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JÉHOVAH (NOM)

Je-suis (n’ns) m’envoie vers vous. Dieu dit encore à Moïse : Tu parleras ainsi aux enfants d’Israël : Jéhovah le Dieu de vos pères, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob m’envoie vers vous ; c’est là mon nom à jamais et mon vocable dans toutes les générations. » Exod., iii, 13-15. —

Moise demande donc à Dieu son nom véritable et Dieu exauce sa prière. U est impossible, en lisant le texte, de n’être point frappé par la solennité de la réponse divine qui se divise en trois temps, séparés par la formule trois fois répétée : « Et Dieu dit, » vay-yômér. —

Le premier temps renferme la définition du nom qui va être prononcé : Je suis celui qui suis. Le syriaque, la version samaritaine, le Targum d’Onkelos et la version persane de la polyglotte de Walton reproduisent le texte hébreu sans modification ; la Vulgate traduit : Ego sum qui sum ; les Septante : ’Eytà el|it ô wv ; Aquila et Théodotion, dans les fragments des Hexaples : "Ë<ro|xat ec-ou.ai (qu’il faut évidemment corriger en : "E<70|jiai Se e<jo(/, at) ; l’arabe : Al’azaliyiïltadhy là iazûlu (l’Éternel qui ne cesse pas) ; le Targum de Jonathan paraphrase, à son ordinaire : « Celui qui a dit et le monde a été, qui a parlé et tout a existé ; » enfin le Targum de Jérusalem : « Celui qui a dit au monde : sois ! et il a été, et qui lui dira : sois ! et il sera. » —

Le second temps sert de transition et applique la définition ci-dessus au nom qui va suivre : Je-suis m’a envoyé vers vous, c’est-à-dire celui qui peut s’appeler soi-même Je suis, rvnH. Ici encore le syriaque, les versions samaritaine et persane, les Targums d’Onkelos et de Jérusalem retiennent le mot hébreu. La Vulgate rend : Qui est misit me ad vos ; au lieu de Sum nuisit me ad vos, ce qui fait penser à tort que Dieu a prononcé le nom définitif. Les Septante traduisent : ’O wv àxiatalvii (xe iipos t3|ia « ; le Targum de Jonathan : « Jesuis-celui-qui-suis-et-qui-serai m’a envoyé vers vous. » L’arabe ne rend pas ce membre de phrase. —

Enfin le troisième temps contient le nom lui-même : Jéhovah, Dieu de vos pères. L’hébreu, la version samaritaine et le Targum d’Onkelos ont mrr, la Vulgate Dominus, les Septante Kvpeoc, l’arabe Allah, le syriaque Morio’, « le Seigneur. »

Sens de la phrase : « Ego sum qui sum. »

Quelques interprètes (Michælis, Aben-Ezra, etc.) la divisent en deux propositions dont la seconde donne la raison de la première : « Je suis, car je suis » véritablement ; ou bien en mettant les verbes au futur : « Je serai, car je serai » avec vous, fidèle, miséricordieux. Effectivement "WN a quelquefois dans l’Écriture le sens de’-, Gen., xxxi, 49 ; Deut., iii, 24 ; mais ce sens est si rare qu’il faut l’établir pour chaque cas particulier et non le supposer. Cette interprétation, qui influe d’ailleurs assez peu sur le sens général du passage, est donc arbitraire et inadmissible. —

D’autres comparent l’expression Ego sum qui sum, à certaines manières de parler fréquentes dans Ttscriture, Exod., IV, 13 (Mitte, quem missurus es) ; xxxiii, 19 ; IV Reg., viii, 1, etc., et traduisent ainsi : « Je suis qui je suis. » Dieu refuserait de répondre soit parce qu’il trouve la demande de Moïse indiscrète, soit parce qu’il ne lui plaît pas de la satisfaire, soit enfin parce qu’il est indéfinissable comme il est [incompréhensible. Mais Dieu refuse si peu de dire son nom qu’il en donne immédiatement après l’équivalent n>rw, et, au verset suivant, le révèle en toutes lettres. —

La seule version acceptable est donc : « Je suis celui qui suis. » En français nous dirions plutôt, sans changer le sens : « Je suis celui qui est. » Mais l’autre traduction, plus conforme au génie de l’hébreu, est généralement reçue et il n’y a nul inconvénient à la conserver.

