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JACQUES (ÉPITRE DE SAINT ;


une exhortation morale. Il faut donc placer la composition de l’Épitre dans l’intervalle de l’an 60 à l’an 62.

IV. Lieu de composition.

Des indices internes montrent que l’aut eur vivait dans les environs de Jérusalem en Palestine. Le pays de l’auteur n’était pas loin de la mer, Jac, i, 6 ; iii, 4 ; ce pays était riche en certains produits : figues, viii, huile, Jac, iii, 12 ; v, 14 ; il était exposé à la sécheresse, et les récoltes étaient souvent compromises par le manque de pluie, Jac, v, 17, 18 ; il était ravagé par des vents brûlants, Jac, i, 11 ; les pluies étaient tantôt hâtives, tantôt tardives. Jac, v, 7. Tous ces traits conviennent parfaitement à la Palestine. — Le lieu dut être Jérusalem même : l’auteur de l’Épitre, Jacques le Mineur, était attaché à Jérusalem par bien des liens, et probablement il ne s’en éloigna jamais. Cf. Act., xv, 13 ; xxi, 18-23 ; Gal., i, 19. De plus, seul l’évêque de Jésusalem, de la ville sainte, pouvait adresser une lettre circulaire aux judéo-chrétiens de la dispersion, car Jérusalem était le centre de ces fidèles, le lieu vers lequel se tournaient toujours leurs pensées et leur souvenir.

V. Authenticité.

i. preuve de l’authenticité. — L’Épitre est de saint Jacques le Mineur : 1° L’en-tête porte, i, 1 : « Jacques serviteur de Dieu. » C’est donc un personnage du nom de Jacques qui a écrit l’Épitre. On ne peut taire sur lui que trois hypothèses : ou bien c’est Jacques fils de Zébédée, ou un autre Jacques inconnu, selon l’opinion de Luther, ou enfin Jacques le Mineur. Or ce n’est pas Jacques fils de Zébédée, lequel fut mis à mort 7 ans après le martyre de saint Etienne, c’est-à-dire vers 43 (cf. Act., xii, 2 ; Eusèbe, H. E., iii, 5, t. xx, col. 221), époque où l’Épitre n’était pas encore écrite ; — l’hypothèse d’un autre Jacques inconnu est inadmissible. jamais un personnage du nom de Jacques, sans notoriété’n’eût réussi à faire accepter son Épître par les fidèles, et n’eût parlé avec tant d’autorité. Reste donc Jacques le Mineur. — 2° Le concile de Trente, dans deux endroits, attribue l’Épitre à Jacques l’Apôtre, sess. xiv, De Eoctrema Vnctione, can. 1, 3 ; dans ce cas, toute la difficulté est de savoir si Jacques l’Apôtre est réellement le même que Jacques le Mineur ; l’opinion affirmative est plus probable ; dans un troisième passage, ibid., cap. i, le concile attribue l’Épitre à Jacques apôtre et frère du Seigneur. — 3° La tradition confirme cette attribution : Eusèbe affirme que de son temps on regardait cette Épître comme étant de Jacques le Mineur. H. E., ii, 23, t. xx, col. 205. Origène parle de l’Épitre de Jacques ; In Lib. Jos., Hom. vii, 1, t. xii, col. 857 ; il nous dit également qu’il circulait une Épître sous le nom de Jacques, Comrn. in Joa., tom. xix, 6, t. xiv, col. 569 : dans d’autres endroits il cite l’Épitre sous le nom de Jacques l’Apôtre ; In Lev., Hom. ii, 4, t. xii, col. 419 ; In Exod., Hom. iii, 3, t. xii, col. 316 ; In Exod., Hom. vin, 4, t. xii, col. 355 ; cf. aussi Hom. IV in Ps. xxxvi, 2, t. xii, col. 1351 ; In Epist ad Rom., ir, 8, t. xiv, <tol. 990. Enfin saint Jérôme attribue, sans aucune hésitation, l’Épitre au frère du Seigneur, évêque de Jérusalem. De vit : illustr., ii, t. xxiii, col. 609. Il faut d’ailleurs remarquer que les Pères ont eu moins souvent l’occasion de parler de l’Épitre de saint Jacques que des Épitres de saint Paul. — 4° La critique interne s’accorde avec la tradition : a) « Tout le détail de l’Épître, l’état de choses qu’elle suppose, ce grand nombre de dogmatiseurs, ii, 1, 5, 13, ces disputes sur la foi et les œuvres, i, 22 ; iii, 14-20, ces persécutions, i, 12 ; v, 10^ 11, ces acceptions de personnes, ii, 1, 9, conviennent parfaitement à son pays et à son époque. » Man. bib., Î0e édit., t. iv, p. 582. — b) Le caractère pratique de l’Épitre est en parfaite harmonie avec ce que nous savons de saint Jacques le Mineur, qui était ennemi des longs discours et grand amateur de la pauvreté. — c) Le ton de l’Épitre, qui respire le langage de Jésus dans saint Matthieu et les deux autres synoptiques, les citations de l’Ecclésiasque, i, 10 ; ii, 1 ; des Proverbes, i, 19 ; iv, 6 ;

son style sententieux, conviennent également à saint Jacques ; Julicher lui-même le reconnaît, Einleïtung, p. 140. Cf. Kaulen, Einleïtung, 3e édit., in-8°, part, m », Fribourg, 1893, p. 646.

