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JOB (LIVRE DE)


d’idées échangées entre les interlocuteurs. Parfois l’écrivain fait de l’un des personnages son porte-parole : dans notre poème, nous l’avons vii, c’est Éliu qui remplit ce rôle. En tout cas, les choses admises sans discussion par tous les interlocuteurs, comme ici la providence, la justice, la puissance, la sainteté de Dieu, contiennent certainement la pensée de l’auteur. Pour l’exégète, il importe peu que le dialogue soit fictif ou réel, ainsi que saint Thomas l’a très bien remarqué : au contraire, s’il est fictif, le sens en ressortira avec plus de netteté et de certitude ; car on sera sûr que rien d’oiseux, d’étranger au sujet, ne se mêle au développement régulier des idées et des caractères. D’ailleurs, même dans un thème historique, l’écrivain intelligent élague les digressions inutiles, rétablit l’ordre souvent troublé par le hasard de la conversation, en un mot prête à ses personnages non pas exactement ce qu’ils ont dit mais ce qu’ils devaient dire. — 2° Sens spirituel. — Pour regarder Job comme le type de Noire-Seigneur, nous avons l’autorité de plusieurs Pères et des analogies frappantes. Des deux côtés : 1. dignité princière, 2. épreuves imméritées, 3. éloignement apparent de Dieu, 4. souffrances du corps, 5. agonie de l’âme, 6. abandon des amis et des proches, 7. Satan investi du pouvoir de tenter et de persécuter, 8. plaintes causées par l’excès des douleurs, 9. résignation, force et humilité dans la souffrance, 10. récompense et gloire finales. Cf. Tirin, Comment., édit. de Turin, 1882, t. ii, p. 712. Mais en dehors du Christ, aucune autre figure prophétique bien caractérisée et sur laquelle on soit d’accord n’exisle dans ce livre. Dans les trois filles de Job, la glose voit les trois vertus théologales ; Nicolas de Lyre, la Trinité ; saint Bruno, les trois parties du monde. Pour saint Éphrem, l’onagre figure Satan ; pour saint Grégoire, c’est le Verbe incarné ; pour saint Augustin, c’est le vrai serviteur de Dieu. Et ainsi des autres détails. Ces incertitudes et ces contradictions nous montrent que les explications mystiques, dont les anciens commentaires sont remplis, sont moins des sens typiques ou spirituels que des sens accommodatices, légitimes sans doute et même louables s’ils nourrissent la piété et portent à l’édification, mais sans valeur aucune pour l’intelligence du texte sacré.

VII. Sujet du livre.

Opinions diverses.

Le livre

de Job appartenant au genre didactique, tout en ayant la forme d’un drame, doit renfermer une idée dominante et développer une thèse. Saint Thomas, dans le Prologue de son Expositio in Job, Opéra, édit. Vives, 1875, t. xviii, p. 1, croit que l’objet de l’auteur est de démontrer la providence. Mais, comme le fait justement remarquer Nicolas de Lyre, le sujet d’un dialogue ne saurait être ce dont tous les interlocuteurs conviennent, autrement le dialogue n’aurait pas lieu : or, tous sont pleinement d’accord sur le dogme de la providence. — Nicolas de Lyre lui-même, suivi par Cordier, Estius et plusieurs autres, n’est guère plus heureux, en soutenant que le poème a pour but de combattre la fausse persuasion où étaient les Juifs que tous les biens et les maux terrestres sont le fruit de leurs bonnes ou de leurs mauvaises actions. La fausseté de cette opinion ressort déjà nettement du prologue et, si la discussion n’avait pas d’autre objet, elle serait finie avant de commencer. — Il faut opposer la même objection aux auteurs (Meinhold, Scharer, Schlottmann, Ràbiger, Szold, Preiss) qui formulent ainsi la thèse du livre :  ; Y a-t-il sur la terre une vertu désintéressée ? C’est là l’objet de la gageure céleste et le point de départ de tout le récit, mais ce n’est nullement le sujet du dialogue lui-même. — La grande majorité des écrivains modernes, qu’ils soient catholiques, protestants ou rationalistes, énoncent parfaitement le problème : Quelle est la cause des maux de cette vie ? ou, d’une manière plus spéciale et en appliquant la thèse à la situation de Job : Pourquoi le juste souffre-t-il ? Seulement la solution


