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IVRESSE


à cet état. L’homme fort de tempérament s’en réveille, Ps. lxxvii (lxxviii), 65 ; d’autres ne s’en relèvent pas, Jer., li, 39, 57, et beaucoup meurent des suites de leur orgie. Eccli., xxxvii, 34. — Mais les pires effets de l’ivresse se font sentir à l'âme. Quand le corps est en cet état, l'âme perd conscience d’elle-même ; l’intelligence et la volonté sont comme hors de service. L’homme ivre ne peut pas seulement se débarrasser d’une épine qu’il a dans la main. Prov., xxvi, 9. L’ivresse, surtout quand elle devient habitude et dégénère en ivrognerie, porte au mal, Eccli., xxx, 40, engendre la colère, Eccli., xxxi, 38, 40, et la luxure. Eccli., xxvi, 11 ; Hab., ii, 15 ; Eph., v, 18. Elle dégoûte du travail et conduit à la pauvreté. Eccli., xix, 1. Elle alourdit l’esprit, Luc, xxi, 34, fait perdre le sens, Ose., iv, ll, et égare les sages. Prov., xx, 1 ; Eccli., xix, 2. Elle fait oublier aux princes la loi et les droits des malheureux. Prov., xxxi, 4, 5. Elle attire le châtiment, Matth., xxix, 49, et enfin exclut du royaume de Dieu. I Cor., vi, 10 ; Gal., v, 21. Saint Paul avait ses raisons pour rappeler cette exclusion dans le monde grec qui, d’après Platon

193. — Femme égyptienne ivre. D’après Wilkinson, Manners, 2e édit., t. i, p. 392.

lui-même, Leges, VI, trad. Grou, Paris, 1845, t. i, p. 288, regardait l’ivresse comme décente « dans les fêtes du dieu qui nous a fait présent du vin ». — Aussi saint Paul recommande-t il de fuir la compagnie des ivrognes, I Cor., v, 11, et de se garder de l’ivresse. Rom., xiii, 13 ; Gal., v, 21. Il était même expressément recommandé de ne boire aucune liqueur enivrante au grand-prêtre, Lev., x, 9, à celui qui faisait le vœu du nazaréat, Num., vi, 3, et à certains personnages auxquels Dieu assignait Une mission spéciale, comme Manué, mère de Samson, Jud., xiii, 4, 7, 14, et saint Jean-Baptiste. Luc, i, 15.

II. L’ivresse improprement dite. — Les Livres Saints parlent quelquefois d’ivresse dans des circonstances où l’on ne fait que boire à sa soif et assez copieusement, comme il arrivait dans les festins. C’est en ce sens restreint que les frères de Joseph s’enivrèrent avec lui, Gen., XLin, 34, que les convives de Cana étaient enivrés, Joa., ii, 10, et que, dans les agapes des premiers chrétiens, l’un était ivre tandis que l’autre manquait de tout. I Cor., XI, 21. Dans ces passages, a s’enivrer » est un hébraïsme qui signifie « bien boire », de même que, par exemple, « haïr » signifie i aimer moins ». Cf. Gen., xxix, 31 ; Deut., xxi, 15, 16 ; Rom., ix, 13, etc. Aggée, i, 6, marque cette nuance quand il dit aux Juifs : t Vous buvez et vous n'êtes pas enivrés. » — Les Juifs entendaient sans doute parler de ce genre d’ivresse lorsque, dans une de leurs calomnies, ils accusaient Notre-Seigneur d'être oIvottotïiç, potator vini, <l buveur de vin. » Matth., xi, 19.

III. L’iVRESSEDANS LÉ SENS METAPHORIQUE. — L’ivresse

est prise par les écrivains sacrés comme terme de comparaison, quand ils parlent soit des passions qui mettent l’homme hors de lui, soit des choses qui se

