Page:Dictionnaire de la Bible - F. Vigouroux - Tome III.djvu/277

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
523
524
HÉBREUX (ÉPÎTRE AUX)

été écrite aux Juifs de Jérusalem, elle n’a pu l’être qu’après la mort de saint Jacques, car, xiii, 17, il est dit : « Obéissez à vos conducteurs et ayez pour eux de la déférence, car ils veillent sur vos âmes comme devant en rendre compte. » On peut supposer qu’après la mort de saint Jacques (an 62) les presbytres de Jérusalem exercèrent l’autorité, mais que ce ne fut pas sans difficulté, Eusèbe, H. E., ii, 22, t. xx, col. 380, ce qui expliquerait l’exhortation ci-dessus citée. L’Épître a dû être écrite avant le commencement de la guerre juive, puisqu’il n’en est nulle part question ; peu de temps auparavant, car le temps des persécutions, xii, 4-5, et des promesses, x, 36-37, paraît s’avancer ; ils voient s’approcher le jour, x, 25. Ce serait donc entre 63-66 qu’il faudrait fixer la date de l’Épître.

2° Malgré ces arguments, des critiques d’esprit modéré, parmi lesquels nous citerons Zahn, Einl. in das N. T., t. ii, p. 140, ont cru que l’Épître aux Hébreux avait été écrite après 70. Voici les arguments mis en avant. Divers passages, ii, 3, 4 ; v, 12 ; x, 32, montrent que les lecteurs appartiennent à la génération post-apostolique. L’auteur connaît les Épîtres de saint Paul, de saint Pierre et de saint Jacques, les écrits de saint Luc et l’Apocalypse. Il parle de l’alliance mosaïque comme d’une ancienne alliance, IX, 1, qui avait un culte, par conséquent ne l’avait plus. L’argument tiré des allusions au culte lévitique prouve nettement que le temple n’existait plus, puisque constamment l’auteur, au lieu de parler du temple et du culte, qu’on y rendait à Dieu, parle du tabernacle, de ce qu’il contenait, du culte qui avait le tabernacle pour centre, ce qu’il n’aurait pas fait si le temple avait été encore debout et si le culte y eût été encore en exercice. De plus, en supposant que l’auteur ait voulu parler ici du temple, il pouvait le faire, même après qu’il avait été détruit, car pour un écrivain juif le temple, préexistant avant sa construction sur la terre, existait encore après sa destruction temporaire. La preuve qu’il a pu parler du temple et des cérémonies du temple au présent, c’est-à-dire comme existant encore, c’est que d’autres auteurs écrivant certainement après la destruction du temple ont écrit aussi comme si le temple existait encore. Clément Romain, 1 Cor., 41, 2, t. i, col. 289, Οὑ πανταχοῦ, ἀδελφοί, προσφέρονται θυσίαι ἐνδελεχισμοῦ ἥ εὐχῶν, ἀλλ' ἥ ἐν Ἱερουσαλὴμ μόνη. « Ce n’est pas en tout lieu qu’on offre des sacrifices perpétuels ou votifs, mais à Jérusalem seulement. » Cf. Barnabé, Epist. , vii-ix, t. ii, col. 744-748 ; Epist. ad Diognet., 3, t. ii, col. 1172 ; Justin, Dialog., 117, t. vi, col. 745. Nous-mêmes, nous nous servons constamment du présent pour raconter un événement passé ; c’est ce qu’on appelle le présent historique. — Ces arguments, ne sont pas décisifs. Les textes allégués prouvent que les lecteurs n’étaient pas disciples immédiats du Seigneur, mais n’obligent pas à dépasser l’an 64-70, comme date de l’Épitre. Les rapports entre l’Épître aux Hébreux et les écrits du Nouveau Testament, seront discutés plus tard ; ils ne nécessitent pas en tout cas l’hypothèse d’un emprunt direct. Le contexte explique le passage ix, 1. Le temple de Jérusalem n’est pas nommé, mais seulement le tabernacle ; c’est vrai, mais remarquons que, si le temple n’est pas nommé, il est dans la pensée de l’auteur ; c’est de lui qu’il parle, quand il dit, IX, 6-7 : « Les prêtres officiants entrent constamment dans la première enceinte, tandis que dans la seconde le grand-prêtre seul entre une fois par an avec du sang qu’il offre pour lui-même et pour les péchés du peuple. » Cf. ix, 22, 25 ; v, 1-3. Les passages x, 1-3, et x, 11, s’appliquent évidemment au temple. Qu’en d’autres endroits l’auteur parle du tabernacle au lieu du temple, cela s’explique par son procédé d’allégorisation et de dialectique. Il voulait décrire l’ancien culte. Pour cela il a simplement reproduit les textes où il en était question. Or ces textes mentionnent le tabernacle et non le temple. Notre auteur ne s’est pas cru autorisé à modifier les textes ; il les a reproduits tels qu’il les trouvait. Quant à l’emploi du présent pour raconter les événements passés, nous n’en contestons pas la possibilité, mais l’argument prouve seulement que l’auteur aurait pu parler ainsi, même après la destruction du temple. Il ne prouve pas que le temple n’existait plus.