est très différente suivant les* auteurs. — Un groupe considérable de théologiens protestants (Michælis, Ewald, Dillmann, Delitzsch) cherche la réponse à la question proposée dans le rôle de Job et c’est alors, soit l’espérance de la vie future qui ferait contrepoids aux maux de cette vie, soit cette sage maxime, que, dans notre ignorance des conseils de Dieu, il faut les adorer et nous taire. Bien que ces deux idées puissent être des éléments partiels de solution, ce n’est pas la solution même. En effet, l’existence d’une vie future ne supprime pas le problème des maux de cette vie et l’obligation de nous soumettre aux décrets de Dieu ne nous en montre pas la sagesse. Aussi Job, après avoir exprimé les pensées ci-dessus, continue à se plaindre et à chercher, ch. xxix-xxxi : preuve qu’il n’a pas trouvé ce qu’il cherche. — D’autres écrivains, presque tous rationalistes (Bertholdt, Eichhorn, Knobel, Vatke, Arnheim, Steudel, Hirzel, Renan, Kuenen, Merx, Hitzig, Studer, Reuss, Cheyne, Smend, Bruch, Meier, Bleek, etc., d’après Budde, Dos Buch Hiob, 18%, p. xxviii), unanimes à rejeter comme apocryphe le discours d’Éliu, demandent la solution finale au discours de Jéhovah, qui peut se résumer ainsi : L’homme doit s’abstenir de scruter les sages mais insondables conseils de Dieu. En d’autres termes : Si le problème a une solution, elle est inaccessible à l’homme. Avec ces prémisses, on était autorisé à considérer l’auteur de Job comme un sceptique. Mais il est étrange et invraisemblable que le poète ait dépensé tant de travail et de génie pour aboutir à cette conclusion que sa question n’a pas de réponse et que son problème est une énigme.

Sentiment commun des catholiques.

Le problème :

Pourquoi le juste souffre-t-il ? est non seulement énoncé mais résolu. Cf. Vigouroux, Manuel bibl., 11° édit., t. ii, p. 288 ; Cornely, Introductio II, II, p. 44 ; Lesêtre, Le Livre de Job, Paris, 1886, p. 15 ; Knabenbauer, Comment, in Job, Paris, 1886, p. 9 ; Zschokke, Hist. ant. Testam., 3e édit., Vienne, 1888, p. 241 ; Welte, Das Buch Job, Fribourg, 1849, p. xiv ; Kaulen, Emleilung, 3° édit., 1890, p 298. Plusieurs protestants, notamment ceux qui admettent l’authenticité des discours d’Éliu, tels que Budde, Cornill, Wildeboer, Kamphausen, Stickel, sont, en substance, du même avis ; seulement quelques-uns établissent une distinction inutile et peu justifiée entre le but de l’ouvrage populaire (parties en prose) et celui du poème. — C’est dans le discours d’Éliu qu’il faut chercher la solution. Les trois amis s’en tiennent à l’opinion vulgaire que la vertu est toujours récompensée dès ici-bas et par conséquent nient l’existence même du problème. Job, ignorant la cause de ses épreuves, ne peut opposer à leurs fausses théories que ses protestations d’innocence. Le lecteur, il est vrai, est dans une situation plus favorable et connaît en partie le mot de l’énigme : enpartie seulement, car la cause des malheurs de Job est trop spéciale pour l’étendre et la généraliser. Éliu parait. L’auteur, qui met dans la bouche de cet inconnu sa propre doctrine, le représente comme un adolescent, peut-être pour montrer que la solution n’est pas si ardue, qu’elle n’exige qu’un esprit droit et loyal. Les peines de ce monde ne sont pas uniquement vindicatives ; elles sont encore médicinales. Elles sont un antidote contre la présomption et l’orgueil ; elles purifient de ces fautes vénielles dont nul homme n’est exempt. — À ces causes générales que la raison aperçoit, il faudrait en ajouter une autre : la tentation du démon permise par Dieu. C’est la principale dans le cas présent ; mais les interlocuteurs ne peuvent la soupçonner. Le lecteur plus instruit en tire cette leçon que, même dans l’obscurité des voies de Dieu, il convient à l’homme de croire à la sagesse divine et de l’adorer.

VIII. Analyse du dialogue et progrès de la discussion. — i.mosologuedejob, m. — Job maudit le jour

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