Au-dessous de la tribu était la famille (mUpâhâh), groupe considérable de maisons sous un chef commun (comparez les sous-tribus arabes), qui s’était déjà constitué en Egypte. Au moment de l’Exode, le nombre des familles, sans compter la tribu de Lévi, était de 58. Num., xxvi ; Ruben en a 4, Siméon 5, Gad 7, Juda 5, Issaihar 4, 2Jabulon 3, Manassé 8, Éphk-aïm 4, Benjamin 7, Aser 5, Nephthali 4, Dan une seule. Mais ce nombre" était sujet à changer avec le temps. Une subdivision de la famille était la maison (bèf-db), enfin au bas de l’échelle sociale était le foyer représenté par le père de famille (viri Juda et Israël). Si le nombre des