Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome III.djvu/644

Cette page n’a pas encore été corrigée
1241
1242
JÉHOVAH (THÊODICÉE)


comment tout est sorti de ses mains créatrices. Le Psaume cm (hébreu civ), qu’on peut appeler l’hymne de la création, répète en style magnifique la même chose. L’expression « Il a fait le ciel et la terre » devient courante pour désigner l’acte créateur. Ps. cxxi (cxx), 2 ; cxxiv (cxxm), 8 ; cxxxiv (cxxxm), 3. — Bu reste, la création n’est guère mentionnée dans les Livres Saints que pour exciter en nous des sentiments de gratitude, de confiance, d’admiration, d’amour. Cf. Ps. xxxiii (xxxii) ; lxxxix (lxxxviii), 9-15 ; Is., xlii, 5 ; xliv, 24 ; xlv, 12, 18 ; xl viii, 13 ; li, 13. D’une manière spéciale, la formation de chaque homme est immédiatement attribuée à Dieu, Ps. cxxxix (cxxxviii) 13-18 ; Job, x, 8-12 ; l’homme est aux mains de Dieu, comme l’argile aux mains du potier. Is., xxix, 16 ; xlv, 9 ; Jer., xviii, 6. Mais rien absolument n’est indépendant de Dieu, rien n'échappe à sa puissance, rien ne résiste à sa volonté. Voir Création, t. ii, col. 1102. Une fois tirés du néant, les êtres finis ne se suffisent pas encore ; il faut que Dieu leur conserve l’existence. Pour anéantir un être, Dieu n’a qu'à retirer son bras, Is., xxxi, 3 ; Job, xxxiv, 14 ; si l’esprit de Dieu cesse de résider en l’homme, celui-ci disparaît. Gen., vi, 3.

Cache-leur ta face, ils sont consternés ;

Retire ton souffle, ils défaillent

Et rentrent dans leur poussière.

Tu envoies ton souffle, ils reprennent vie

Et tu renouvelles la face de la terre.

Ps. civ (cm), 29-30. Cf. Ps. xc (lxxxix), 3. — La providence n’est qu’un corollaire de la création et de la conservation. Elle est d’ailleurs enseignée d’une manière explicite, surtout dans Job et les Psaumes. Job, xxxviii-xxxix ; Ps. civ (cm) 10-18 ; cxxxvi (cxxxv), 25 ; cxlv (cxiiv), 15-16. Pour les prophètes, voir Zschokke, Théologie der Propheten, 1877, p. 138-147. Dieu a établi les grandes lois de la nature et veille à leur maintien ; tous les événements de ce monde, grands et petits, dépendent de lui, et de lui seul ; il envoie la pluie et la sécheresse, l’abondance et la stérilité, le glaive, la famine et la peste ; les êtres les plus infimes sont l’objet de ses soins. — En résumé : 1. Dieu est distinct du monde et souverainement indépendant de lui ; il façonne et change le monde à son gré, mais il ne le tire pas de son essence ; il le crée et le transforme d’une parole. Rien ne peut être plus opposé à l'émanation panthéistique que l’enseignement de la Bible. 2. Dieu et la matière ne sont pas deux puissances contraires, ennemies ; tout ce que Dieu fait est bon, et tout ce qui existe est fait par Dieu. Il n’y a donc pas trace de dualisme zoroastrien. 3. Dieu enfin se réserve le droit d’intervenir dans le monde qu’il a créé. Sa grandeur n’est pas l’isolement et sa majesté n’est pas l’indifférence, selon l’erreur d'Épicure et des stoïciens, car il est sage et bon et il agit toujours pour une fin digne de lui, c’est-à-dire pour sa gloire. Voilà pourquoi le miracle, tout en restant une dérogation aux lois physiques établies par Dieu, devient quelque chose de réglé et de naturel quand il sert à promouvoir la gloire divine et la vie morale de l’homms.

IX. Théodicée du Nouveau Testament.

Le Dieu des chrétiens reste manifestement le même que le Dieu d’Israël, Matth., xv, 31, le Dieu des patriarches, Act., m, 13 ; xxii, 14, Jéhovah en un mot. Cependant il n’a plus son nom de Jéhovah. Kûpioj, « Seigneur, » dont les Septante se servaient pour traduire le tétragramme sacré, est devenu le nom de Jésus-Christ (sauf dans les citations de l’Ancien Testament) et Dieu est désigné par ®ed ? (avec ou sans article), mot par lequel les Grecs désignaient la divinité en général, comme aussi les divinités particulières. — La révélation étant progressive, l’idée de Dieu sera plus parfaite. Les principaux progrès concernent : la nature de Dieu, sa vie intime et ses rapports avec les hommes.

