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JEAN (ÉVANGILE DE SAINT)


ne se nomme pas apôtre, et que les épithétes honorifiques par lesquelles Jean est toujours désigné ont été employées par un de ses disciples qui voulait ainsi honorer son maître. Ce prétendu disciple, qui a coutume d’indiquer les surnoms des autres apôtres, Joa., xi, 16 ; xiv, 22, n’a pas distingué de la même manière le précurseur qu’il appelle constamment Jean, sans ajouter son titre de Baptiste. Il est plus simple de penser que l’apôtre, parlant de lui-même, a estimé que personne ne le confondrait avec le fils de Zacharie. Il ne nomme pas davantage sa mère ni son frère Jacques. Les deux frères sont appelés « les fils de Zébédée ». Joa., xxi, 2. Bacuez, Manuel biblique, 1e édit., Paris, 1891, t. iii, p. 171-174 ; Fillion, Évangile selon saint Jean, Paris, 1887, p. xxx-xxxii ; Kaulen, Emleitung m die heilige Schrift, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1887, p. 435, 436 ; Camerlynck, De quarti Evangelii auctore, Bruges, 1900, p. 313-324.

Existence du quatrième Évangile au commencement du w siècle.

Il résulte des allusions que

l’on rencontre dans les écrivains du début du IIe siècle, que le quatrième Évangile était déjà composé et était connu. On a relevé minutieusement les moindres traces. Comme nous l’avons dit, t. ii, col. 2064, les ressemblances constatées entre les prières eucharistiques de la Aifia^ï] twv SûSsxa 'AîroffTÔXwv et le quatrième Évangile, ne sont pas suffisantes pour démontrer un emprunt direct ; elles prouvent seulement la communauté de fond et d’idées, qui proviendrait de l’enseignement de Jésus, transmis par la tradition orale. Les rapprochements, établis entre l'Épitre de saint Barnabe et le quatrième Évangile ne sont pas plus concluants. La dépendance des Lettres de saint Ignace d’Antioche relativement à l'Évangile de saint Jean, admise par de savants critiques, a été soumise à un sérieux examen par E. von der Goltz, Ignatius von Antiochien als Christ und Theologe, dans les Texte und Untersuchungen, t. xii, 3° fasc, Leipzig, 1894, p. 118-144, 196-206. Quoique ce critique n’admette pas cette dépendance et prétende que les ressemblances proviennent seulement d’un fonds commun d’idées, alors répandues en Asie Mineure, nous maintenons que parfois la ressemblance des mots euxmêmes et plus souvent celle des idées, malgré de notables divergences, prouvent que saint Ignace connaissait le quatrième Évangile. Ainsi Joa., viii, 29, est cité, Ad Magn., viii, 2, Funk, Opéra Pat. apostolic, 2e édit., Tubingue, 1887, p. 196 ; Joa., vi, 27, Ad Rom., vii, 3, p. 220 ; Joa., iii, 8, Ad Philad., vii, 1, p. 228. — Papias, qui d’après Eusèbe, H. E., iii, 39, t. xx, col. 300, citait la I rt Épitre de saint Jean, ne pouvait guère ignorer l'évangile avec lequel elle a de si étroits rapports. Si la citation que saint Irénée, Cont. hær., v, 36, n. 2, t. vii, col. 1223, fait des anciens, qui avaient été disciples des Apôtres, est, comme le pensent plusieurs critiques, empruntée à l’ouvrage de Papias, il en résulterait que l'évêque d’Hiérapolis se servait du quatrième Évangile, puisqu’il cite là Joa., xiv, 2. L’hérétique Basilide semble avoir fait quelques emprunts au quatrième Évangile et il paraît certain que ses disciples s’en servaient. Philowphoumena, vii, 20-27, t. xvi, 3e part., col. 3301-3321. Le Pasteur d’Hermas présente des affinités avec l'Évangile de saint Jean. La Seconde épître de saint Clément fait des allusions à son texte. Voir t. ii, col. 2067. On ne peut plus douter que saint Justin n’ait connu le quatrième Évangile. Ainsi Joa., i, 18, est visé Dial. cuni Tryph., 105, t. vi, col. 720, 721 ; Joa., iii, 4, Apol. l, 61, ibid., col. 420 ; Joa., vi, 70, Dial. cum Tryph., 139, col. 796. D’ailleurs, saint Justin désignait certainement le premier et le quatrième Évangiles, œuvres des.apôtres saint Matthieu et saint Jean, par son expression accoutumée de Mémoires des Apôtres pour nommer les évangiles. Tatien, disciple de saint Justin, cite des paroles empruntées au qualtièine Évangile qu’il a, du reste, lait

