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GREC BIBLIQUE


nisme. Après la mort de ces étrangers, la transformation continuera quelque temps encore sous l’influence chrétienne seule, pour produire la langue grecque chrétienne proprement dite. Toute langue normalement et complètement développée comprend en réalité trois langues : la langue littéraire des orateurs, historiens, philosophes, etc. ; la langue familière employée pour les. affaires quotidiennes par les personnes de bonne éducation ; la langue populaire des personnes sans culture aucune. Toutes trois peuvent s’écrire sans changer. Le ton de la langue littéraire apparaît dans certaines parties du Nouveau Testament. L’Epître aux Hébreux y touche par son style périodique et soigné. L’Epître de saint Jacques offre des procédés de style et une couleur poétique qui étonnent à bon droit. Dans les Actes, surtout après le chapitre IX, certains récits et discours ne manquent ni de pureté, ni d’élégance. Quand saint Paul y parle aux Grecs ou au roi Agrippa, la langue prend aussitôt un certain caractère littéraire. D’ailleurs des secrétaires grecs lettrés ont pu corriger certaines œuvres du Nouveau Testament. Ces secrétaires sont mentionnés Rom., xvi, 2 ; I Cor., xvi, 21 ; Col., iv, 28 ; II Thés., iii, 18 ; et, dans les Actes, xxiv, 1-2, le grand-prêtre juif emploie, pour plaider sa cause, un rhéteur grec appelé Tertullus. La lettre de saint Jacques peut sortir de la main d’un secrétaire lettré. Mais, régulièrement parlant, les auteurs du Nouveau Testament ne sont pas des littérateurs comme ^Elius Aristides, Dion Chrysostome, Josèphe et Philon, saint Clément de Rome, saint Justin, etc. Comme ils écrivent pour convertir, pour tous, ils emploient nécessairement la langue de tous, qu’ils ont apprise de la bouche de tous ; ils visent à être clairs, simples et faciles, sans se préoccuper d’écrire avec art. Le ton général de la langue du Nouveau Testament, c’est celui de la langue familière et courante. Mais on retrouve dans cette langue familière le soin qu’apporte spontanément une personne de la classe moyenne à écrire mieux qu’elle ne parle, en évitant d’instinct les mots et locutions trop populaires, négligés ou incorrects. D’un autre côté, sortis du peuple, mêlés surtout au peuple, les auteurs du Nouveau Testament ne pouvaient échapper complètement à son influence ; de là des mots, formes, constructions et locutions parfois populaires, et qu’on pourrait appeler des vulgarismes, et, parfois aussi, une certaine allure populaire du style. Un Grec lettré était dérouté par les idées, les images, l’allure et la couleur de la langue du Nouveau Testament, par le peu d’art que les. auteurs de ce livre y montraient en écrivant. Aussi saint Paul se rendait - il compte de cette impression plutôt pénible produite sur le Grec par la langue nouvelle de la prédication chrétienne, comme on le voitl Cor., ii, l, et II Cor., ii, 6. Cette impression défavorable se retrouve chez les lettrés de la Renaissance qui établissent une comparaison entre le grec des classiques : et celui du Nouveau Testament. Leur opinion se résume dans ces paroles de Saumaise, auteur du livre : De hellenistica, in-12, Leyde, 1643 : « Tels les hommes (les auteurs du Nouveau Testament), tel aussi leur langage. Leur langage est donc celui que l’on appelait idiomxdç, le langage commun et populaire. Car on appelle ISiûtoi les hommes du peuple sans éducation littéraire, qui emploient le langage dont le peuple se sert dans sa conversation, et qui ont appris ce langage de leurs nourrices, » Aux xviie et XVIIIe siècles, on se querella vivement sur la qualité et la nature du grec du Nouveau Testament. Cette discussion, - qui eut le mérite de faire étudier la langue de ce livre, donna lieu aux systèmes des puristes, des hébraïstes et des empiristes :

— 1. Les puristes défendaient la pureté et la correction absolues du grec du Nouveau Testament. Ils niaient ou taisaient les hébraïsmes ; ils justifiaient les singularités de la langue par des exemples analogues, ou prétendus tels, déterrés chez les auteurs profanes, même dans

Homère. Ce système dura jusqu’au milieu du xviiie siècle.

