Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome III.djvu/422

Cette page n’a pas encore été corrigée
813
814
IDOLATRIE


duite. Il en va tout autrement d’Osée. On sait que le sujet de sa prophétie est l’idolâtrie d’Israël, qu’il appelle une fornication et dont il décrit avec émotion les fruits lamentables. Cette idolâtrie qu’il proscrit et qu’il déplore c’est le culte de Baal, culte voluptueux et naturaliste que beaucoup de Juifs alliaient, par un syncrétisme presque inconscient, au culte du vrai Dieu. — Dans Isaïe, les allusions â l’idolâtrie sont moins fréquentes, sans être rares. Ce grand homme s’élève avec force contre la superstition, les devins, les sorciers et les ventriloques, Is., ii, 6 ; iii, 2 ; rai, 19 ; xxix, 4 ; il ne mentionne les idoles que dans les termes les plus méprisants et pour rattacher leur chute définitive au triomphe messianique, ii, 20 ; xvii, 7-8 ; xxx, 22 ; xxxi, 7 ; il décrit avec une impitoyable ironie la fabrication d’une idole, xliv, 9-20. Ce ton seul montre bien que l’idolâtrie ne régnait pas en maîtresse : quand un mal est dominant, on le pleure et on n’en rit pas. — Les conditions sont à peu près les mêmes sous les prophètes de la période chaldéenne. Seulement les Baals cèdent le pas aux dieux d’importation étrangère. En religion comme en politique, Israël se tourne volontiers vers les divinités de Babylone, qui ont pour elles le prestige de la victoire et qui passent pour accorder à leurs fidèles la prospérité matérielle. C’est contre ces nouvelles tendances que Jérémie et Ézéchiel s’efforcent de prémunir leurs compatriotes. Aussi avec quel enthousiasme Jérémie, lisant dans l’avenir, s’écrie : « Babylone est prise, Bel est vaincu, Mérodach est mis en pièces ; toutes ses idoles sont humiliées et ses statues détruites ! » Jer., t, 2. Cf. l’Épitre de Jérémie aux exilés, Baruch, vi. Voir Zschokke, Théologie der Propheten, 1877, p. 148-166 ; Duhm, Die Théologie der Propheten, 1875 (il mêle à des préjugés rationalistes des vues justes et ingénieuses).

Après le retour de la captivité.

Il y a encore de

nombreux abus, mais il n’y a plus trace d’idolâtrie proprement dite. Ni Esdras, ni Néhémie, ni Aggée, ni Malachie ne prononcent le nom d’idoles. Le passage où Zacharie les mentionne, xiii, 2, ressemble à une réminiscence classique. DansZach., xi, 17 : O pastor etidolum est une traduction inexacte. — L’hellénisme, si heureux au point de vue politique et social, échoua presque totalement au point de vue religieux ; du moins son triomphe fut bien éphémère. Voir Hellénisme, col. 675. Les Juifs furent désormais fidèles au culte exclusif de Jéhovah ; ils le poussèrent même jusqu’à un rigorisme exagéré. Toute image d’être vivant, même comme motif d’ornementation, fut proscrite, et l’on ne fut pas éloigné de prendre les aigles romaines pour des idoles. Il faut lire dans le Talmud ou dans Maimonide les précau--tions puériles auxquelles il fallait s’assujettir pour éviter les apparences de l’idolâtrie. Se baisser devant une statue païenne pour boire, pour ramasser un objet tombé, pour arracher une épine du pied, était un acte idolâtrique. A cet égard le puritanisme des pharisiens n’avait point de bornes. Cf. Aboda Zara, édité en hébreu par Strack, Berlin, 1888 ; en français par Le Blant, 1890 (extrait) ; Maimonide, De idololatria cum interpretatione latina et notis Vossii, 1668.

III. Causes de l’extension de l’idolâtrie en Israël.

— L’auteur de la Sagesse étudie ce problème à un point de vue général et s’occupe de l’invasion de l’idolâtrie dans le monde. Parmi les païens il en est qui ont divinisé le feu, le vent, l’air, le cercle des étoiles, l’abîme des eaux, enfin le soleil et la lune, ces deux flambeaux de l’univers. Le Sage admire leur stupide folie et s’étonne que le spectacle des créatures ne leur ait pas suggéré l’idée du Créateur. Mais il appelle malheureux, sans restriction et sans excuse, les idolâtres qui prennent pour dieux l’ouvrage de leurs mains, l’or et l’argent, les produits de l’art, des images d’animaux ou des pierres sculptées. Sap., xiii, 1-10. L’écrivain sacré décrit ensuite

longuement la genèse d’une idole et l’absurdité du culte qu’on lui rend, Sap., xiii, 11-xv, 19, en termes qui rappellent les sarcasmes d’Isaïe, de Jérémie ou de Baruch, mais il ne développe pas les causes d’une pareille aberration d’esprit, et n’explique ni l’origine ni le progrès de l’idolâtrie.

