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JONAS (LIVRE DE)


blement les fautes de Jonas : sa désobéissance aux ordres de Dieu ; son audace à discuter avec lui ; sa cruauté à vouloir la destruction de toute la ville de Ninive. Cet accent de sincérité conient mieux à Jonas lui-même qu’à un autre auteur ; car un autre auteur n’eût jamais dévoilé avec autant de franchise les faiblesses du prophète Jonas pour lequel les Juifs avaient tant de vénération. Cf. Cornely, Introductio specialis, t. ii, p. 564. 2° Preuves indirectes ou réponses aux objections.


Les objections contre l’authenticité sont de deux sortes : littéraires et philologiques. — 1. Littéraires. — a) On dit que l’auteur parle toujours à la troisième personne ; mais cette raison n’est pas concluante, car d’autres prophètes, tels qu’Isaïe, Jérémie et Ézéchiel, parlent parfois à la troisième personne. "— 6) On dit aussi que le récit n’a rien qui trahisse un témoin oculaire ; mais il n’a rien non plus qui dénote le contraire. — c) D’après, iii, 3, Ninive « était » une grande ville ; on en conclut qu’elle n’existait plus au moment où l’auteur écrivait et que par conséquent le livre est postérieur à la destruction de Ninive ; mais cet imparfait, hdyetâh (f, v, eral), peut être, comme disent les grammairiens, un imparfait synchronistique ; l’auteur se reporte au temps où il visita la ville, et par conséquent à un temps passé. — d) Le chapitre ii, 2-10, contiendrait des emprunts à certains Psaumes de date récente ; cf. Jon., ii, 2, et Ps. cxx, l ; — y. 3 et Ps. xviii, 4, 7 ; xlii, 7 ; —ꝟ. 4 et Ps. xlii, 8 ; — y. 5 et Ps. xxxi, 23 ; —ꝟ. 6 et Ps. xviii, 5 ; lxix, 2 ; — y. 8etPs. xviii, 7 ; cxliii, 4 ; — ꝟ. 9 et Ps. xxxi, 7 ; — ꝟ. -10 et Ps. iii, 9 ; xlii, 5 ; l, 14, 23 (d’après l’hébreu) ; mais, outre que beaucoup de critiques pensent que la prière de Jonas est antérieure aux Psaumes qui viennent d’être cités, même si l’on admettait que Jonas a puisé dans les Psaumes, il faudrait prouver que ces Psaumes sont de date récente et postérieurs au vine siècle avant J.-C, ce que l’on ne peut faire. — e) On affirme que le ton général et les sentiments accusent un auteur récent ; on insiste surtout sur « l’universalisme » du salut, qui est promis à tout le monde ; mais cet universalisme est enseigné par d’autres prophètes anciens. Cf. Is., ii, 2, 3 ; Ose., ii, 24, cité par saint Paul, Rom., ix, 25. — f) On ajoute que l’omission du nom du roi des Assjriens, dans le chapitre iii, prouve que ce roi n’était pas connu de l’auteur ; iii, 6, 1e simple titre : « roi de Ninive, » n’aurait jamais été donné au roi si celui-ci avait été encore en vie ; mais c’est le contraire qui est vrai : c’est surtout le roi régnant qu’on désigne simplement par son titre, au lieu de l’appeler par son nom propre. — 2. Preuves philologiques. — On prétend que le livre de Jonas contient des /ormes de date récente, des aramaismes : 1, 5, sefînâh, « navire ; » ce mot ne se trouve pas ailleurs, mais comme c’est un terme technique de marine, il a pu être emprunté aux Phéniciens, peuple navigateur ; — I, 6, rab, « chef » [des matelots !  ; ce mot était déjà employé à l’époque de Jérémie ; cf.Jer., xxxix, 9 ; — 1, 6, [hithpahel] du verbe’àSat dans le sens de « penser » ; ce mot se trouve à la forme kal dans Jer., v, 28 ; Dan., vi, 4 ; Ps. cxlvi, 4 ; ne se trouve plus ailleurs ; c’est unaramaisme qui s’explique bien par le dialecte galiléen, propre à Jonas ; — i, 7, be-Séllemî, « en quoi, pourquoi ; » i, 12, selli, « en quoi, parce que ; » IV, 10, Se « que ; » dans ces mots on emploie la forme abrégée ëa [w] pour la pleine’asér ["lira] ; cette forme abrégée se trouve dans des livres plus anciens ; cf. Jud., v, 7 (bis) ; vi, 17 ; et Cant., i, 6, 7 ; viii, 12 ; — ii, 1, 2 ; iii, 2, qâra’, dans le sens de « prêcher » ; ce mot se trouve avec la même signification dans Exod., xxxii, 5 ; Is., xl, 6 ; xliv, 7 ; lviii, 1 ; Jer., ii, 2 ; vii, 7 ; Joël, iv (hébreu), 9 ; Prov., i, 21 ; rai, l ; xs, 1 ; — i, 4, hêtil, « susciter ; » ce mot se trouve dans I Sam. (Reg.), xviii, 11 ; xx, 33 ; — i, 11, 12, Sâfaq, « se taire ; » se trouve dans Prov., xxvi, 20 ; — ii, 1 ; iv, 6, quhel de) mânâh, « préparer, » employé comme dans j Par., ix, 29 ; Dan., i, 10, 11 ; ce mot se trouve sous

