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GREC BIBLIQUE

sèphe et Philon, emploient la langue littéraire de leur époque, et non le grec hébraïsant ; ce que nous disons ici des Juifs hellénisants et de leur langue particulière ne s’applique pas à eux.

V. FORMATION DE L’IDIOME HELLÉNISTIQUE.— Les Juifs lettrés savaient seuls l’hébreu. Pendant les périodes de temps qui nous occupent, la langue nationale des Juifs est l’araméen, qui diffère peu de l’hébreu pour la manière de penser et de s’exprimer. Aussi nous appliquons les qualificatifs d’hébraïque et d’hébraïsant aussi bien à l’araméen qu’à l’hébreu, lorsqu’il n’y a pas lieu de distinguer. À parler d’une manière générale, les premiers Juifs hellénisants de la Palestine ou de la Dispersion ont appris le grec par la conversation, par les rapports journaliers du commerce et de la vie pratique, auprès de la partie la plus nombreuse de la population parlant grec, mais la moins cultivée ; ils ont appris le grec parlé ou familier de la langue commune. Leur but immédiat était de comprendre les Grecs et de s’en faire comprendre. Ces Juifs continuaient longtemps encore de penser en hébreu ou à la manière hébraïsante, tout en apprenant le grec et en le parlant. Comme le génie de l’hébreu diffère essentiellement de celui du grec, le grec parlé par les Juifs se chargea de tant d’hébraïsmes et prit une couleur hébraïsante si marquée qu’il se distinguait complètement de la langue commune. C’est le grec hébraïsant. Les Juifs hellénisants le transmettaient à leurs enfants. Ils le transmettaient aussi aux émigrants juifs qui arrivaient sans cesse de Palestine ; ces derniers apprenaient le grec, surtout auprès de leurs frères juifs, avec qui ils entretenaient naturellement et les premiers rapports et les rapports les plus fréquents. Dès lors, le grec hébraïsant est une branche de la langue commune ; il est fixé définitivement comme langue parlée, propre à la race juive. Puis, quand les livres sacrés des juifs ont été traduits ou composés dans ce grec hébraïsant, il se trouve aussi fixé comme langue écrite.. Les Juifs parlant grec habitaient des pays très différents et très éloignés les uns des autres. Mais leur idiome restait le même partout. Le fond de leur langue était la langue commune, la même partout, abstraction faite des particularités locales. L’influence de l’hébreu s’exerçait partout sur elle d’une manière identique. Enfin, l’influence des livres sacrés, qu’on lisait maintenant en grec, favorisait puissamment dans toute la Dispersion l’uniformité du grec hébraïsant parlé. À mesure que les années s’écoulaient, les Juifs entretenaient des rapports plus fréquents avec les Grecs de langue ; la dureté première du grec hébraïsant allait s’affaiblissant ; l’étrangeté de cette langue allait diminuant ; les Grecs pouvaient s’entretenir plus facilement avec les Juifs hellénisants et se familiariser eux-mêmes avec la pensée hébraïque et le grec hébraïsant.

IIe partie. — Ancien Testament grec ou Septante.— Ces deux appellations désignent tous les livres de l’Ancien Testament traduits ou composés en grec, protocanoniques et deutérocanoniques. Les Juifs de la Dispersion et de la Palestine se partagent au point de vue de la langue, pendant les périodes qui nous occupent, en trois catégories : ceux qui ne savent que l’araméen et l’hébreu ; ceux qui savent l’araméen et l’hébreu et le grec ; ceux qui ne savent que le grec. Les Juifs des deuxième et troisième catégories étaient les seuls qui pussent lire les livres composés en grec. Alexandrie fut, pendant la période alexandrine, le berceau de la littérature judéo-grecque. La population de cette ville comprenait alors trois éléments principaux : les colons et commerçants grecs et tout l’élément grec de la cour et des administrations ; les Égyptiens ou indigènes ; les colons et commerçants juifs.’Ajoutez des colons et commerçants venus de toutes les parties du monde. Alexandrie était une ville cosmopolite. La colonie juive était nombreuse et puissante. C’est pour elle, en premier lieu, que l’on a traduit en grec les livres sacrés des Juifs. Les traducteurs ou auteurs des Septante montrent parfois une certaine culture grecque. Cependant, ils ne paraissent pas être des lettrés ; ils ne sont pas maîtres de la langue grecque, dont ils connaissent mal les règles traditionnelles. Ils sont ouverts d’avance et pleinement à l’influence de l’hébreu qui s’exerce puissamment sur leur langue. Les livres des Septante ont eu divers traducteurs ou auteurs, écrivant à de certains intervalles ; de plus, quelques livres ont pu être composés, non à Alexandrie, mais ailleurs ; une différence de main et de style se fait donc parfois sentir ; cependant, la langue reste essentiellement la même ; elle est le grec hébraïsant tel qu’on le parlait à Alexandrie, au sein de la communauté juive ; on y retrouve le grec post-classique de cette ville, avec des particularités locales et un énorme mélange d’hébraïsmes ; beaucoup de ces derniers devaient exister déjà dans la langue courante des Juifs alexandrins ; l’influence du texte hébreu a dû seulement en accroître le nombre ou la dureté.

