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HEBRAÏQUE (LANGUE)

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— Toutefois, on remarque que, d’une part, le vocabulaire hébreu tel que la Bible nous le fait connaître est pauvre relativement au lexique assyrien et surtout au dictionnaire arabe (celui-ci est d’une richesse inouïe) ; que, d’autre part, le vocabulaire hébreu n’est pas aussi mélangé de termes étrangers que les vocabulaires syrien et éthiopien. — On trouve dans les vocabulaires autres que l’hébreu beaucoup de racines vraiment sémitiques qui ne figurent pas dans la Bible. Mais souvent les racines sont communes à toutes ces langues. D’ordinaire elles gardent partout la même signification. Parfois elles admettent des nuances assez diverses : ’amar, par exemple, signifie : « dire » en hébreu et en syriaque ; « ordonner » en arabe ; « montrer » (forme pihel) et « savoir » (forme aphel) en éthiopien ; « voir » en assyrien. En certaines circonstances la même racine a dans ces diverses langues des sens absolument différents. — En d’autres cas les racines qui se correspondent dans les diverses langues sémitiques diffèrent selon des lois que la grammaire comparée a pu relever avec assez de précision ; c’est ainsi qu’en passant d’une langue à l’autre les gutturales, les labiales, les dentales, les palatales et les sifflantes de divers degrés peuvent s’échanger ; l’hébreu barzel, « fer, » devient parsel en assyrien et en araméen ; Hâqed, « amandier, » de l’hébreu devient Sêgdâ en syriaque ; qdtal, « tuer, » de l’hébreu devient qafala en arabe et en éthiopien, etc. Souvent les sifflantes de l’hébreu sont remplacées dans d’autres langues par dès dentales généralement de même degré : ze’êb, « ours, » de l’hébreu devient dibâ en araméen ; Sélég, « neige, » de l’hébreu (assyrien Salgu) devient talgd en syriaque, etc. ; bien plus s correspond parfois à y du syriaque : ’érés, « terre, » de l’hébreu, devient’ar’â en araméen, etc.

VIII. Histoire de la langue hébraïque.

I. origines.

— 1° L’hébreu, langue chananéenne. — L’hébreu est un , dialecte chananéen, ainsi que le prouvent les nombreuses similitudes qu’il présente avec le phénicien, le moabite et sans doute aussi les langues d’Ammon et d’Édom. Cf. Jer., xxvii, 3. Aussi ses origines se confondent-elles avec celles de ces divers dialectes. Or les monuments permettent de constater l’existence des langues chananéënnes à des époques déjà très reculées. Les tablettes découvertes à Tell-el-Amarna, par exemple, attestent qu’au xve siècle avant notre ère les peuples des bords méditerranéens de l’Asie occidentale, tout en se servant de l’assyrien pour leurs documents officiels, taisaient usage de dialectes chananéens dans le langage ordinaire. On peut même remonter plus loin et constater dans les documents égyptiens des mots empruntés aux langues chananéennes dès le xvie siècle.

Il est certain toutefois que ces divers documents, si anciens qu’ils soient, ne nous font pas arriver jusqu’aux origines des langues chananéennes. Ces origines sont enveloppées de nuages et paraissent se confondre avec celles des autres langues sémitiques. On a essayé, pour résoudre la question, de montrer dans quelles relations de filiation ou de maternité la langue hébraïque pouvait se trouver vis-à-vis des autres langues sémitiques-Richard Simon pensait que l’hébreu était de toutes les langues sémitiques la plus ancienne et celle qui avait donné naissance à toutes les autres. Cette opinion est aujourd’hui entièrement abondonnée. Des savants frappés d’une part par les ressemblances qui existent entre l’hébreu et l’arabe ou l’assyrien, constatant d’autre part que ces dernières sont dans un meilleur état de conservation, ont regardé tour à tour l’un ou l’autre de ces dialectes comme la langue sémitique mère et en ont fait dériver l’hébreu ; M. Delitzsch donne ses préférences à l’assyrien ; M. Schrader et M. D. S. Margoliouth optent pour l’arabe. Il n’est pas’sûr que le degré de conservation ou d’altération de diverses langues de même famille peuvent nous renseigner sur leurs rapports de maternité ou de filiation ; et beaucoup de savants sémitisants ont