il. objections, ET réponses. — Les principales objections contre l’authenticité ont été résumées par Julicher, Einleïtung, p. 140-142. Apres avoir reconnu que l’Épitre répond au caractère de Jacques, évêque de Jérusalem, il se prononce pourtant contre l’authenticité pour trois raisons : — 1° Le grec de l’Épitre est très pur ; l’auteur est maître de la langue grecque ; il va même jusqu’à faire des jeux de mots : ii, 4, St£xp16r]Te et xpiToeî ; iv, 14, sauvons v » ) et içavijojiiv/i ; d’autre part, il n’est pas possible qu’un juif palestinien ait pu si bien manier la langue grecque. — a) Certains exégètes répondent à cette difficulté que le texte grec actuel n’est qu’une traduction de l’original araméen ; dans ce cas l’élégance de la langue grecque serait le fait du traducteur, mais cette hypothèse n’est guère vraisemblable. — b) La pureté de la langue, quoiqu’elle soit réelle, n’exclut pas des tournures sémitiques qui révèlent à quelle race appartient l’auteur. — c) Quoi qu’il en soit du reste, il est certain qu’au premier siècle de notre ère il y avait en Palestine des Juifs qui parlaient et écrivaient le grec, et saint Jacques a pu connaître suffisamment cette langue pour écrire sa lettre, en se taisant aider au besoin par un Juif helléniste.

2° Saint Jacques, continue Julicher, était zél_’pour la loi, au point que saint Pierre par crainte de cet apôtre n’avait pas osé s’asseoir à la table des ethno-chrétiens à Antioche. Gal., ii, 12. Il n’a donc pu écrire une Épître dans laquelle il n’est pas même tait mention de l’obligation des observances légales, où il est dit que la religion consiste dans la pratique des bonnes œuvres, Jac, l, 27 ; où l’on nous parle de la loi parfaite de liberté, Jac, i, 25 ; ii, 12, et de la loi royale de l’amour du prochain. Jac, ii, 8. — Il est vrai que saint Jacques ne dit rien des observances mosaïques, mais c’est parce qu’il n’avait aucune raison de le faire. — a) Son langage répond au but qu’il se proposait ; il n’aait pas besoin de recommander aux judéo-chrétiens la fidélité à des prescriptions qu’ils ne violaient pas, mais il était à propos d’insister sur les bonnes œuvres et d’exciter leur zèle sur ce point. Les circonstances à Antioche étaient différentes. Gal., ii, 12. Les partisans de Jacques empêchèrent saint Pierre de s’asseoir à la table des Gentils pour ne pas scandaliser les judéo-chrétiens ; c’était en soi chose indifférente, mais, en l’occurrence, inopportune ; dans notre Épître au contraire, rien de pareil ; dès lors saint Jacques peut parler le langage même de Jésus-Christ. — 6) Dans les passages où l’on prétend voir un idéal trop au-dessus d’un Juif, saint Jacques ne fait que relléter l’enseignement de Jésus, ou de saint Paul.

3° Ce qui paraît surtout inadmissible à Julicher, c’est que saint Jacques ait écrit le passage, ii, 14-26, qui expose avec tant de force la nécessité de la justification par les œuvres ; Jac, ii, 24, dit-il, est la négation même du texte de Rom., iii, 28, qui affirme que l’homme est, au contraire, justifié par la foi. Aux temps apostoliques, il était impossible qu’on eût une idée si fausse de la doctrine de saint Paul. — L’insistance même de saint Jacques sur la nécessité des œuvres montre que dès lors il y avait des judéo-chrétiens qui comprenaient mal l’Apôtre des Gentils, comme le fit Luther au xvr siècle. Saint Jacques écrit pour redresser leurs fausses interprétations, et, comme on le fait lorsqu’on veut corriger une erreur, il insiste avec beaucoup d’énergie sur la nécessité des œuvres pour le salut : de là ces expressions si fortes. Jac, ii, 14, 17, 20-22, 24-26. Il ne nie point d’ailleurs la nécessité de la foi pour la justification, et son enseignement n’est pas la contradiction, mais le complément et l’explication de ce que nous lisons dans l’Épitre aux Romains.