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GREC BIBLIQUE

prennent place sur la même ligne, les unes à la suite des autres ; les propositions se suivent tantôt sans être liées et tantôt en étant liées par une particule spéciale appelée « vav consécutif ». La fonction de cette particule ne consiste pas seulement à lier grammaticalement la phrase qui suit avec celle qui précède, mais encore à indiquer qu’il existe entre les deux un rapport logique : de causalité, de finalité, de condition, de comparaison, de conséquence, de simultanéité, de postériorité et d’antériorité, et même de manière, etc. Voir Hébraïque (Langue). Dans le grec des Septante, le vav consécutif est rendu en général par ϰαὶ. — De là la multitude de petites phrases et de fragments de phrases que nous offrent les Septante ; la multitude innombrable des ϰαὶ qui encombrent les pages de ce livre ; l’insuccès des essais de périodes que l’on y rencontre et le désordre assez fréquent de ces périodes ; l’embarras que l’on éprouve au premier abord devant cette manière d’exprimer la pensée, ainsi que pour saisir la valeur nouvelle de la particule ϰαὶ. — Tel est le mécanisme élémentaire et fondamental de l’hébreu et du grec biblique. On s’explique dès lors l’allure générale de ces deux langues.

— Si l’on compare la période artistique des auteurs classiques avec les phrases des auteurs qui emploient cette langue familière, il semble que la période grecque ait été démembrée, désarticulée, pour être réduite à ses éléments disposés séparément. Cette formation du grec post-classique, familière, à tendance analytique, était la condition nécessaire pour que le grec pût se rapprocher de l’hébreu, se plier à la pensée juive, et recevoir d’elle un moulage en partie étranger, tandis que l’attique littéraire y aurait été rebelle. Cette condition remplie, le judaïsme a pu s’approprier le grec, et alors s’est produite la fusion de ces deux langues d’un génie absolument différent, ou, pour mieux dire, l’infusion de la pensée, de l'âme juive, dans un corps grec qu’elle a façonné pour elle par un travail intérieur, très profond et très étendu.

— Deux exemples feront toucher du doigt la transformation du' grec sous l’influence de l’hébreu d’après ce qui vient d'être dit : Jud., xiii, 10 : ϰαὶ ἐτάχυνεν ἡ γύνη ϰαὶ ἔδραμεν ϰαὶ ἀναγγειλεν ϰτλ., littéralement, suivant le génie de l’hébreu : « et la femme se hâta et elle courut et elle annonça, » tandis que le génie du grec aurait demandé : zayéuti ià'jj' yvvti 8pa|ioû<ra àv^YYCtXev, « vite la femme courut annoncer ; » III Reg., xii, 6 : raoç 0(ieîç fiouXeÛEafle xa àwoxpiOû tô Xaô toutû) X<5yov ; littéralement : « Comment conseillez-vous et vais-je répondre une parole à ce peuple ? » tandis qu’on devrait avoir : 71(iç ùfiEÎç pouXeûeoOé (toi àitoxpt6rjveu tû Xaû> toûtu ; « comment me conseillez-vous de répondre à ce peuple ? »