t. PROGRÈS DE L’IDÉE DE DIEU RELATIVEMENT À SA

nature. — Les écrivains du Nouveau Testament affirment que Dieu est un, c’est-à-dire unique, avec plus d’insistance et par des formules plus énergiques. I Cor., vin, 4 ; Gal., iii, 20 ; Eph., iv, 6 ; I Tim., ii, 5 ; Jac, ii, 19. Ils évitent avec plus de soin les anthropomorphismes, dont les Gentils à convertir pourraient être choqués ; cependant ils parlent toujours de la colère de Dieu. Rom., 1, 18 ; Eph., v, 6 ; Col., iii, 6 ; Apoc, xrx, 15. —Les trois formules de saint Jean méritent d'être rappelées ici :

1° Dieu est esprit : Ilvjûjia <S ©e6 ;, Joa., iv, 24. Dieu étant souverainement spirituel, son culte ne peut être lié à un lieu déterminé, tel que Jérusalem ou le mont Garizim ; il ne saurait être non plus suffisamment honoré par des cérémonies corporelles, figuratives : il lui faut un culte digne de lui, qui réponde à sa nature spirituelle, indépendant du lieu, dégagé de la matière. Voilà pourquoi saint Jean ajoute aussitôt : Ses adorateurs doivent l’adorer en esprit et en vérité

2°D » eu est lumière : '0 ©eô? <p15 ; iaxt, et il n’y a point en lui de ténèbres. I Joa., i, 5. Non seulement il est l'Être pur, entièrement lumineux, que ne voile aucune ombre, c’est-à-dire que ne limite aucune imperfection, mais il est aussi pour les hommes une source de lumière surnaturelle. Joa., i, 4, 9 ; xii, 46. Quiconque marche dans les ténèbres de l’infidélité ou du péché n’est point en société avec Dieu, puisqu’il se soustrait volontairement à la lumière et ne cherche pas à reproduire en lui la perfection de la nature divine où tout est lumineux, sans mélange de ténèbres. C’est la conclusion de saint Jean, dont la pensée rappelle le mot de saint Jacques, i, 17 : « Toute grâce excellente et tout don parfait viennent d’en haut, du Père des lumières, en qui il n’y a ni variation d'éclat ni ombre d’obscurcissement. »

3° Dieu est amour : 'O ©eôç àyaTtï) èori’v. I Joa., iv,

8, 16. Possédant la plénitude de l'être, Dieu déborde de biens et les répand avec profusion autour de lui. C’est là un effet de son amour, dont la plus grande [marque, selon saint Jean, d’accord avec saint Paul, consiste à nous avoir donné son Fils unique. Joa., iii, 16 ; I Joa., IV,

9, 10, 14 ; Rom., v, 8 ; viii, 32, etc.

II. PROGRÈS DE L’IDÉE DE DIEU RELATIVEMENT À SA VIE

INTIME. — Tous les Pères et théologiens catholiques, avec un grand nombre de théologiens protestants, à commencer par Luther, trouvent dans l’Ancien Testament des vestiges de la Trinité. Voir Petau, De TrmiL, 1. II, c. vu ; Franzelin, De Deo trino, th. vi. La plupart des écrivains protestants contemporains, du moins en Allemagne, sont d’avis contraire, bien que plusieurs admettent un faible germe de cette idée dans les temps qui précédèrent immédiatement le christianisme. — La révélation trop claire de la tnnitô eût été un danger pour le monothéisme ; aussi est-elle cachée sous un voile que seuls peuvent percer des regards pénétrants, mais que l’avenir soulèvera. Nous n’en voyons aucun indice dans le pluriel du nom divin Élohim. Sur ce nom, voir t. ii, col. 1701.

Les vrais indices sont : 1. Les expressions où Dieu parle de lui-même comme de plusieurs. Gen., l, 26 ; iii, 22 ; xi, 7 ; Is., vi, 8. Il est difficile, Gen., l, 26, d’associer à Dieu les anges, comme le font les rabbins, car l’homme est fait à l’image de Dieu et non à l’image des anges. Isaie affirme, vi, 1, qu’il vit Jéhovah et lui parla : or saint Jean, xii, 21, assure qu’Isaïe vit le Fils de Dieu, et saint Paul, Act., xxviii, 25, fait dire au Saint-Esprit les paroles qu’Isaie attribue à Jéhovah. — 2. Plusieurs textes dédoublent Jéhovah et parlent de lui comme s’il était virtuellement multiple : « Le Seigneur dit à mon Seigneur, » Ps. ex (cix), 1 ; « Jéhovah fit pleuvoir sur Sodome et Gomorrhe du souffre et du feu de la part de Jéhovah. » Gen., xix, 24. Ce dernier texte, employé par quelques Pères, fut allégué au concile de Sirmium.