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ESCLAVAGE


avait un sort aussi dur que celui d’aujourd’hui. Maspero, Histoire ancienne, t. i, p. 283, 309, 326, 339. Sur la fin de leur séjour en Egypte, les Hébreux, en leur qualité d’étrangers, furent traités en véritables esclaves. Lev., xix, 34 ; Deut., iv, 20 ; y, 15 ; xiii, 10 ; xxiv, 18-22, etc. Voir Corvée, col. 1031. — Dans la suite des temps, les Israélites de Palestine fournirent de nombreuses victimes aux razzias des peuples ennemis qui les entouraient et qui les saisissaient pour les vendre sur les marchés d’esclaves. Ainsi se comportaient à leur égard les Phéniciens et les Philistins, qui les uns et les autres les vendaient aux Grecs, Joël, iii, 6 ; Amos, i, 6, 9 ; Ezech., xxvii, 13 ; les Syriens, dont le général Nicanor, ayant besoin de deux mille talents, promettait de livrer quatre-vingt-dix Juifs pour un talent, ce qui suppose un trafic portant sur cent quatre-vingt mille esclaves, I Mach., iii, 41 ; II Mach., vin, 11 ; les Égyptiens, Josèphe, Ant.jud., XII, ii, 3 ; iv, 9, et les Romains, col. 223, 224. — 2° Douceur relative de l’esclavage chez les Hébreux. — La législation mosaïque n’institue pas l’esclavage ; elle le trouve établi, le constate comme un fait et le régit de manière à sauvegarder la vie et la dignité de l’esclave, comme n’a su le faire aucun peuple de l’antiquité. Toutefois la Sainte Écriture considère l’esclavage comme une sorte de dégradation et un châtiment. En vertu de la malédiction qui le frappe, Chanaan devient « l’esclave des esclaves de ses frères ». Gen., ix, 25. Chez les Grecs et surtout chez les Romains, l’esclave était considéré comme un homme d’espèce inférieure, comme une sorte d’animal, comme une chose. On affectait de le désigner par des noms neutres, servihum, mancipium, ministerium, corpus. Il n’avait aucun droit, et l’on n’avait aucun devoir envers lui. Le maître pouvait user de lui selon son bon plaisir et lui ôter la vie sans avoir de compte à rendre. L’étranger qui tuait ou blessait un esclave payait simplement le dommage causé, comme s’il s’agissait d’un animal. Pour l’esclave il n’existait ni mariage, ni famille, ni parenté ; la liberté de la débauche était la seule qui lui restât ou qu’on lui imposât. Toute participation au culte religieux lui demeurait interdite. Caton, De re rustic, 5. Devenu vieux et hors de’service, il était abandonné comme un instrument inutile. Quelques maîtres, il est vrai, se montraient un peu plus compatissants que la loi ; mais celleci régissait la condition de presque tous les esclaves, et la plupart des maîtres avaient intérêt à s’en tenir à ses prescriptions. Cf. Fr. de Champagny, Les Césars, Paris, 1876, t. iv, p. 10-26 ; Dôllinger, Paganisme et judaïsme, ! trad. J. de P., Bruxelles, 1858, t. iv, p. 19-26, 66-78 ; "Wallon, Histoire de l’esclavage dans l’antiquité, 2e édit., j Paris, 1879. Chez les Juifs, au contraire, l’esclave était un homme. L’esclave hébreu devait être traité avec une particulière douceur : il était en somme le frère de son maître. