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JÉHOVAH (NOM)


toute durée, parce qu’il est infini ; « l’alpha et l’oméga, le principe et la fin, qui est, qui était et qui sera, le tout-puissant. » Apoc., 1, 8. Les Juifs du xive siècle avant J.-C. comprenaient-ils tout ce qui est contenu en germe dans le tétragramme et sa définition ? Moise en sondait-il lui-même toute la profondeur ? Il n’est pas nécessaire de le penser. Mais le Saint-Esprit, à qui rien n’est caché, pouvait le dicter à l’auteur sacré dans une sorte de révélation latente que les siècles futurs se chargeraient d’interpréter. Voir les textes des Pères dans Franzelin, De Deo uno, 3e édit., 1883, thesis xxiii, p. 279-286.

VU. Nouvelle révélation du nom divin. Exod., vi, 28. — 1° Circonstances et portée de la nouvelle révélation. — Le premier message de Moise fut accueilli par les Hébreux avec foi et actions de grâces. Exod., iv, 31. Mais bientôt, devant le refus obstiné du roi et la recrudescence de la persécution, un revirement se produisit. Les Israélites murmurèrent, Exod., v, 21, le découragement gagna jusqu’à Moïse. Dieu lui rendit confiance en lui promettant un secours auquel rien ne pourrait résister : « Je suis Jéhovah. Je me suis manifesté à Abraham, à Isaac et à Jacob, en qualité d’ElrSaddaï, mais sous mon nom de Jéhovah je ne me suis point révélé à eux. » Exod., vi, 3. Notons pour justifier cette traduction : 1. Que les deux verbes n*n, râ’âh, « voir, » et7V, yada’, <a connaître, » au niphal, doivent se prendre ici au sens réfléchi, comme c’est souvent le cas pour le niphal hébreu et pour la forme arabe correspondante, la VIIe. Cf. Konig, Syntax der hebr. Sprache, 1897, p. 3. Par conséquent, on traduira dans le premier membre : Je me suis fait voir, je me suis manifesté (Septante : wçOyiv ; Vulgate : apparui) ; dans le second : Je ne me suis pas fait connaître, je ne me suis pas révélé. — 2. Notons encore que le mot ^oît, « mon nom, » analogue à un accusatif grec absolu, comme dans Gen., iii, 15 (Konig, Syntax, p. 373), doit se traduire : « Quant à mon nom de Jéhovah, » ou bien : « Sous mon nom de Jéhovah. » Les Septante : xal ta ô’vo(<, à u-ou Kùpco ; où* èSvjiwira avreoîç, et la Vulgate : et nomen meum Adonaï non indicavi eis, obscurcissent le texte, en rendant par un équivalent le tétragramme mn> qui serait ici absolument nécessaire, et d’un autre côté commentent le passage, en lui étant le sens ambigu qu’il a dans l’original, pour ne lui laisser signifier que la révélation du nom même de Jéhovah. Ces versions ne sont pas plus heureuses dans l’autre membre de phrase : « Je me suis manifesté en [qualité de]’£.J-Saddaï ; "Û<f9/iv … ©eôç ûv aùtwvj apparui … in Deo omnipotente. »

2° Le nom même de Jéhovah est-il révélé pour la première fois ? — Les réponses à cette question sont contradictoires. D’après les uns, le nom de Jéhovah était connu des patriarches ; mais, jusqu’à Moise, Dieu n’en avait pas révélé le sens profond, la signification intime. Les patriarches ne pouvaient pas ignorer que mn> signifie « il est », mais peut-être ne comprenaient-ils pas que l’être est l’attribut caractéristique de Dieu, celui qui exprime le mieux son essence. Ils n’avaient de tout cela qu’une connaissance matérielle, confuse, en tout cas peu distincte, surtout en comparaison de celle de Moïse. Ainsi pensent l’auteur de la Glose, Nicolas de Lyre, Tostat, Cajetan, Bonfrère, et un grand nombre d’exégètes modernes. Leurs raisons sont bien résumées par Cornely, Introduct. in S. S., t. ii, part, i, p. 109, qui les approuve. Les deux plus fortes sont : 1. Que le nom de Jéhovah entre comme élément dans des noms propres antérieurs à l’Exode, tout au moins dans celui de Jochabed, mère de Moise. — 2. Que Jéhovah est très souvent nommé, avant la révélation de l’Horeb (d’après Davidson cité par Frz. Delitzsch, Genesis, p. 57, 116 fois dans les Técits, 49 fois dans les dialogues) et il est difficile d’admettre un emploi aussi fréquent de la figure appelée pro lepse ou anticipation. — Cette difficulté cependant n’effraye pas d’autres commentateurs tels que Théodoret, Cornélius à Lapide, Calmet, etc. Voir Franzelin, De Deo uno, 3e édit., 1883, p. 272. Tous admettent la prolepse et disent que le nom de Jochabed, qui auparavant aurait été par exemple Élichabed, a pu être changé plus tard, comme Joachim devient Éliachim ou réciproquement. Cf. Fr. de Hummelauer, Comment, in Gen., 1895, p. 4-14. — La diversité des sources utilisées par Moïse paraît suffisante pour expliquer la diversité des noms divins employés dans la Genèse.