Ce problème est encore plus ardu chez les Hébreux, favorisés de tant de révélations, témoins de tant de miracles, objets de la prédilection divine. Comment l’idolâtrie a-t-elle jamais pu régner ou même s’implanter parmi eux ? On peut résumer ainsi les causes qui la produisirent ou la favorisèrent. — 1° Dans le désert : les habitudes idolâtriques contractées en Egypte, la présence de nombreux étrangers dans le camp des Hébreux, le contact journalier avec les tribus païennes du Sinaï et des bords du Jourdain, la réaction contre le monothéisme épuré de Moïse, contre l’institution d’un nouveau sacerdoce et d’un rituel nouveau. — 2° Sous les Juges : les rapports avec les peuplades chananéennes échappées à l’anathème, la ressemblance des pratiques suggérées par l’instinct religieux, pratiques tolérées ou passées sous silence par la Loi mosaïque, les alliance matrimoniales avec les nations voisines. — 3° Du temps des Rois : infiltration des idées étrangères produite par les relations commerciales, sociales et diplomatiques, prospérité matérielle de plusieurs nations païennes, objet de scandale pour les J uifs tièdes, propension naturelle à embrasser la religion du vainqueur. — 4° À toutes les époques : la croyance générale et l’erreur dominante parmi tous les polythéistes, que chaque peuple et chaque pays avaient leurs dieux propres, qu’on était tenu d’honorer, si l’on ne voulait pas s’exposer à lenr courroux et à toute espèce de maux. Baal et Astarthé étant les dieux du pays de Chanaan, les Israélites, établis dans ce pays, étaient constamment tentés de leur rendre un culte, afin de s’assurer leur protection et de ne pas encourir leur vengeance. Voir Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e édit., t. iii, p. 80-82. — 5° Enfin, les rites licencieux du culte chananéen furent dans tous les temps un attrait funeste pour un trop grand nombre d’Israélites. Cette explication ne satisfait pas l’école rationaliste et elle en a imaginé une toule d’autres. Les deux principales sont celles de Kuenen et de Smend.

Système de Kuenen.

D’après lui, De God-sdienst

van Israël, Haarlem, 1869-1870, voici les trois stades parcourus par les Hébreux. Bien qu’il ait plus tard modifié quelques détails, il n’a pas désavoué ses premières idées.

— 1. Les patriarches hébreux étaient païens comme les autres peuplades chananéennes. Ils avaient un dieu national dont le nom, à partir de Moïse, fut Iahvé ou Jéhovah, dieu de l’orage, résidant au Sinaï et adoré sous la forme d’un jeune taureau, dieu cruel et terrible, avide d’holocaustes et de sang humain, mais dont le culte n’était nullement exclusif. Tel est le jéhovisme populaire, le seul connu jusqu’aux premiers prophètes. —

2. Sous Achab commence l’antagonisme entre Baal et Jéhovah. Grâce à ÉHe et à Elisée, champions de Jéhovah, Baal, l’ancien dieu indigène, a le dessous et est expulsé. Jéhovah, qui auparavant était aussi un dieu de la nature, devient le dieu de la justice, pour se distinguer de son rival. Voilà le jéhovisme prophétique. —

3. Encore un pas et nous arrivons au jéhovisme légal, sorte de compromis entre la religion spiritualiste des prophètes et la religion populaire que les prophètes n’avaient pas réussi à étouffer. Il retient quelque chose’de l’ancien culte des idoles, mais condamne absolument et bannit à jamais les idoles elles-mêmes.

Système de Smend.

Pour Smend, Lehrbuch der

alttestam. Religionsgeschichte, 1e édit., 1899, Moïse n’est pas le législateur des Hébreux ; mais c’est peut-être à son instigation qu’ils échangèrent leur ancien dieu national contre Jéhovah, dieu du Sinaï. Du reste rien ne fut changé à leur religion, d’un type très primitif et d’un