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HABACUC


1-4, se rapporte aux Assyriens ; i, 12-17 prédit la punition qui les attend, et i, 5-11, l’exécution dont les Chaldéens sont l’auteur. Ici encore, I, 5-11, n’est pas à sa place : sa place est après ii, 4. L’ordre réel est donc : l, 1-4, 12-17, ii, i-i, i, 5-11. La date du livre serait 621 environ. Mais il y. à un obstacle à cet arrangement, c’est le rôle de libérateurs — rôle étrange pour eux — qu’y prennent les Chaldéens. Un rédacteur, avant 538, voulut le lever et il fit d’eux non pas les rédempteurs d’Israël, mais, ce qui est historique, ses oppresseurs et leur appliqua i, 12-17. On eut ainsi l’ordre actuel : i, 1-4, 5-11, 12-17. L’opinion de K. Budde, qui, au fond, ne repose que sur un sens probable donné au mot râsâ’(impius, 4°), est sans valeur. Il suffit d’expliquer i, 1-4, de l’état intérieur d’Israël, où l’impie domine, où le juste est opprimé, pour que tout s’accorde aisément. Mais non, visiblement, ces critiques sont gênés par I, 1-5, qui est une prophétie, Réfractaires à toute prophétie, ils cherchent par tous les moyens à éliminer celle-là, et leurs opinions ne sont que l’un de ces moyens. — W. Nowack, Die kleinen Prophelen, 1897, p. 261, dit que ii, 5 est très altéré. Non. ii, 5 est obscur et difficile, mais pas altéré. — Quelques autres, B. Stade, dans la Zeitschrift fur die altt. Wissenschaft, 1884, p. 154, et A. Kuenen, Einleitung, § 76, 77, terminent le livre à II, 8 et regardent ii, 9-20 comme une glose postexilienne. ii, 9-11, disent-ils, ne saurait convenir au roi chaldéen, que nul ne menace, mais c’est plutôt de’Joakim qu’il s’agit : raison mauvaise, tirée d’une image {nidus ejus, 9 b) qu’ils ont mal saisie. — ii, 12-14, provient, selon eux, de réminiscences étrangères : ꝟ. 12 est pris de Mich., iii, 10 ; >. 13 de Jer., li, 58, et 14 d’Is., xi, 9.

— Il est plus exact de dire simplement que Habacuc a imité Michée et Isaïe et qu’il a été imité par l’autre.

— Il, 15-17, serait douteux, parce que ꝟ. 17 b est répété du ꝟ. 8 b et ꝟ. 17 a rappelle une injure, hâmâs, faite au Liban, dont il n’y a pas, historiquement, trace ailleurs. Bisons plutôt que la répétition il. 17 b est un refrain comme il en existe beaucoup et que l’idée de ꝟ. 17° se rencontre déjà Is., xiv, 8. — II, 18-20 enfin est un reproche d’idolâtrie fait aux païens, et l’on sait, qu’à cet égard, les prophètes ne s’adressent qu’à Israël. Non, ils s’adressent aussi aux nations étrangères, comme on le voit par Is., XL, 18 ; x, 10-11 ; Jer., x, 1-10 ; Ps. cxv, 4-8. Toute cette critique, partiale et pointilleuse, est en vérité bien mesquine. — Finissons, iii, d’après cette école, est un chant détaché d’un recueil liturgique postesilicn. Le titre, ꝟ. 1, et les notes ou indications de musique, J. 19 b, 3, 9, 13, le prouvent. Il n’est donc pas d’Habacuc. On le lui aurait attribué à cause de l’inscription {eftllâh le-Ifâbaqqûq, qui, en fait, n’est pas plus vraie que nombre de titres dans les Psaumes. Il n’a, du reste, aucune parenté d’idées avec le livret prophétique et ne reflète en rien l’état social et religieux révélé par i et il. Et puis, à le prendre en lui-même, il offre des altérations de mots et de textes très considérables, W. Nowack, p. 266-273, et il se brise net au t- 16, les jr. 17-19 ayant été substitués après coup à la finale originelle perdue (Wellhausen), à moins qu’ils n’aient été, comme il semble, l’occasion de cette ode. W. Nowack, p. 266. — Reprenons. La théorie indiquée n’est pas admissible. Habacuc est certainement l’auteur : le titre le dit. Que si quelques titres sont inexacts, on le prouve. Ici, le prouve-t-on ? Il est, en outre, faux qu’il n’y ait aucun rapport logique de i-ii à m : ces deux parties, au contraire, se lient très étroitement : le jugement contre les Chaldéens et la libération d’Israël, qui sont les idées-mères du livre, II, 4, se rencontrent aussi expressément dans l’une que dans l’autre ; du reste, ii, 20 b est une transition assez visible. V. Kirkpatrick, The Doctrine of the Prophets, Londres, 1897, p. 281. Puis, si le texte est irrégulier, difficile, obscur, il ne faut pas oublier 1° qu’il appartient littérairement au

