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ITALIENNES (VERSIONS) DE LA BIBLE


dria en l’honneur du volume, et de Wendelin, que le poète met au même rang que Zeuxis, Parrhasius, Folyclète. Nicolô de Malherbi (on le trouve aussi écrit Manerbi, Malermi) était un moine camaldule : de Venise, des plus distingués du xve siècle (né vers 1422, mort en 1481). Cf.Mittarellie Costadoni, Annales camaldulenses, t. vii, p. 286-288 ; Foscarini, Délia letter. veneziana, Padoue, 1752, t. i, p. 170. Il fut « dil monasterio de sancto Michèle di Lemo abbaie dignissimo », comme dit le titre de la Bible imprimée sous son nom, et ensuite d’autres monastères vénitiens, Saint-Matnias de Murano, etc. Si l’on compare avec soin le texte de Malherbi avec les différentes rédactions manuscrites de la Bible des xiii «-xive siècle, on arrive à la conclusion certaine, que la prétendue version du camaldule vénitien n’est autre chose qu’une édition de l’ancienne Bible revue et corrigée par l’abbé de St. Michèle in Lemo. La correction de D. Malherbi eut spécialement en vue : 1° d’adapter le langage toscan des mss. à l’orthographe du dialecte usité à Venise de son temps ; 2° de rapprocher la version italienne de la Vulgate jlatine, d’où elle avait été tirée.' Par suite, l'édition de Malherbi, bien qu’elle reproduise foncièrement des mss. du xive siècle, se rapproche beaucoup du dialecte vénitien, et rappelle de près le latin ; mais elle n’est point une œuvre littéraire et classique de langue italienne. Zambrini, Opère volgari a stampa, Bologne, 1884, est d’ailleurs trop sévère pour Malherbi, et trop favorable au texte des mss., quand il dit que l’abbé de Lemo ebbe l’audacia siccotne sfrontato plagiario, non solamente manomettere quesV aureo volgarizzamento, ma ben anco attribuirlo a se stesso. Les gloses ne manquent pas dans cet ouvrage, par exemple aux Psaumes, au Cantique des cantiques, aux Proverbes ; mais, en général, elles sont beaucoup moins nombreuses et mieux justifiées que dans les mss.

Deux mois seulement après l'édition de Malherbi, une grande Bible parut à Venise. Elle est sans indication typographique, mais elle sortit sans doute des presses du fameux Nicolô Jenson. Ce sont deux gros volumes in-folio, dont le premier va jusqu’aux Psaumes ; l’autre comprend le reste de l’Ancien et le Nouveau Testament. C’est à tort que Negroni, Bibbia volgare, t. i, p. XII, et, d’après lui, Carini, Versioni italiane delta Bibbia, dans Vigouroux, Manitale biblico (S. Pier d’Arena, 1894J, t. i, p. 274, divisent la Bible de Jenson en trois volumes. Il est vrai que même l’exemplaire que j’ai examiné dans la Bibliothèque nationale de Florence, est en trois tomes (1° Gen., Mi - Esd., m ; 2° II Esd., m - Ezech. xxxiv ; 3° Ezech., xxxv - Apoc.) pour la commodité de la consultation, mais évidemment le typographe avait divisé les volumes là où les explicit et les incipit sont marqués en majuscules, c’est-à-dire à la fin du Psautier et de l’Apocalypse. — Cette Bible ne porte aucune mention d'éditeur qui, à l’exemple du P. Malherbi, en ait revu et corrigé le texte, et dirigé la publication. Ce n’est pas sans molif ; en effet si l’on compare cette version imprimée aux autres versions de cette époque, on reconnaît que ce n’est pas une œuvre personnelle, ni même une revision d’anciens textes, comme la Bible malherbienne ; elle ne fait que reproduire des textes déjà existants, que le typographe a mis tels quels aux mains des ouvriers. Ainsi la Bible de Jenson reproduit en grande partie le texte de quelques manuscrits connus, par exemple Sienne, F. iii, 4. De plus il y a des parties considérables qui sont la reproduction mot à mot de la version de Malherbi, publiée peu de temps avant par Wendelin, de Spire. Cet amalgame de textes est-il effet d’un jugement critique et comparatif de leur valeur ? Evidemment non : aucun critérium n’a présidé an choix de l’une ou de l’autre version. Non seulement le ms. est à plusieurs reprises abandonné et repris, ainsi que le texte malherbien, mais le changement des textes se fait