I. Élément grec ou post-classique dans les septante. — En principe, on regardera comme appartenant à la langue commune tout ce qui, d’un côté, s’écarte de la langue classique, et, d’un autre côté, n’est pas hébraïsant. Exemples : 1° Mots nouveaux et formes nouvelles (dialectales, alexandrines, populaires), ἀναθεματίζειν, ἐνωτίζεσθαι, ἔσθοντες, ἐλήμφθη. — 2° Mots composés (directement ou par dérivation), ἀποπεμτόω, ἐϰτοϰίζειν, ὁλοϰαύτωσις, προσαποθνήσϰειν, προτοτοϰεύω, σϰηνοπηγία. — 3° Flexions nominales. Au génitif Bαλλᾶς, Μοϋσῆ, Num., IX, 23 ; au datif, μαχαίρη, Exod., xv, 9 ; γήρει, Gen., xv, 15 ; à l’accusatif, ἃλω et ἃλωνα, Ruth, v, 6, 14. — 4° Flexions verbales, ἐλεαν, Tob., xiii, 2 ; ἱστᾶν, II Reg., xxii, 34, et ἱστᾶνω, Ézech., xxvii, 14 ; à l’imparfait, ἥγαν, II Reg., vi, 3 ; ἐϰρίνοσαν, Exod., xviii, 26 ; au futur, λιθοϐοληθίσεται, ἐλάσω, ἀϰoύσω, φάγεσαι, Ps. cxxvii, 2 ; à l’aoriste, ἥλθαν, ἀπεθαναν, ϰαθείλoσαν, Jos., VIII, 29 ; ἥρoσαν, Jos., iii, 14 ; εἴπoσαν et εἴπαν, Ruth, IV, 11, et 1, 10, ϰεϰράξαντες et ἐϰεϰραξεν, Exod., xxii, 23, et Num., xi, 2 ; ἀνέσαισαν, optatif 3e pers. plur. de ἀνασείω, Gen., xlix, 9, ἔλθoισαν, Job, xviii, 9 ; au parfait, παρέστηϰαν, Is., v, 29. — 5° Syntaxe : Emploi intransitif de certains verbes comme ϰατισχύω « » Exod., vii, 13, ϰoρέννυμι, Deut., xxxi, 20 ; ϰαταπαύω, Exod., xxxi, 18. Point de duel. Après un collectif singulier, les mots qui s’y rapportent immédiatement s’accordent ad sensum ; mais dans la suite de la phrase le verbe est au pluriel. Les particules adverbiales de mouvement peuvent être remplacées par celles du repos. La particule d’indétermination est ἐάν ; elle se joint aux relatifs (ὅς, ὅστις, ὅπoυ, ἡνίϰα, etc.) pour marquer que le sens du relatif ou la fréquence de l’acte sont indéterminés ; dans le second de ces emplois, on la trouvera avec les temps de l’indicatif. Exod., xvi T 3 ; xxiii, 9. Beaucoup de pronoms sujets ou compléments. Les particules de subordination sont moins nombreuses et moins employées qu’en grec classique ; la langue familière ne peut se parler en liant des périodes. Emploi extrêmement fréquent de l’infinitif avec ou sans article (τοῦ par exemple). Le style indirect est régulièrement écarté sous toutes ses formes, et, par suite, sous celle de l’optatif oblique. Extension de l’emploi du participe au génitif absolu. La construction du verbe avec son complément peut changer, comme avec πoλεμεῖν, Exod., xiv, 25, ἐξείλθεῖν, Num., xxxv, 26. Tendance à employer une préposition entre le verbe et le complément, etc.

II. élément hébraïsant des septante — L’hébreu est une langue essentiellement simple, familière et populaire, un peu primitive même et rudimentaire, par comparaison avec le grec classique. En écrivant, le Juif ne forme pas de périodes ; il ne subordonne pas les idées, il ne les groupe pas et ne les fond pas en un tout en les synthétisant. Pour lui, les idées sont toutes égales et