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JOB (LIVRE DE)


sance à cause du péché originel, etc. — Pineda voit dans ces lamentations l’expression d’une charité parfaite. Il montre comment, dans le délire de la passion, les amants s’accusent d’injustice et de cruauté, appellent la mort, maudissent le destin. — Les Juifs, suivis en cela par beaucoup de protestants et de rationalistes modernes, ne craignent pas de dire que Job a blasphémé et qu’il est tombé dans le désespoir. Mais cette opinion est inconciliable avec les éloges dont les saints Pères comblent Job et avec la manière dont Dieu le traite après l'épreuve. — Cherchons l’explication ailleurs. 1. La perfection de l’Ancien Testament n’est pas celle du Nouveau. L’amour de la croix, le désir des injures, sont des vertus réservées aux disciples du Crucifié. Il ne faut pas les demander aux patriarches, encore moins à un juste vivant sous la loi naturelle. Du reste on ne doit pas viser à tout excuser en Job, puisque Dieu le reprend et qu’il reconnaît lui-même sa faute. — 2. Le langage de Job est poétique. Hyperboles, prosopopées. adjurations à la mort, à l’enfer : autant de figures que la poésie tolère et que la prose repousserait. Le lecteur attentif rétablit la balance et remet tout au point. — 3. En exhalant ses plaintes, Job n’a pas seulement en vue d’alléger ses peines ; il veut prouver à ses amis la grandeur de ses maux. Les mœurs orientales autorisent, en pareil cas, des cris de désespoir, des exagérations qui nous semblent dépasser toute mesure, si on les passe au crible d’une rigide théologie. — 4. C’est plutôt la psychologie qu’il faut consulter. Une douleur extrême, en diminuant la réflexion et la liberté, suggère des paroles peu d’accord avec la froide raison. D’ailleurs, n’oublions pas que le langage de Job n’est pas proposé sans réserve à notre imitation. Tout ce qu’on peut faire c’est d’en atténuer la hardiesse et d’en expliquer l’imprudence.

Science de la nature.

Aucun autre livre sacré

n’offre autant de points de contact avec les sciences profanes. On trouve dans Job des allusions à l’astronomie, ix, 7-9 ; xxxviir, 31-33. à la cosmologie, xxvi, 7-10, à la météorologie, xxxvi, 27-32 ; xxxvii, 3-6, 9-13, 21-22 ; -xxxviii, 1-11, au travail des mines, xxviii, 1-11, etc., surtout à la zoologie, xxxix-xli. On a toujours admiré la description du cheval, xxxix, 19-25, de l’hippopotame (Béhémoth), xl, 15-24. et du crocodile (Léviathan), 25-32 ; celles de l’onagre, xxxix, 5-8, de l’autruche, 13-18, de l’aigle, 27-30, ne révèlent pas une observation moins fine ni un art moins achevé. De plus, l’auteur de Job tire continuellement ses comparaisons et ses métaphores des arts ou des sciences naturelles, de la gravure, de la musique, de l’agriculture, de la géographie, de la médecine, etc., et c’est ce qui rend son style si brillant, si varié et si pittoresque. Rien de plus saisissant, par exemple, que la peinture des caravanes trompées par le mirage, vi, 15-20.

Morale.

Elle est résumée au chapitre xxxi qui

est en quelque sorte l’examen de conscience de Job. Il y énumère les principaux devoirs des grands de ce monde et se rend le témoignage de les avoir fidèlement remplis. Il a évité les fautes contre la pureté, xxxi, 1-4, contre la justice, ꝟ. 5-15 (fraude, ꝟ. 5-6, vol, ꝟ. 7-8, adultère, ꝟ. 9-12, oppression des faibles, ꝟ. 14-15), contre la charité, ꝟ. 16-23 (refus de l’aumône, ꝟ. 16-18, mépris des pauvres, ꝟ. 19-20, violences, ꝟ. 22-23) ; il a évité aussi les péchés d’avarice, ꝟ. 24-25, de superstition, ꝟ. 26-28, d’envie, *. 29-30, d’inhospitalité, ^. 31-32. d’orgueil, ꝟ. 33, de pusillanimité en présence du devoir, ꝟ. 34. Ce chapitre, qui rappelle l’abrégé de morale contenu au psaume xv (xiv), a sa contrepartie dans le réquisitoire d'Éliphaz contre Job, xxii, 2-11 (usure, ꝟ. 6, dureté envers les malheureux, ꝟ. 7, rapines, ꝟ. 8, oppression des veuves et des orphelins, ꝟ. 9, présomption orgueilleuse,

The’cdicée.

