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JOURDAIN


dans presque toute la vallée du Ghôr, sont taillés à pic et formés par une glaise jaunâtre, molle et peu résistante ; aussi, tous les printemps, au moment des crues violentes, les arbres placés trop près du fleuve sont-ils entraînés en quantité considérable ; quelques-uns, flottant au fil de l’eau, parviennent sans encombre jusqu’à l’estuaire. Beaucoup, au contraire, s’entassent les uns sur les autres, s’enchevêtrent d’une manière inextricable et forment des îles, hautes de plusieurs mètres, qui peuvent résister pendant plusieurs années à la force des flots. Ces épaves sont ensuite reprises et charriées au lac. Ainsi s’expliquent les digues de bois flottés que l’on trouve sur tous les rivages de la mer Morte. » L. Lortet, La Syrie d’aujourd’hui, 1881, p. 447.

Le Jourdain, dans la dernière partie de son cours, reçoit comme affluents, sur sa rive droite, Vouadi Fasaïl, dont le nom’rappelle celui de la ville hérodienne de Phasæl, Vouadi el-Aûdjéh, Vouadi en-Nûaiméh, qui prend sa source à l’Ain ed-Dùq (voir Doch, t. ii, col. 4455) et Vouadi el-Qelt que beaucoup croient être le torrent de Garith, Voir Carith, t. ii, col. 286. Les affluents principaux de la rive gauche sont Vouadi Ntmrin, dont le nom conserve le souvenir de la Bethnemra biblique (t. i, col. 1697), Vouadi Ke frein et Vouadi Hesbân qui prend sa source dans les collines voisines d’Hésébon dont il porte le nom (col. 659).

Le cours inférieur du Jourdain possède, "en dehors de l’époque de la crue, un certain nombre de gués qu’il est , facile de passer. Voir Gués du Jourdain, col. 1734.

Les rapides du Jourdain.

Comme nous l’avons

remarqué, col. 1721, les rapides sont nombreux dans le cours moyen et dans le cours inférieur du Jourdain. L’expédition américaine en compta vingt-sept dangereux et plusieurs autres de moindre importance, sans parler des brisants et des écueils qui sont très multipliés et de l’impétuosité du courant qui aggrave le péril. Lynch ne réussit qu’avec la plus grande difficulté à le descendre dans ses deux barques construites exprès, l’une en fer, le Fanny Mason, et l’autre en cuivre, le Fanny Skinner. On peut juger des obstacles qu’il dut surmonter par la description qu’a faite cet officier du passage du rapide situé en amont de l’embouchure du Yarmouk. On songea d’abord à transporter les canots au-dessous du rapide par terre, en suivant les rives du fleuve, mais la rivière étant encaissée entre deux hautes collines, il fallut y renoncer. La cascade avait onze pieds (3 mètres 35) de hauteur. « À cet endroit, raconte Lynch, Narrative, 1850, p. 189-190, il y avait une espèce de promontoire d’un angle d’environ soixante degrés, avec un rocher renflé en avant et menaçant, à ses pieds, juste dans le passage. Il était donc nécessaire de tourner presque à angle aigu en descendant, afin d’éviter d’être brisé en morceaux. Ce rocher était à l’extrémité extérieure d’un gouffre, véritable chaudière écumante, dans laquelle l’eau roulait en remous circulaires. Au dessous, il y avait deux rapides violents, d’environ cent cinquante yards (137 mètres) de longueur chacun, avec des pointes de rochers noirs émergeant au-dessus de la surface blanche et agitée. Au-dessous de ceux-là encore, à un mille (1600 mètres), deux autres rapides plus longs mais en pente plus douce et moins difficile. Heureusement, il y avait sur la rive gauche un grand arbuste d’environ cinq pieds (l m 65) de haut, là où le travail des eaux avait formé une espèce de promontoire. En nageant obliquement à quelque distance en amont, un des hommes prit l’extrémité d’une corde et l’attacha solidement autour des racines de l’arbuste. Il était bien douteux que les racines fussent assez fortes pour supporter la pression, mais il n’y avait pas d’autre alternative. Afin de ne pas risquer la vie de mes hommes, je me servis de quelques-uns des Arabes les plus vigoureux du camp et je les fil nager à côté des bateaux pour les guider et les sauver, s’il était possible, du péril. Ayant donc