tout à coup, quelquefois au milieu d’un livre, au milieu même d’un verset, ou entre la fin et le commencement de deux feuilles d’impression. On doit conclure de là que, dans l'édition de Jenson, l’usage de deux textes différents n’a pas d’autre motif que des raisons typographiques. L'éditeur avait commencé l’impression simultanée de plusieurs parties de la Bible d’après un ms. d’assez bonne rédaction, mais qui n'était qu’une version glosée du moyen âge, mêlée d’erreurs, et faite avec une grande liberté d’allure vis-à-vis du latin de la Vulgate. Aussitôt que la Bible de Malherbi parut, N. Jenson crut mieux faire d’abandonner le ms. pour suivre entièrement la nouvelle édition princeps de la Bible en langue vulgaire. C’est précisément auꝟ. 22 du second livre des Machabées, et au commencement du Ps. xvii, que la Bible de Malherbi entra dans l’atelier de Jenson. Celui-ci publia son édition tout de suite « in kalende de octobrio », mais sans lasigner de son nom, reconnaissant sans doute l’imperfecfection de l'œuvre. — Les livres où Jenson suit de préférence le texte de Malherbi sont ceux du Nouveau Testament, le Psautier et quelques parties des Prophètes, par exemple les Lamentations, et les Machabées. Cf. Le Long, Bibliotheca, p. 354. On devine aisément, par ce que nous venons de dire, quel dut être le sort de ces deux Bibles. Celle de Malherbi, avec sa couleur vénitienne, avec ses fautes d’impression, était tout au moins une œuvre homogène, un texte qui représentait assez fidèlement l’original sacré ; aussi se répandit-elle bientôt dans toute l’Italie ; elle eut l’honneur de plusieurs réimpressions et fut en usage pendant presque un siècle ; on l’imprimait encore en 1567. Voir dans Carini, dans le Manuale biblico, t. i, p. 275-280, la description minutieuse de plusieurs éditions de Malherbi qui lui tombèrent sous les yeux, de 1477, 1481, 1484, 1487, 1490, etc. L'édition de 1490 a une importance particulière, parce qu’on dit (Carini, p. 277 n.) que les dessins dont elle est ornée proviennent de BellinietSandroBotticelli. Ils sont, en effet, remarquables. Voir l’exemplaire de la Nationale de Florence, passim, et fig. 188 (dans Mùntz, Histoire de l’art pendant la Renaissance, 1. 1, 1889, p. 10), la reproduction d’un de ces dessins qui représente Malherbi travaillant à son œuvre.

Au contraire, la Bible de Jenson, confusion de textes tout à fait disparates, qui ne représentaient bien ni les rédactions manuscrites du moyen âge, ni la nouvelle de Malherbi, et qui était remplie de fautes grossières, eut le sort qu’elle méritait ; on la mit de côté, et la première édition fut aussi la dernière. Comparée à la Bible de Malherbi, l'édition de Nicolô Jenson a néanmoins presque toujours le caractère d’un texte plus classique relativement à la langue (toscane) : les livres de Josué et des Juges se distinguent particulièrement de tous les autres par l'élégance et la pureté du langage, mais, dans l’ensemble, la Bible de Jenson, comme édition classique, laissé bien à désirer, et en général est inférieure même à l'édition de Wendelin, de Spire. Qu’on compare par exemple un verset quelconque (Tob., viii), selon les deux rédactions

Jenson : Alhora Tobia conforto la poncella : et disse allei : Leva su Sarrae pregiamo oggie dimanee posdomane. Impercio che in queste tre nocte sagiugneremo. Et passa ta la terza nocte saremo nel nostro malrimonio.

Malherbi : Alhora Thobias confortossi con la vergene et disseli : levati suso sarra et preghiamo Dio hogi et domane et l’altro di : imperho che in queste tre nocte ce iungeremo a dio : et passata la terza nocte saremo nel nostro matrimo Au xixe siècle, à l'époque de la renaissance des études du moyen âge et à un moment où les mss. des textes publics étaient encore peu connus, on crut bien faire en réimprimant la Bible Jensonienne devenue très rare et regardée alors comme un précieux monument de. la