— 2. Les hébraïstes. Leur système, en vogue à la fin du XVIIe, domine pendant le xviiie. Suivant eux, les auteurs du Nouveau Testament ont pensé en hébreu ou en araméen et traduit leur ransée en grec : leur langue n’est que de l’hébreu transporté en grec. — Les empiristes du xviiie siècle croient que les auteurs du Nouveau Testament ne savent pas le grec, ou ne le savent que peu, et qu’ils l’écrivent au hasard. Ils voient partout des énallages ; grâce à cette figure de grammaire, lès écrivains du Nouveau Testament avaient pu employer un temps pour un autre, un mode pour un autre, un cas pour un autre, etc., sans compter les ellipses. Les empiristes défendaient leur système en prétextant que l’hébreu ne distinguait ni temps ni modes, et n’avait pas de règles de syntaxe. La vraie méthode grammatical » appliquée au grec du Nouveau Testament, dans notresiècle, a fait justice de ces fantaisies. Le tort des érudits et des hellénistes des xvi «-xviiie siècles était d’ignorer qu’une langue n’a pas que son époque dite classique ; qu’elle est un organisme vivant qui traverse les siècles en se modifiant ; qu’elle doit être étudiée et appréciéeà chaque phase distincte et décisive de son histoire, quand elle subit quelque transformation caractéristique ; que toute langue complètement développée comprend la langue littéraire, la langue familière et la langue populaire, que chacune d’elles doit être étudiée pour elle-même et appréciée à sa valeur, non pas condamnée ou exclue ; que foute doctrine, même divine, ne peut être prêchée et écrite que dans la langue ordinaire deses prédicateurs et de leurs auditeurs. D’ailleurs, comm& la langue du Nouveau Testament est composée d’éléments divers, Comme elle est en voie de transformation, qu’elle est de qualité moyenne et variable, et qu’elle subit des influences diverses, les affirmations portées sur elle sont nécessairement toutes relatives ; elles nepeuvent être vraies que dans la mesure variable qui convient à chacune d’elles ; toute affirmation exclusiveou absolue est nécessairement fausse dans ce qu’elle a. d’exclusif ou d’absolu.

Caractère psychologique de la langue.

Étrangers,

les auteurs du Nouveau Testament n’ont jamais réussi à penser et à s’exprimer en grec nettement, comme un Grec de race l’aurait fait ; ils ne se préoccupent pas non plus de conformer leurs pensées aux constructions grammaticales et traditionnelles du grec ordinaire. Ils sont livrés à lsurs propres idées telles qu’ils les conçoivent, à tous les mouvements de l’âme qui les entraînent ; ils subissent sans réagir, ou presquesans réagir, l’action des diverses influences que nous avons énumérées en analysant leur langue. De là le caractère spontané de l’expression dans le Nouveau Testament, où l’idée crée l’expression, la phrase, le mouvement du style. De là plusieurs conséquences, parmi 1 lesquelles les suivantes : 1° Tandis que le matériel de la langue, lexique et grammaire, est impersonnel, le style est très personnel. Les auteurs du Nouveau Testament pensent et écrivent avec fermeté et netteté, sans hésitation, sans souci de préparer et de synthétiser les idées, de polir les phrases. La fatigue ni le travail d’écrire ne se font vraiment sentir chez eux, au moins en général. Ils suivent la libre allure de leur esprit, la vivacité de leurs ; . impressions,-la promptitude de leur mémoire, la mobilité de leur imagination (en ce sens précis qu’ils aiment à représenter l’idée, même abstraite, d’une manièreconcrète, ou bien à rapporter un événement avec les détails qui le mettent sous les yeux). — 2° La phrase et le style réfléchissent à leur tour la manière de penser propre à chacun d’eux. La phrase apparaîtra, suivant le cas, simple ou compliquée ; facile ou embrouillée quand l’arrangement en était aisé ; correcte et unie, ou interrompue, brisée ; par suite, claire ou obscure (pour nous). Le style offrira la solennité monotone de saint Matthieu, ,