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HÉBREUX (ÉPITRE AUX)

gnage dans Ëusèbe, H. E., vi, 13 et 14, t. xx, col. 548, 549.

Rome.— Enfin, on a cru que cette Épître avait été écrite à la communauté judéo-chrétienne de Rome. Cette opinion est même actuellement la plus en faveur en Allemagne, où elle a été adoptée par Wetstein, Holtzmann, Harnack, Mangold, Schenkel, Zahn, von Soden. Alford, Bruce, Renan, Réville l’ont aussi acceptée. Déjà, vers la fin du Ier siècle, Clément Romain, dit-on, connaît l'Épître aux Hébreux ; en de nombreux passages, ainsi que nous le dirons plus loin, quoiqu’il ne cite aucune phrase textuellement, on voit qu’il s’est inspiré de cet écrit : le raisonnement est identique, les idées sont les mêmes, quelquefois aussi les termes. Cette connaissance de l'Épître s’explique "très bien, si la lettre a été écrite à la communauté judéo-chrétienne de Rome. Celle-ci, en outre, devait avoir sur l'Épître des données spéciales, puisque, d’après Eusèbe, H. E., iii, 3, t. xx, col. 217, elle la rejetait, comme n'étant pas de saint Paul. De plus, « le grand combat, au milieu des souffrances, » x, 32, « le dépouillement de leurs biens, » x, 33, dont ils ont eu à souffrir, s’appliqueraient bien à la communauté de Rome, qui fut persécutée et expulsée de la ville par ordre de Claude, tandis que les allusions à des persécutions imminentes, x, 25 ; xii, 4, 26 ; xiii, 13, pourraient se rapporter à la future persécution de Néron, qu’on pouvait déjà prévoir. Enfin, l'écrivain envoie à ses lecteurs des salutations de la part de ceux qui sont : ἀπὸ τῆς Ἰταλίας, xiii, 24. Ces frères sont ceux qui sont venus de l’Italie et qui accompagnent l'écrivain ; c’est à une communauté d’Italie seulement qu’une telle salutation a dû être envoyée. Il est possible, il est vrai, de croire qu’il s’agit ici des « frères de l’Italie, » ἀπὸ τῆς Ἰταλίας ; ἀπὸ, ainsi que la fait remarquer Blass, Gr. N. T., § 40, p. 122, a pris dans le Nouveau Testament la place de ἐξ. Dans ce cas cette phrase indiquerait plutôt le lieu de départ de la lettre. — Ces arguments ne sont pas sans valeur ; cependant si cette lettre a été écrite à la communauté chrétienne de Rome, comment expliquer que l'écrivain dise de ses membres qu’ils sont lents à comprendre, v, 11, qu’ils ont besoin qu’on leur enseigne les doctrines élémentaires de la foi, qu’on les nourrisse de lait comme des enfants, v, 12, eux dont saint Paul a dit que leur foi était renommée dans le monde entier, Rom., i, 8, et à qui il a adressé une lettre, où il expose les doctrines les plus profondes du christianisme ? — En outre, l'Épître aux Hébreux est adressée à une église, où les chrétiens d’origine juive sont prédominants, au point qu’il n’est nulle part fait allusion à des chrétiens païens d’origine. Or, dans l'Église de Rome, les paga no-chrétiens étaient en majorité. M. Milligan a supposé, il est vrai, The Theology of the Epistle to the Hebrews, p. 49-50, que cette lettre aurait été envoyée à une communauté judéo-chrétienne de Rome, composée de ces auditeurs, auxquels il est fait allusion au livre des Actes, ii, 10, auditeurs qui, de retour à Rome, dans leur patrie, seraient restés en dehors de la prédication apostolique, ce qui expliquerait leur état d’infériorité doctrinale. Cette hypothèse s’adapterait bien aux diverses circonstances de la lettre ; son défaut est d'être gratuite. Cependant, qu’il y ait eu à Rome diverses communautés chrétiennes, cela ressort de l'Épitre aux Romains, où l’on voit saint Paul distinguer, xvi, 3-13, plusieurs communautés et, v. 14-15, d’autres communautés. Ceci expliquerait le passage, x, 25, où les lecteurs sont exhortés à ne pas déserter leur assemblée, c’est-à-dire à ne pas aller à une autre communauté chrétienne. Il ne s’agirait donc pas ici de retourner à la synagogue juive. — Zahn, Einl. in das N. T., II, p. 144, et Harnack, dans la Zeitsch. fur die neutest. Wiss., 1900, p. 19, croient aussi que l'Épitre a été écrite à une des petites communautés de Rome.

