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JEPHTE


qu’elle avait reçu leur approbation ou qus peut-être quelques-uns de ses parents étaient parmi ces anciens. — Sans se laisser rebuter par ces invectives, ils insistèrent pour qu’il revînt avec eux au pays de Galaad ; il y consentit, mais en imposant cette condition, qu’ils acceptèrent, que, s’il triomphait des Ammonites, il conserverait le titre et l’autorité de chef de son peuple.

Nous rencontrons ici deux choses pareillement nouvelles dans l’histoire d’Israël depuis la conquête de Chanaan : l’initiative du peuple dans le choix du libérateur, jusque-là désigné directement ou indirectement par Dieu, et ce libérateur demandant à continuer l’exercice du pouvoir souverain, une fois sa mission remplie, au lieu que jusqu’ici les juges rentraient dans la vie privée après avoir accompli l’œuvre de la délivrance. Nous voyons ?ussi, d’autre part, que cette prétention n’a soulevé aucune objection dans l’esprit des anciens. C’est qu’on commençait à sentir plus vivement, après tant d’épreuves, les inconvénients de l’état anarchique où l’on vivait ; on voyait mieux combien la vie nationale s’en trouvait affaiblie et à quelle impuissance Israël était réduit’faute d’un pouvoir central capable de réunir, d’utiliser et de diriger toutes les forces du pays. Ce sentiment s’était déjà hautement manifesté lorsque, après la victoire sur les Madianites, les enfants d’Israël voulurent faire roi Gédéon et rendre la royauté héréditaire dans sa famille. Jud., viii, 22. Le règne de son fils Abimélech, bien qu’il fût le fait d’une usurpation et que le peuple n’eût pas lieu d’être satisfait de cette expérience, avait pu montrer néanmoins quelques-uns des avantages de l’unité nationale assurée par le gouvernement d’un seul. Et c’est vraisemblablement-pour cette raison que la demande de Jephté ne rencontra non plus aucune opposition chez le peuple, qui ratifia le consentement de ses princes en proclamant Jephté son chef suprême lorsqu’il se présenta devant lui à Maspha. Jud., si, 5-11.

Après son élection, Jephté « dit toutes ses paroles de^ant le Seigneur à Maspha ». Jud., xi, 11. Les mots « devant le Seigneur » indiqueraient, d’après certains commentateurs, qu’il y avait à Maspha un lieu sanctifié ou l’on honorait Dieu et, par conséquent, un autel sur lequel étaient offerts des sacrifices. Cf. Jud., xi, 31 ; I Reg., x, 17. D’autres pensent que cette formule signifie simplement que Dieu fut pris à témoin de ce qui se passait, comme cela avait eu lieu dans l’entrevue de Jephté et des anciens. Jud., xi, 10. Il n’est pas facile d’ailleurs de bien entendre ce que l’auteur veut dire en écrivant que Jephté « dit toutes ses paroles devant le Seigneur à Maspha ». La meilleure explication paraît être celle qu’adoptent beaucoup d’interprètes, entre autres Calmet et Fr : von Hummelauer sur ce passage : Jephté fît connaître au peuple ses conventions avec les anciens et lui exposa ses projets de défense ; le peuple, de son côté, donna son approbation à ce qui avait été fait et au plan de son nouveau chef, et l’on se promit de part et d’autre fidélité en prenant Dieu à témoin de cet engagement. Cf. I Reg., xi, 14-15.

La vie que le fils de Galaad avait menée jusqu’alors pouvait faire croire qu’il recourrait immédiatement à la force ouverte pour éloigner les Ammonites. Il n’en fut rien. L’homme de guerre songea d’abord aux moyens pacifiques ; il tenta de s’expliquer et de s’entendre avec le roi des Ammonites, et il se montra dans cette négociation aussi habile diplomate qu’il avait paru jusque-là intrépide guerrier. Il envoya à ce prince des députés avec mission de lui demander pour quels motifs il était venu dévaster son pays. La réponse du roi fut qu’Ammon ne faisait que revendiquer un territoire qui lui appartenait, de l’Arnon au Jaboc et au Jourdain, et dont les Israélites s’étaient injustement emparés par la force des armes, après leur sortie d’Egypte ; il demandait donc de rentrer pacifiquement dans son bien. Ce langage si catégorique ne laissait guère espérer une solution par voie