genre dithyrambique (hgyônôf, iii, 1), et 2° que ce genre comporte des libertés de mots et de forme, qui ne sont pas ordinaires. Quant aux annotations musicales, ꝟ. 19e, 3, 6, 13, leur présence n’est pas une preuve d’origine postexilienne, car on en constate de semblables dans les Psaumes du premier temple. Enfin, la rupture qui est affirmée au ji. 16 par Wellhausen, est toute imaginaire : le contexte en effet est plein et entier, et il s’enchaîne logiquement, comme on s’en convaincra en lisant J. Knabenbauer, In minores Prophetas, t. ii, p. 117-120. — Voilà quelques difficultés des critiques contre le prophète. Le commentaire de W. Nowack est écrit en ce genre. La recherche critique la plus serrée le remplit presque exclusivement : lettres, mots, versets, tout est analysé, examiné minutieusement ; additions, gloses, corrections, transpositions, interpolations, tout est hardiment tenté, admis, sans égard à la science antique. Avec combien peu de vérité, nous venons de le voir. Cf. A. B. Davidson, Nahum, Habakkuk and Zephaniah, Cambridge, 1896, p. 55-59.

Valeur littéraire.

Le mérite du prophète comme

écrivain est hors de conteste. La pensée est forte et personnelle. Le style est classique, sans imitation servile. — 1. Il s’y trouve, çà et là, des mots et des tournures propres, des sens nouveaux, un usage assez répété de formes verbales irrégulières ou inusitées. En voici des exemples : Megammap (ventus urens), i, 9. Knabenbauer, p. 63. Delitzsch, p. 15, 16, usité ici seulement. —’Abêtît (densum lutum), ii, 6. Knab., p. 79. — Qlqâlôn (vomitus ignominix), ii, 6. — Meza’ezeékâ (diveccantes te), n, 7, forme irrégulière. — Me’uqqâl (perversum), i, 4, inusité ailleurs. — Hittamehû (admiramini), i, 5, niphal inusité. Frz. Delitzsch, p. 9. — Yehîtan (déterrebit eos), ii, 17, hiphil anormal, de frdtâp pour iaha(. Knab.. p. 88 ; cf. L. Reinke, p. 120. — Massêkâh (conflatile), il, 18. — Hê’drel (consopire), ii, 16, hébreu : nudator, niphal inusité. Knab., p. 87. — Va-yemôdéd (et mensus est), iii, 6, inusité poel. Keil, p. 442, 443. — Vaiiteposesû (contriti sunt), iii, 6, hithpalpel inusité. — * fë’ôr(suscitabis), iii, 9, niphal. Gesenius-Drach, p. 458, de’ûr =’ârâh, Keil, p. 444. —’Âlisufdn (exultatio eorum), iii, 14, tournure peu usitée. — Qesôp (concidite), II, 10, hébreu : concidere. Nowack, p. 263. — l Uffeldh(quiincredulusest), ii, 4, hébreu : tumida, puai usité seuiement ici et Num., xiv, 44. Voir les différents sens dans Frz. Delitzsch, p. 45-53. — Inevéh (décor abitur), II, 5, sens nouveau. Nowack, p. 261 ; Knab., p. 78 ; Delitzsch, p. 56, 57. — (fébyôn (abscondita est), iii, 4, hébreu : absconsio, inusité. — Rôgéz (cum iratus fueris), ni, 2, sens nouveau. Frz. Delitzsch, p. 133. — Tâfûs (coopertus est), ii, 19, usité seulement ici dans le sens de obducere. Frz. Delitzsch, p. 160. — Me’ôrêhêm (nuditateni ejus), ii, 15.— Vehaddû (velociores), r l, 8, SlUc ;, usité ici seulement.— Ve-kdfîs (etlignum), ii, 11. Knab., p. 82. — Limesissôt (in rapinam), II, 7, de màsas, sens nouveau. — l}âlelû (contrernuerunt), iii, 16, pour signifier le tremblement des lèvres, inusité. — Ifôme’r (in Mo), iii, 15, hébreu : xstus undarum, sens nouveau. Frz. Delitzsch, p.188. Cf. E. B. Pusey, On the minor Prophets, p. 405. 2. La forme n’est pas moins classique et originale. Le petit livre tout entier est un dialogue auquel est jointe une poésie lyrique. Le dialogue est pressant, dramatique : une plainte exaspérée, une réponse promettant un châtiment, une réplique suppliante, puis après un instant, un arrêt définitif qui clôt le dialogue. Voir en particulier i, 6-11 : portrait et invasion des Chaldéens ; en outre II, 6 b -20 : chant (niâsâl) en cinq strophes très burinées du jugement qui va frapper les Chaldéens et leurs crimes. Quant à la poésie lyrique, c’est une des plus belles qui soient en hébreu. G. Gietmann et G. Bickell en ont étudié le mètre et la strophe. G. Gietmann y distingue exactement 63 vers heptasyllabiques et 10 strophes inégales (De re metrica llebrxoru.ni, Fribourg, 1830,