IV. Lieu de composition. — On n’a sur ce point aucune donnée positive. La seule qui pourrait être une indication est le passage, xiii, 24, ἀσπάζονται ὑμᾶς οἱ ἀπὸ τῆς Ἰταλίας. Si ἀπὸ a ici le sens de ἔξ, comme il l’a, en effet, dans quelques passages, Act., x, 23, τῶν ἀπὸ τῆς Ἰόππης ; XVII, 13, oi ἀπὸ τῆς Θεσσαλονίκη ; Ἰουδαῖοι, etc., l’Épître a été écrite en Italie. Ceux d’Italie les saluent. Cependant la signification régulière de ἀπὸ est « venant de ». Dans ce cas, l’auteur envoie à ses lecteurs les salutations des chrétiens venant d’Italie et étant avec lui. En quel endroit ? nous l’ignorons. Quelques manuscrits A, P, 47, ont en souscription : ἀπὸ ρωμης ; d’autres, K, 109, 113, etc., ἀπὸ Ἰταλίας ; mais ces souscriptions sont relativement récentes et n’ont aucun caractère d’authenticité. Elles sont tirées des paroles mêmes de l’Épître. Nous devons mentionner une hypothèse ingénieuse qui a été faite sur la date et le lieu de composition de l’Épître aux Hébreux par Lewis, dans The Thinker, septembre 1893, et qui a été reprise et fortifiée par Ramsay dans The Expositor, juin 1899. La voici en bref. L’Épître aux Hébreux a été achevée à Césarée de Palestine, en avril ou mai. 59, vers la fin du gouvernement de Félix. Il y est parlé de questions qui avaient été souvent discutées entre Paul et les chefs de l’Église de Césarée pendant l’emprisonnement de l’Apôtre dans cette ville ; le résultat en est consigné dans cette Épître, qui fut la lettre de l’Église de cette ville au parti juif de l’Église de Jérusalem. L’écrivain a été Philippe le Diacre. Le but était de placer les lecteurs juifs sur un nouveau terrain d’idées, d’après lesquelles ils pourraient mieux comprendre les doctrines de Paul et son œuvre. Ainsi, on réconcilierait les Juifs intransigeants avec les partisans de Paul, non en essayant de leur expliquer les doctrines pauliniennes, mais en conduisant les judéo-chrétiens sur une nouvelle ligne d’idées qui les amènerait à des conceptions plus élevées. Le projet de composer une telle lettre avait été discuté d’abord avec Paul, puis celle-ci lui avait été soumise et il y avait ajouté les derniers versets. La lettre étant collective n’avait pas reçu la suscription ordinaire. — Cette hypothèse expliquerait bien la tradition orientale qui, tout en reconnaissant que le style et la langue de cette lettre ne sont pas de saint Paul, néanmoins rattachait celle-ci à l’Apôtre. Elle rendrait compte aussi de ce fait que les doctrines sont présentées sous un autre aspect que dans saint Paul, et cependant en plusieurs points se rattachent aux enseignements des Épîtres pauliniennes. Malheureusement aucun texte n’appuie cette hypothèse.

V. Auteur de l’Épître aux Hébreux. — La question d’authenticité ne se pose pas pour l’Épître aux Hébreux de la même façon que pour les autres livres du Nouveau Testament ; car, ainsi que nous le verrons, la tradition n’a pas été, dès l’abord, fixée sur le nom de l’auteur ; il y a eu, dès l’origine, sur ce nom, désaccord ou ignorance et, de nos jours encore, les critiques sont divisés. Outre ceux qui, comme Origène, concluent que Dieu seul connaît celui qui a écrit cette Épître, les uns l’attribuent à saint Paul, d’autres à saint Barnabé, à saint Pierre, à saint Luc, à Silas, à Apollon, à saint Clément Romain. Étant donné cette variété d’opinions, nous devrons tout d’abord établir les faits, c’est-à-dire : 1° suivre l’histoire de l’Épître dans la littérature chrétienne ; 2° étudier l’Épître en elle-même, pour en faire ressortir les particularités linguistiques, historiques et doctrinales. De ces deux études ressortiront les conditions auxquelles doit satisfaire toute hypothèse sur le nom de l’auteur.