II. Occasion et but de l’Épître. — L'étude même du contenu de l'épître nous fait connaître à quelle occasion et dans quel but elle fut écrite. Nous supposons qu’elle fut écrite, ainsi que nous le démontrerons, vers l’an 63-66 ; mais, le fût-elle plus tard, que nos observations auraient la même valeur ; quelques-unes même seraient encore plus démonstratives. Vers l’an 63-66, plus de trente ans s'étaient écoulés depuis la mort du Christ, et les fidèles ne voyaient pas se réaliser les promesses du Seigneur, qu’on avait mal comprises. Jésus avait dit, Matth., xxiv, 34 ; Luc, xxi, 32 : « Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera point que tout cela n’arrive, » c’est-à-dire l’avènement du Fils de l’homme, le royaume de Dieu. Or la génération qui avait entendu ces paroles était disparue et le Sauveur n'était pas venu. En outre, les chrétiens juifs n’avaient pas oublié les splendides cérémonies du culte juif, tout cet ensemble d’institutions qui enserraient la vie et qui avaient pour elles de si solides fondements, et ils se rappelaient la grandeur et l’autorité de Moïse, qui avait été fidèle dans sa maison à celui qui l’avait établi, iii, 2, la promesse faite à Abraham par Dieu lui-même, vi, 13. C’est Dieu qui avait donné les ordonnances relatives au culte, ix, 1, et c’est sur ses plans qu’avait été construit le Tabernacle, IX, 2-5. Pour l’expiation des péchés on avait un grand-prêtre, chargé de présenter des offrandes et des sacrifices pour les péchés, v, 1. Cette déception, ces souvenirs et ces regrets pouvaient éveiller dans l’esprit des chrétiens juifs le doute sur la valeur de l’institution chrétienne, qui n’avait aucun culte organisé, à part la participation à la fraction du pain. Point de temple, point d’autel, au sens matériel. Pour le chrétien de ce temps le christianisme était surtout une espérance. Or la réalisation de cette espérance paraissait s'éloigner de jour en jour. Nous ne pouvons dire s’il y eut de véritables apostasies, des retours complets au judaïsme, quoique certains passages semblent y faire allusion, x, 39, mais il y eut certainement un affaiblissement de la foi chrétienne, puisque l’auteur déclare qu’il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés et qui sont tombés soient encore renouvelés, vi, 4-6 ; il parle de celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu et tenu pour profane le sang de l’alliance, qui aura outragé l’Esprit de la grâce, x, 29 ; il en est qui ont abandonné leurs assemblées, x, 25. Toutes les exhortations à la fidélité, si répétées et si puissantes, xiii, 9 ; IV, 14 ; x, 23 ; iii, 1, 2, 6, indiquent que cette fidélité allait diminuant. De là à un relâchement dans la piété et dans l’accomplissement des devoirs chrétiens, il n’y avait qu’un pas et il semble bien que ce pas avait été franchi ; car, en plusieurs endroits, il est parlé de péchés graves, vi, 4-8 ; x, 29 ; il est nécessaire d’exhorter les fidèles à la paix avec tous, à la sanctification, xii, 12, à l’amour fraternel, à l’hospitalité, xiii, 1 ; à la pureté, xii, 16, au respect du lit conjugal, xiii, 4, etc. On voit donc quelle était la situation : angoisse chrétienne au sujet du Christ, qui ne revenait pas ; doute sur la légitimité de l’abandon d’une institution divine et, en outre, persécution de leurs frères juifs, excommunications, rejet de la société ; toutes ces causes avaient amené un affaiblissement de la fidélité chez les chrétiens et une explosion de péchés. L’auteur de l'Épitre veut remédier à cette situation, répondre à ces doutes en envoyant à ses lecteurs une parole d’encouragement et de consolation, xiii, 22. Pour cela il établira la supériorité de l’alliance nouvelle sur l’alliance ancienne, mais mêlera à chaque instant l’exhortation morale à l’exposé dogmatique, et insistera surtout sur la fidélité et la patience, sur l’espérance ; car, pour lui, la foi c’est la ferme attente des choses qu’on espère, xi, 1. En outre, après avoir achevé sa démonstration, l’auteur donnera les conseils et renouvellera les exhortations, dont ses frères avaient besoin.

En vue de prouver la supériorité de l’alliance nouvelle sur l’ancienne, et de répondre aux attaques des adversaires, l’auteur établit d’abord que les organes de