DICI. DE LA BIBLE.

débarqué les hommes et ayant halé le Fanny Mason, nous le lançâmes et, relâchant la corde, nous le dirigeâmes au bord de la cascade, où il trembla et s’inclina sous la force et la violence du courant qui l’emportait. Ce fut un moment de vive anxiété. Les matelots avaient grimpé maintenant le long des berges et s’étaient échelonnés pour nous venir en aide, si nous étions jetés hors du bateau et emportés vers eux. Un homme était avec moi dans le bateau et tenait la corde. Des Arabes nus se tenaient sur les rochers et dans l’eau écumante, faisant des gestes sauvages et poussant de grands cris qui se mêlaient au bruit des rapides grondants… ; quatre de chaque côté étaient dans l’eau, s’accrochant au bateau et prêts à l’écarter, s’il était possible, du rocher, qui le menaçait. Le Fanny Mason, pendant ce temps, bondissait d’un côté à l’autre du torrent furieux, comme un cheval affolé, tendant la corde qui le retenait. Surveillant le moment où son avant serait dans la position convenable, je donnai le signal de lâcher la corde. Il s’élança avec impétuosité, plongea, rebondit en l’air ; le rocher était évité ; le gouffre, franchi ; le bateau, moitié plein d’eau ; et avec une vitesse à perdre haleinp, nous étions emportés sains et’saufs par le rapide. Quels cris et quels hourras ! La joie des Arabes semblait plus grande que la nôtre, mais elle consistait pour eux en manifestations extérieures, tandis que la nôtre était intime et profonde. Deux des Arabes perdirent pied et furent emportés au loin au-dessous de nous, mais ils furent sauvés, avec une légère blessure-pour l’un d’eux. »

Embouchure du Jourdain.

À une heure et demie

au sud A’eUHenu (col. 1736), le Jourdain déverse ses eaux dans la mer Morte, par deux bras marécageux divisés par un delta. Ces deux bras, lorsqu’ils entrent dans la mer, ont chacun une cinquantaine de mètres de large, sur une profondeur d’un mètre environ. Le delta est aujourd’hui recouvert par les eaux. Cependant, quoique l’eau soit peu profonde, il n’est pas possible de passer à gué en cet endroit, à cause du limon dans lequel bêtes et gens seraient rapidement engloutis. Le site lui-même est malsain. La chaleur dégage de la vase des vapeurs pest-ilentielles qui engendrent aisément des fièvres pernicieuses. — D’après des calculs plus ou moins approximatifs, l’apport du fleuve à la mer Morte est de six millions de litres par jour. Fr. Buhl, Geographie, p. 40.

A son embouchure, le Jourdain est à 392 mètres au-dessous du niveau de la Méditerranée. Comme nous l’avons vii, ses eaux, depuis la source de l’Hasbani jusqu’au lac Houléh, descendent de 437 mètres ; du lac Houléh jusqu’au lac de Tibériade, de 274 mètres, et du lac de Tibériade au lac Asphaltite, de 203 mètres. Sa chute totale est donc de 914 mètres, dont 520 seulement au-dessus du niveau de la Méditerranée. Lortet, Syrie, p. 451 ; Survey, Memoirs, t. iii, p. 169-170. C’est là un phénomène unique au monde.

On peut dire que la mer Morte est comme le tombeau du Jourdain. Il y disparait et n’en est jamais sorti pour continuer sa course et aller déverser ses eaux dans le golfe Élanitique, comme on l’a quelquefois supposé. Voir Morte (Mer). La masse d’eau que le fleuve apporte tous les jours dans cette dépression profonde est absorbée par l’évaporation, qui est très grande au fond de cette cuvette surchauffée.

VIII. L’eau du Jourdain. — « Le Jourdain est décrit bien diversement par les voyageurs qui l’ont vu de près : les uns le disent clair et limpide, presque azuré ; les autres affirment que c’est une rivière de boue, charriant à la mer Morte des ondes jaunâtres, tenant en suspension beaucoup de substances terreuses. Les uns et les autres ont raison. Au printemps et au commencement de l’été, le fleuve, enflé rapidement par la fonte des neiges duGrandHermon, des montagnes volcaniques du Djaûlan

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