entrer dans son Atà Ts<r<rœpwv. Voir t. ii, col. 2069. Les hérétiques connaissaient l'évangile de saint Jean. Marcion l’excluait. Valentin lui empruntait ses éons. Son disciple, Héracléon, avait composé un commentaire, dont parle Origène, In Joa., tom. xiii, 59, t. xiv, col. 513 Ptolémée et Marc, autres disciples de Valentin, se servaient de cet évangile. S. Irénée, Cont. hær., i, viii, 5, t. vii, col. 533-537 ; I, xiv-xv, col. 593-616. Voir t. ii, col. 2070. On trouvera de plus amples développements dans Resch, Aussercanonische Paralleltexte zu den Evangelien, part, iv, dans les Texte und Untersuchungen, t. x, 4e fasc, Leipzig, 1896, p, 1-35. De ce que nous venons de dire il résulte clairement que le quatrième Évangile était connu et lu dès le temps de Trajan, surtout en Asie Mineure. Camerlynck, De quarti Evangelii auctore, p. 29-42.

Cette conclusion suffit pour renverser une opinion singulière de M. Corssen, Monarchianische Prologe, p. 118-134. D’après ce critique, les Actes apocryphes de saint Jean, dont il fixe la rédaction à l’année 140, loin d’emplojer le quatrième Évangile, ont, au contraire, servi de point de départ et d’occasion à sa composition. Le quatrième Évangile aurait été écrit, vers l’an 150, en vue de rétuter le docétisme que les Acta Joannis attribuaient à cet apôtre. L’examen minutieux des rapprochements entre ces deux écrits montre que les Actes de Jean supposent la connaissance et l’emploi du quatrième Évangile. D’abord, les Actus Pétri cum Simone, qui sont du même auteur que les Acta Joannis, contiennent des expressions spécifiquement johanniques. Zahn, Geschichte des Neutestamentlichen Kanons, t. ii, Leipzig, 1892, p. 848-855. Ensuite, les Acta Joannis eux-mêmes font de nombreuses allusions au texte du quatrième Évangile. En outre, l’apôtre saint Jean, qui parle dans ses faux Actes, semble, au début de son discours, laisser entendre que, dans ses autres écrits, il n’a pas traité des mystères aussi profonds que ceux qu’il va aborder. Il est, d’ailleurs, en soi plus vraisemblable que les Actes aient été rédigés postérieurement à l'évangile en faveur des doctrines gnostiques et docètes, plutôt que l'évangile postérieurement aux Actes en vue d’en réfuter les erreurs. Enfin, les Actes apocryphes de Jean sont de la fin du n » siècle plutôt que de l’an 140, par conséquent d’une date trop tardive pour avoir fourni l’occasion de la composition du quatrième Évangile. Zahn, Gesclnchle des Neutestamentlichen Kanons, t. i, Leipzig, 1889, p. 784-788 ; t. ii, 1892, p. 856-865 ; Camerlynck, De quarti Evangelii auctore, p. 42-52.

_ 3° Tradition sur l’origine johannique du quatrième Évangile. — Il est hors de toute contestation qu'à la fin du IIe siècle, les chrétiens étaient généralement persuadés, même ceux d’Asie, que le quatrième Évangile avait été composé par l’apôtre saint Jean durant son séjour à tphèse. Saint Irénée, disciple de saint Polycarpe, l’affirme expressément : 'Iwâvvï)ç 6 |i.aOr)Tr, ; tou Kupiou, 4 za’t iiz zq ot ?, 90ç ajTOÛ àvotTceffwv, xa ayrbç illStoxe tî> EùaYyéXiov, êv 'Eç>£so> t7, ; Auia ; Starps'ëcDv. Cont. hær., III, i, n. 1, t. vii, coi. 845. Saint Théophile d’Antioche, Ad Autolyc, ii, 22, t. vi, col. 1088, cite le prologue du quatrième Évangile sous le nom de saint Jean. Le fragment de Muratori, qui a été composé à Rome vers l’an 170, quelle que soit la valeur des circonstances de son récit, attribue explicitement le quatrième Évangile à l’apôtre Jean. Voir t. ii, col. 170. Preuschen, Analecla, Fribourg-en-Brisgau, 1893, p. 129, 130. II n’y a pas lieu d’opposer la qualité de « disciple » qui lui est donnée, à celle d' « apôtre », jointe au nom d’André, car il n’y a pas d’opposition formelle. Les disciples sont les mêmes personnages que les apôtres, et au sujet des Épitres, saint Jean est présenté comme un témoin oculaire des laits qu’il rapporte. Camerlynck, De quarti Evangelii auctore, p. 96-98. Clément d’Alexandrie assure que Jean écrivit son Évangile à la demande de ses amis et