Tout le monde sait qu’elle est très

développée dans le livre de Job. La descriptior de la

nature et des attributs de Dieu remplit presque la moitié du poème. Jamais peut-être, sauf dans Isaïe et les Psaumes, n’ont été plus magnifiquement célébrées la puissance de Dieu, ix, 5-10 ; xxvi, 5-14, sa sagesse, xxviii, 20-28, sa justice, xxxvi, 5-11, sa prudence, xxxiv, 21, xxiii, 10, sa perfection incompréhensible, xi, 7-9.

5* Job et les fins dernières. — Il serait très intéressant d'étudier de près les idées du livre de Job sur la vie, sur la mort, sur le se'ôl, sur l’au-delà avec ses châtiments et ses récompenses. Mais ce travail, pour être utile, exigerait de trop longs développements. Cf. J. Royer, Die Eschatologie des Bûches Job, dans les BiLlische Studien, Fribourg-en-Brisgau, 1901. Le texte le plus intéressant et le plus ardemment discuté est Job, xix, 23-27.

Qui me donnera que mes paroles soient écrites ?

Qui me donnera qu’elles soient tracées dans un livre,

Gravées sur le plomb avec un poinçon de fer,

Sculptées sur le roc (pour durer) à jamais ?

Oui, moi je sais que mon goel est vivant,

Et qu'à la fin il surgira sur la poussière (du tombeau) ;

Et quand ma peau sera tombée en pièces, ceci (arrivera)

Que de (ou loin de) ma chair je verrai Dieu.

Moi, je le verrai pour moi,

Mes yeux le verront et non pas un autre.

Mes rems défaillent dans mon sein !

Voir pour l’exégèse de ce passage : Rose, Étude sur Job, xix, 25-27, dans la Revue biblique, 1896, p. 39-55 ; Patrizi, De mterpret. Script, sacrée, Rome, 1844, t. ii, 237-253 ; Corluy, Spicilegium, Gand, 1884, t. i, p. 278296, etc. — Clément Romain, 1 Cor., 26, t. i, col. 265 ; Origène, In Matth., xxii, 23, t. un, col. 1565 ; saint Cyrille de Jérusalem, Catech., xviii, 15, t. xxxiii, col. 1036 ; saint Épiphane, Ancorat., 99, t. xliii, col. 196 ; saint Ambroise, In Psalm. cxrni, serm. x, t. xv, col. 1336, saint Jérôme, Epist. ad Paulin., lui, 8, t. xxii, col. 545, y voient une preuve de la résurrection. Au contraire, saint Jean Chrysostome, Epist. u ad Olympiad., 8, t. lui, col. 565, nie que Job connût la résurrection. Saint Justin, Athénagore, saint Irénée, Tatien, Didyme d’Alexandrie, saint Isidore de Péluse, Théodoret, saint Jean Damascène, et en général les Pères grecs, ayant à parler de la résurrection, n’invoquent pas le témoignage de Job, mais c’est parce qu’ils ne pouvaient pas en soupçonner la portée et le véritable sens, la version grecque, la seule qu’ils eussent entre les mains, ayant mal traduit et dénaturé Job, xix, 23-27. Pour saint Chrysostome, en écrivant sa lettre, peut-être n’avait-il pas notre passage présent à l’esprit ; d’autant plus que, dans son commentaire, il paraphrase ainsi la pensée de Job : Puisse Dieu ressusciter ma peau qui a souffert tout cela ! Il ajoute : « Job n’ignorait donc pas, à mon avis, la résurrection des corps ; à moins qu’on ne dise que la délivrance de ses maux était la résurrection (qu’il espérait). » T. lxiv, col. 621. Les versions anciennes sont également favorables à l’opinion qui trouve dans le texte de Job l’expression de la résurrection ; toutefois, beaucoup moins clairement que la Vulgate. Cette exégèse est confirmée par les faits suivants : 1. Job n’attend plus rien de ce monde ; il regarde sa mort comme prochaine et assurée, du reste, il ne conserve plus aucun espoir icibas, x, 20-22 ; xiv, 13 ; xix, 10. — 2. La solennité de ce qui précède, xix, 23-24, et de ce qui suit, 28-29, promet au lecteur quelque chose d’extraordinaire. C’est le ton des grandes prophéties messianiques. Voir Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., t. iv, p. 596-601. — En tout cas, l’annonce de Job ne se vérifie pas dans la théophanie, car Dieu ne surgit pas sur la poussière (du tombeau) mais parle du sein de la nue ; d’ailleurs la théophanie était tout à fait imprévue et inespérée.- — 4. Notez encore l’expression « mon œil le verra » qui expliquée je verrai Dieu » et qui serait en-