3° Qu’est-ce que « se manifester en’Êl-Saddaï » et « se révéler sous le nom de Jéhovah » ? — Un certain nombre d’exégètes, Rupert, Hugues de Saint-Cher, Vatable et plusieurs savants contemporains jugent que la controverse exposée ci-dessus n’a pas de raison d’être, que du moins elle doit rester étrangère à notre passage. Dans le texte de l’Exode, vi, 3, il ne s’agit pas du nom même de Jéhovah, mais de la chose désignée par le nom, d’une qualité inhérente au nom. En effet « ; apparaître en’Êl-$addai », ou « se manifester en qualité de’Êl-ëaddai » ne leur semble pas synonyme de « révéler ou expliquer le nom de’Êl-Saddai ». De même « se révéler quant au nom ou sous le nom de Jéhovah » ne leur paraît pas l’équivalent de « révéler ou expliquer le nom de Jéhovah ». F. Robiou, La révélation du nom divin Jéhovah à Moïse, dans La science caihol., 1888, p. 618-624, cite de nombreux exemples où le mot égyptien ran ou ren, « nom, » signifie la manière d’être, la qualité, la nature : Tu as réparé (un temple) en ton nom de roi, est-il dit de Ramsès II, c’est-à-dire « en ta qualité de souverain, après avoir ceint la couronne ». Delattre, S. J., Sur un emploi particulier des mots « nom » et « nommer » dans la Bible, dans La science catholique, 1892, p. 673-687, constate un usage analogue dans l’Écriture. Être nommé, c’est exister ; n’être pas nommé, c’est ne pas exister, tout comme dans le récit chaldéen de la création. « Mon nom est en lui, » Exod., xxiii, 21, signifie « mon autorité et ma puissance ». Voir encore Van Kasteren, S. J., Jahvé et El-Schaddai, dans La science catholique, 1891, p. 296-315. — C. Robert, La révélation du nom divin Jéhovah, dans la Revue biblique, 1894, p. 161-181, expliquant Exod., vi, 3, expose ainsi sa pensée : « Il y a antithèse entre la manière d’agir de Dieu avec les Israélites et la manière d’agir de Dieu avec leurs pères. » Avec ces derniers il a été El-Schaddai, avec les premiers il sera Jéhovah. Chaque fois que le nom d’El-Schaddai revient dans la Genèse (six fois en tout, Gen., xvii, 1 ; xxviii, 3 ; xxxv, 11 ; xlhi, 14 [le nom seul paraît ici sans commentaire] ; xlviii, 3 ; xlix, 25 [Schaddaï sans El]), il semble appeler toujours les idées de fertilité, de fécondité des hommes et des animaux, avec la promesse de la terre de Chanaan. Aussi plusieurs savants de nos jours dérivent-ils ni de to = jo, « arroser, » et en rapprochent-ils Ttf, « mamelle, » comme le fait Jacob mourant : « Que Saddaï t’accorde la bénédiction des mamelles, » anur. Gen., xlix,

25. D’après cette manière de voir, qui semble bien plausible, Jéhovah remplace El-Schaddai au moment où le clan patriarcal devient nation. Jéhovah sera le Dieu du « peuple élu » comme El-Schaddaï était le Dieu de la « famille élue ». El-Schaddaï multiplie les siens et les fait prospérer, Jéhovah les délivre de la servitude et leur donne l’autonomie politique ; El-Schaddai leur promet la terre de Chanaan, Jéhovah la leur livre ; enfin El-Schaddaï est le protecteur d’une race privilégiée, Jéhovah est le goël de la théocratie judaïque, d’où germera l’Église du Christ.

VIII. Théodicée de l’Ancien Testament. —Après avoir exposé ce que nous enseigne l’Écriture sur le nom de Dieu, il nous reste à dire ce qu’elle nous apprend sur ça nature et sur ses attributs.