présentent avec une abondance excessive. On peut être ainsi :  ! Ivre d’amour. L'époux du Cantique, v, 1, invite ses amis à s’enivrer d’amour. Voir aussi Prov., v, 18, 19. Mais d’autres fois, cette ivresse vient d’un amour criminel. Prov., vii, 18. Les hommes sont enivrés par le vin de l’impudicité que leur verse Babylone. Jer., li, 7 ; Apoc., xvii, 2. Que l’Israélite, infidèle à l’alliance du Seigneur, ne dise pas : « J’aurai la paix, même si je suis les penchants de mon cœur et si j’ajoute l’ivresse à la soif. » Deut., xxix, 19. — 2° Ivre de douleur. Jérusalem, après sa ruine, est ivre d’absinthe, symbole de la douleur. Lam., iii, 15 ; Ezech., xxiii, 33. — 3 « Ivre de frayeur, comme le navigateur pendant la tempête. Ps. cvi (cvii), 27. Jérémie, xxv, 27, dit aux ennemis d’Israël de la part de Dieu : « Buvez, enivrez-vous, vomissez, sans vous relever, à la vue du glaive que je vais envoyer au milieu de vous ! » Le prophète lui-même tremble comme un homme ivre, à la pensée des crimes de son peuple et des châtiments qui vont le frapper. Jer., xxiii, 9-12. — 4° Ivre de sang, quand on a répandu à profusion son propre sang, Is., xlix, 26, ou le sang des autres. Israël, soutenu par la force du Seigneur, s’enivrera du sang de ses ennemis vaincus. Zach., ix, 15 ; Ezech., xxxix, 19. Saint Jean représente Babylone comme une « femme ivre du sang dés saints et du sang des témoins de Jésus ». Apoc, xvii, 6. La métaphore est même employée quand il s’agit des choses inanimées. Le Seigneur enivrera ses flèches du sang de ses ennemis. Deut., xxxii, 42. L'épée du Seigneur s’enivre à l’avance du sang qu’elle va verser, ls., xxxiv, 5, 6. Au jour de la vengeance, son épée dévore, elle se rassasie, s’enivre du sang de ses ennemis. Jer., xlvi, 10. — 5° Ivre par suite de la malédiction divine. Les prophètes se servent fréquemment de la comparaison tirée de l’ivresse pour indiquer l’effet produit par la colère divine sur les pécheurs et sur les nations infidèles. Dieu fait errer les méchants comme des hommes ivres, qui tâtonnent dans les ténèbres. Job, XII, 25. — Les nations étrangères seront frappées de cette ivresse, qui comportera pour elles l'étourdissement, la titubation, l'égarement, la chute, le vomissement, le sommeil mortel. Ce sera le sort des ennemis d’Israël, Is., lxiii, 6 ; de l’Egypte, Is., xix, 14 ; de Ninive, Nah., iii, 11 ; de Babylone, Jer., li 39, 57 ; d'Édom, Lam., iv, 21 ; de Moab. Jer., XLvm, 26. Jérusalem est comme une coupe d'étourdissement pour ceux qui s’attaquent à elle. Zach., xii, 12. — Cette ivresse atteindra aussi le peuple de Dieu, devenu infidèle. Dieu abreuve son peuple d’un vin d'étourdissement, en déchaînant contre lui ses ennemis. Ps. lix (lx), 5. Les habitants de Samarie, les gens d'Éphraïm, et ceux de toute la Palestine sont traités d’ivrognes, à cause de leurs débauches et de leur insouciance. Is., xxviii, 1, 3 ; Joël, i, 5. La terre de Juda chancelle comme un homme ivre, à cause des crimes de ses habitants. Is., xxiv, 20. La malédiction divine porte l’ivresse à ses derniers excès. Is., xxviii, 7 ; Jer., xiii, 13. Jérusalem coupable est ivre, mais non de vin ; elle chancelle, parce que Dieu ne lui révèle plus rien. Is., xxix, 9, 10. Elle boit, de la main du Seigneur, la coupe de la colère et absorbe jusqu'à la lie la coupe de l'étourdissement. Is., li, 17, 21, 22. — Parmi les agrapha du papyrus de Behnesa, découvert en 1897, Sayings of Our Lord discovered and edited by B. P. Greafell and A. S. Hunt, Londres, 1897, la troisième sentence est ainsi conçue : « Jésus dit : J’ai été au milieu du monde et je leur suis apparu dans la chair, et je les ai trouvés tous ivres, (ie6ûovta « , et je ne n’en ai trouvé aucun d’altéré. » Les hommes n’avaient pas soif de la justice, Matth., v, 6, et l’ivresse des biens temporels les empêchait d'être altérés des biens spirituels. Cf. Revue d’histoire et de littérature religieuses, Paris, 1897, p. 434 ; Revue biblique, Paris, 1897, p. 506.

H. Lesêtke.