III. Caractères du grec hébraïsant dans les septantes. — Le Juif, en écrivant, suit sa pensée beaucoup plus que les règles de la grammaire, qu’il connaît peu. De là, par exemple : lorsque la phrase commence par une construction périodique, cette tournure tend à se briser, ou l’accord grammatical à cesser. La phrase revient alors à la construction indépendante, plus facile, avec de courtes propositions. Lev., xiii, 31 ; Deut., vii, l-2 ; xxiv, 1-4 ; xxx, 1-3 ; Is., xxxiii, 20. — Le Juif aime à ajouter une explication, l’explication se relie facilement avec ce qui précède au point de vue logique ; grammaticalement, elle s’accorde ou ne s’accorde pas, ou s’accorde comme elle le peut. — Le grec biblique contient une multitude d’accidents de syntaxe : appositions ou juxtapositions indépendantes, changements de nombre, de personne, de genre, de temps et de mode ; répétitions et suppressions de certains mots ou d’une partie de la proposition ; accords bizarres ; absences d’accord, etc. — Les interruptions dans le développement régulier de la phrase et dans l’accord grammatical peuvent correspondre à des pauses ; les parties ainsi détachées reçoivent on accent oratoire ou se rapprochent de l’exclamation et de la parenthèse, et tendent à devenir indépendantes. Gen., vii, 4 ; IV Reg., x, 29 ; Ps. xxvi, 4. — - Le Juif aime à renforcer l’affirmation. On trouvera souvent : le ton interrogatif employé pour affirmer (et nier) plus vivement, IV Reg., viii, 24 ; les expressions : « tout le peuple, tout Israël, tout le pays, personne, pas un seul, » au sens de l’affirmation renforcée et exagérée. — Le Juif, comme tous les Orientaux, emploie les métaphores les plus extraordinaires. Gen., ix, 5 ; Lev., x, 11 ; Ruth, i, 7. — Le Juif aime à rapporter directement les paroles d’autrui. — Les cas n’existent pas à proprement parler en hébreu. Par imitation de la construction hébraïque, quand deux noms se suivent dont le second complète le premier, on trouvera, dans les Septante, par exemple : ϰαταϰλυσμον ὕδωρ. De plus, l’hébreu marque fréquemment la relation entre le verbe et le complément au moyen d’une préposition ou d’une locution prépositive ; les Septante imitent souvent cet Usage. Gen., vi, 7 ; Is., xxra, 20 ; Jonas, i ; iv, 2, 5, 6, 8, 10, 11. — Le Juif aime à considérer l’acte comme accompli ou s'accomplissant, à le représenter comme réel, et à l'affirmer. De là la facilité à concevoir l’acte futur comme accompli déjà ou comme s’accomplissant, Lev., v, 1, 10 ; xiii, 31 ; de là le mélange des temps passé, présent et futur dans les prophéties. De là l’emploi du participe présent, qui montre l’acte comme s’accomplissant. — Les modes grecs ne correspondent pas à ceux de l’hébreu, et le Juif ne pense pas comme le Grec ; plusieurs des modes grecs étaient difficiles à manier pour le Juif. Certains modes deviendront rares, comme l’optatif avec ou sans av, sauf pour le souhait ; comme l’impératif et le subjonctif parfait, et même le participe futur, etc. — Pour le Juif, la parole et la pensée ne font qu’un. « Penser » suppose qu’on a parlé et avec soi et avec d’autres ; « parler » peut signifier que l’on n’a parlé qu’avec soi-même, qu’on a seulement pensé. Le Juif n'établit pas, comme le Grec letlré, une différence nette entre les verbes du sens de « croire, penser, percevoir, dire ». — Les Septante ont été souvent contraints de transporter en grec des mots, des expressions, des constructions purement hébraïques, quand ils ne connaissaient pas d'équivalent en grec. Mais ils considéraient aussi leur texte comme la parole même de Dieu ; ce respect pour le texte matériel favorisait encore, même à leur insu, les hébraïsmes littéraux. — Les doctrines théologiques des Juifs, leurs idées morales, leurs sentiments de piété sont exprimés pour la première fois en grec dans les Septante. La langue en reçoit une physionomie toute nouvelle, tout à fait étrangère. — Il n’est pas une page des Septante qui ne présente des hébraïsmes ; cependant, certains livres sont moins hébraïsants que d’autres ; ainsi la version de Daniel par Théodotion, le second livre des Machabées, la Sagesse, ces deux derniers écrits en grec, etc. — Le grec des Septante prend avec la syntaxe grecque un nombre considérable de libertés ; néanmoins, il règne dans ce livre une uniformité de pensées, de style, d’expression, qui touche à la monotonie. Mais quand on s’est familiarisé avec ce grec particulier, il produit une impression profonde, toute particulière, qui doit provenir du fond. — De prime abord, le grec des Septante, fond et forme, devait être à peu près inintelligible, même pour un Grec lettré, instruit.

IV. EXEMPLES LU GREC BÊBRAÏSANT DES SEPTANTE. —

1° Idées religieuses juives : KOpio ;, « Dieu, le Seigneur maître du monde ; » xti'Çsiv et iroisïv, î créer ; » juveûjia, , « l’esprit ou l’inspiration de Dieu qui possède l’homme inspiré, l’instruit ou le conduit ; » StxaiosOvi), « la justification » théologique ; x*P'5> * ta grâce divine ; » ta (ixrraict, Ta | « | ôvta, « les idoles, les dieux qui n’existent pas. » — 2° Sens juif de mots grecs.-râxxoç, Gen., xxxvii, 53, « habit de deuil ; » apte ;, ôcp-rot, Ruth, I, 6, t des vivres, de quoi manger ; » tô pîjiia, Ruth, iii, 18, « la chose, l’affaire ; » « jxeOoç, Deut., i, 41 ; xxii, 5 ; Is., uv, 16V