diplomatique. Jephté voulut cependant faire une nouvelle tentative et envoya une seconde ambassade. Il avait d’abord simplement demandé le motif de l’invasion et des attaques des Ammonites ; maintenant qu’ils ont fait connaître leurs griefs, il va leur prouver le mal fondé de leurs prétentions : La contrée occupée par Israël au delà du Jourdain appartenait d’abord aux Amorrhéens ; les Ammonites et les Moabites n’ont donc rien perdu par le fait de la conquête israélite. D’après ce que Jephté dit ici et plus loin des Moabites, il y a lieu de croire qu’ils faisaient en ce moment cause commune avec les Ammonites, soit comme alliés soit comme tributaires. Jephté insista même principalement sur ce qui regardait les Moabites, peut-être parce que ce peuple étant plus sédentaire que les Ammonites et sa frontière du côté d’Israël se trouvant nettement déterminée par le cours de l’Arnon, Jud., xi, 18, il était plus aisé de montrer que les Hébreux ne lui avaient rien enlevé en s’emparant du pays situé au nord de ce fleuve. Dans un exposé fidèle et succinct de la marche d’Israël, qui confirme en le résumant le récit des Nombres, xx, 14-21 ; xxi, 11-13, Jephté rappelle que, loin d’avoir voulu nuire à Moab, les Israélites avaient eu soin, au contraire, de ne dépasser nulle part sa frontière. Ils auraient également respecté les possessions de Séhon, s’il leur avait permis de les traverser pour atteindre le Jourdain ; mais il s’opposa à leur passage à la tête d’une puissante armée et le Seigneur lui ôta son royaume pour le donner à Israël, son peuple. Num., xxi, 21-31. Est-ce que celui-ci, tenant ces terres de Jéhovah, son Dieu, qui les a conquises pour lui, ne les possède pas à un aussi juste titre que les Ammonites possèdent celles que leur dieu Chamos leur a données ? Jephté confirme fort habilement cette preuve juridique par la conduite des Moabites relativement au domaine de ces contrées : Balac, contemporain et témoin des faits, n’a pas regardé la conquête israélite comme une injustice exercée à son préjudice ; son langage prouverait même le contraire, Num., xxii, 4-6 ; et s’il en était autrement, comment expliquer que, durant les trois cents ans écoulés depuis, les Moabites n’aient soulevé aucune réclamation ? On s’explique encore moins le silence gardé par les Ammonites eux-mêmes sur les droits qu’ils revendiquent maintenant. C’est un argument péremptoire de prescripion en faveur d’une possession commencée sans contestation de la part de ceux qui auraient pu et dû protester, et continuée paisiblement pendant trois siècles. Jephté conclut donc à bon droit que les Ammonites n’ont aucun juste motif d’inquiéter les Hébreux et que la guerre qu’ils veulent leur faire est une entreprise inique. Aussi s’en remet-il avec confiance au jugement de Dieu. Jud., xi, 12-27.

Sur ce discours que Jephté met dans la bouche de ses envoyés, il y a deux observations à faire. D’abord les trois cents ans dont il est question ici sont apparemment un chiffre rond qui ne peut nous renseigner exactement sur l’époque à laquelle commença la judicature du fils de Galaad. Ensuite, le parallèle qu’il établit entre les droits de Chamos et ceux de Jéhovah est un simple argument ad hominem qui devait être d’un grand poids aux yeux des deux partis, étant donné la croyance des antiques peuples orientaux à l’intervention de la divinité dans les affaires, les guerres et tous les événements de ce monde. Il n’y a donc pas lieu d’accuser Jephté de monolâtrie et de voir dans son langage une preuve que, de son temps, les Hébreux n’étaient pas encore parvenus jusqu’au monothéisme, comme le voudraient certains rationalistes qui invoquent les paroles de Jephté pour confirmer leur théorie sur l’évolution religieuse d’Israël. Jephté n’avait pas en ce moment à faire valoir l’excellence suprême de Jéhovah et le néant de Chamos ; il parlait en homme politique, et il aurait commis une insigne maladresse s’il avait tenu dans cette circonstance le langage que,