Sens du mot mn ».

mn>, nous l’avons dit, signifie « il est » et, employé substantivement, « celui qui est, » ce que les Septante rendent heureusement par le participe à iv. Mais s’agit-il de l’être métaphysique, ne désignant que l’existence même, ou de l’être historique qui est une manifestation passagère de l’activité divine dans le temps ? La plupart des exégètes protestants tiennent pour l’être historique :

1. L’être métaphysique, disent-ils, est une conception trop abstraite pour ces temps primitifs. —

2. Le verbe n>n, hâyàh, indique plutôt le devenir que l’être permanent. —

3. L’imparfait désigne de préférence l’action de quelqu’un qui entre en scène. —

4. Le « Je suis celui qui suis » du verset 14 paraît renvoyer au « Je serai avec toi » du verset 12, et Osée, i, 9, semble faire allusion à ces deux textes quand il dit de la part de Dieu : « Je ne serai plus avec vous. » —

Quelques-unes de ces raisons sont spécieuses, mais elles ne résistent pas à un examen attentif. Les partisans de l’être historique doivent, dans la phrase « Je suis celui qui suis », suppléer arbitrairement quelque chose que rien ne suggère, par exemple : Je suis celui qui suis avec vous, ou bien : Je suis celui qui suis fidèle à mes promesses. L’ellipse, dure dans la phrase « Je suis celui qui suis », est tout à fait inadmissible après n’-N, « Je suis, » nom sous lequel Dieu se désigne lui-même, et après mn>, nom dont il veut être appelé par les autres. Si Dieu avait voulu marquer cette relation historique spéciale, il se serait choisi un nom comme Emmanuel, « Dieu est avec nous, » il n’aurait pas proposé au peuple, désireux de comprendre, une énigme indéchiffrable. D’ailleurs il est faux que n>n désigne l’être en mouvement plutôt que l’être stable ; il est faux également que l’imparfait marque toujours une entrée en scène. L’imparfait hébreu est un véritable aoriste qui fait abstraction du temps et s’emploie à ce titre dans renonciation des maximes générales. Cf. Driver, Hébreu) tenses, 1892, p. 38. Sans doute, le participe aurait exprimé aussi bien et mieux la permanence ; mais le participe de n » n est presque inusité ; la seule exception est Exod., IX, 3, et les noms propres formés d’un participe sont rares en hébreu.

Aussi les défenseurs les plus résolus de l’être historique y mêlent-ils une dose plus ou moins forte d’être métaphysique. D’après Œhler, Théologie des A. T., 1882, p. 142, les trois éléments contenus dans le concept de mn> sont :
1° l’indépendance ;
2° la constance absolue ;
3° la fidélité.
Driver, Beb. tenses, ^. M, expose ainsi le bu de la révélation du Sinai : « En premier lieu, montrer que la nature divine est indéfinissable, qu’elle ne peut être définie adéquatement que par elle-même ; ensuite, montrer que Dieu, n’étant limité par rien d’extérieur, est conséquent avec lui-même, fidèle à ses promesses, immuable dans ses desseins. » Tout cela est bien métaphysique ; pas plus cependant que les spéculations égyptiennes de la même époque. Nous croyons donc pouvoir conclure sans hésitation avec M. Barns, dans la Revue biblique, 1893, p. 338 : « Puisqu’on a renoncé depuis longtemps à considérer l’imparfait hébreu comme un futur, et que l’usage de la langue n’oblige pas à lui donner le sens d’un devenir, puisque la tradition ancienne est fixée, puisque le caractère absolu des expressions a obligé les auteurs les plus favorables au sens historique à y voir la désignation de la nature de Dieu : l’exégèse la plus exacte est de prendre les mots pour ce qu’ils valent. lavé est celui qui est, c’est-à-dire celui dont l’être caractérise le mieux la nature, à supposer qu’elle ait besoin d’être désignée par une sorte de nom propre personnel, autrement que par le terme de Dieu. » Par conséquent les théories des scolastiques sur le sens profond du nom divin ont* une base solide. Tous les êtres limités se définissent par leur essence ; Dieu ne peut se définir que par l’existence, car il est l’Être, l’Être tout court, rien de plus, rien de moins ; non pas l’être abstrait, commun à toutes choses et qui par suite ne les distingue pas, mais l’Être concret, l’Être absolu, l’océan de l’Être substantiel, S. Thomas, I 1, q. xiii, a. 14, indépendant de toute cause, incapable de tout changement, supérieur à