d’autres ormes dans Num., xxiii, 10 ; II Reg., xxiv, 1, IV Reg., xii, 11 ; Is., lxv, 12 ; Jer., xxxiii, 13 ; Job, vii, 3 ; le pihel peut donc s’expliquer par le dialecte galiléen ; — iii, 7, ta’am dans le sens de « jugement » ; cf. Dan., iii, 10, 29 ; I Esd. (hébreu), vi, 14 ; vii, 23 ; c’est là un mot technique pour désigner les édits des rois assyriens et babyloniens ; l’auteur prouve par là qu’il connaissait les usages assyriens ; — iv, 10, ’âmal, « travailler ; » ce mot se trouve dans Deut., xxvi, 7 ; Jud., v, 26 ; — IV, 11, ribbô, « mille ; » ce mot se trouve sous la forme rebâbâh dans Lev., xxvi, 8 ; Deut., xxxii, 30 ; Jud., xx, 10 ; au duel on le trouve dans Ps. lxviii (hébreu), 18 ; — I, 9, locution, ’Ëlôhê haè-sâmaîm, « Dieu du ciel ; » cette locution se trouve dans Gen., xxiv, 3. — En résumé, si l’on excepte quelques termes techniques et quelques idiotismes galiléens, la langue du livre est parfaitement régulière.

IV. Caractère historique du récit.

i. opinion DES rationalistes. — La critique négative nie le caractère historique des faits racontés dans le livre de Jonas, mais les explique de manière très diverse. — Pour H. von der Hardt, Less, Palmer, Krahmer, le récit est une simple allégorie ; pour Eichhorn, c’est une légende ; pour Augusti, Renan, Muller, c’est un conte ; pour Koster, Jager, Hitzig, c’est une fiction prophétique didactique ; pour Grimm, c’est le récit d’un songe ; pour d’autres, c’est un mjthe, emprunté au mthe grec d’Hésione (Rosenmùller, de Wette, Friedrichsen, Forbizer), ou au mjthe babylonien d’Oannès (Baur) ; R. Simon, Pareau, Gesenius. Jahn, Winer, Knobel, Nicmeyer, Paulus, Ewald, Driver y voient un enseignement didactique ou une parabole ; Driver va même jusqu’à dire que le but du livre est une explication pratique de la doctrine de Jérémie, xviii, 7-8 ; cf. Trochon, Les petits prophètes, p. 220, 221, 224, 225 ; Cornély, Introductio specialis, t. ii, 2, p. 562 ; Driver, Introduction, p. 323, 324 ; J. Friedrichsen, Kritische Vebemcht uber die verschiedenen Ansichten uber Jona, 2e édit., Leipzig, 1841 ; Ed.Riehm, dans les Theologische Studienund Knliken, 1862, p. 413.

II. PREUVES EN FAVEUR DU CARACTÈRE HISTORIQUE. —

° Directes. — 1. L’insertion aucanon juif’. Commenous l’avons déjà dit, les Juifs mirent le livre de Jonas au nombre des livres prophétiques ; cela prouve qu’ils étaient convaincus de son historicité ; s’ils n’y avaient vu qu’une parabole, ils l’auraient mis au nombre des hagiographes.

— 2. La tradition juive. Cette tradition nous est parvenue par deux voies : — a) le livre de Tobie, xiv, 4 (texte grec), mentione explicitement les paroles de Jonas louchant la destruction de Ninive ; — 6) l’historien Josèphe, Ant. jud., IX, x, 2, résume le livre de Jonas comme un document historique. — 3. Notre-Seigneur, dans le Nouveau Testament, parle de l’engloutissement de Jonas dans le ventre d’un poisson comme d’un fait réel. Matth., XII, 39-41 ; xvi, 4 ; Luc, xi, 29, 30, 32. — 4. Arguments intrinsèques : a) La mission de Jonas à Ninive concorde très bien avec les circonstances historiques de son époque : c’est à peu près à cette époque que s’établissent les premières relations entre l’Assjrie et Israël ; cf. Ose., v, 13 ; x, 6 ; quelques années après la mort de Jéroboam II, sous lequel avait vécu Jonas, et sous le règne de Manahem, le roi d’Assyrie Phul [= Théglathphalasar III] (745-727 avant J.-C.) envahit le royaume d’Israël. Cf. IV Reg., xv, 19, 20. — 6) La description de Ninive qu’on lit dans Jonas, iii, 3, s’accorde avec les renseignements donnés par les historiens classiques. Cf. Diodore de Sicile, ii, 3. Les travaux modernes ont confirmé d’une manière assez exacte ce que dit Jonas sur les dimensions de Ninive. Cf. Layard, Nineveh and Babylon, Londres, 1853 ; Id., Nineveh and its Remains ; Oppert, Expédition en Mésopotamie, Paris, 1862 ; Jones, Topography of Nineveh, dans le Journal of the Ii. Asialic Society, 1855, t. xv, p. 297-335 ; G.Raw-