renoncé à chercher la langue mère du groupe sémitique. Us aiment mieux voir dans tous les idiomes de cette famille autant de langues sœurs qui, comme les langues indo-européennes, ont eu un lieu d’origine commun et se sont ensuite diversifiées dans les différentes tribus, au fur et à mesure de leur séparation et avec des allérations plus ou moins rapides selon les circonstances et les milieux de diffusion. C’est généralement aux bords du golfe Persique que l’on place le berceau primitif deS"peuples sémitiques et de leurs langues ; de là ces tribus ont rayonné dans l’Asie occidentale pour se fixer peu à peu dans des contrées déterminées ; et c’est sous l’influence de ces localisations que les divers idiomes sémitiques se sont constitués en langues distinctes. Il n’est pas surprenant dès lors que l’on remarque plus de ressemblances entre certaines langues sémitiques (v. g. l’hébreu et l’arabe), qu’entre d’autres (v. g. l’hébreu et l’araméen) ; ressemblances et différences pourront tenir aux circonstances qui ont entouré le développement de ces divers idiomes. D’ailleurs certaines ressemblances auront peut-être une autre origine ; il n’est pas impossible, par exemple, que les idiomes chananéens aient été influencés après coup par la langue assyrienne, officielle dans toute l’Asie occidentale à l’époque des inscriptions de Tell el-Amarna.

A quelle époque faut-il placer l’origine des langues sémitiques sur les bords du golfe Persique ? À quelles dates assigner les premières migrations des peuples sémites fixés en Chanaan ? Autant de questions sur lesquelles il est impossible d’être précis. La Genèse rattæhe aux migrations d’Abraham la fondation des petits peuples d’Edom, de Moab et d’Ammon, et il est assez vraisemblable que ces migrations se placent avant l’an 2000 av. J.-C. — Abraham en arrivant en Chanaan parlait-il chananéen, ou bien, après avoir parlé assyrien ou araméen, adopta-t-il une langue déjà en usage dans le pays où il se fixait ? Autre question difficile à résoudre. Toujours est-il que c’est à partir d’Abraham que la langue chananéenne aurait commencé à se diviser lentement en divers dialectes ; ainsi se seraient formées les langues des peuples sémites fixés sur les bords de la Méditerranée, ainsi l’hébreu aurait-il acquis « es caractères distinctifs.

2° Les premiers développements de la langue hébraïque. — L’histoire de la langue hébraïque est très difficile à faire et pour plusieurs raisons. Tout d’abord le nombre des documents sur lesquels on pourrait en baser le développement (nous n’avons que les livres bibliques) est très restreint et ne représente pas à beaucoup près l’ensemble de la littérature hébraïque ; d’ailleurs aucun de ces documents ne nous permet de remonter jusqu’aux origines ; d’autre part enfin, nous n’avons sur la date de nombre de ces documents que des données incertaines. De plus, lorsqu’il s’agit de faire l’histoire d’une langue, les particularités grammaticales et orthographiques ont une grande importance : or il n’y avait pas à ces époques reculées de règles de grammaire ou d’écriture qui donnassent aux diverses formes de la langue hébraïque une fixité et une régularité rigoureuses ; de là les divergences que l’on rencontre fréquemment entre les diverses transcriptions d’un même morceau plusieurs fois reproduit dans la Bible. Cf. II Reg., xxiii, et Ps. xviii. Enfin il y a tout lieu de croire qu’en transcrivant les morceaux anciens, les scribes n’ont pas craint de remplacer des formes et des mots archaïques par des termes plus récents, plus intelligibles à l’époque où ils exécutaient leur travail (cf. ce qui a été fait pour le texte hébreu de l’Ecclésiastique). Il est donc très difficile de retracer l’histoire de la langue hébraïque ; mais cette histoire est spécialement obscure dans les premières phases de son développement. Laissant de côté la question de l’écriture (voir Écriture hébraïque, II, col. 1573-1585), on peut faire les remarques suivantes :

a) La famille d’Abraham apporta en Chanaan ou adopta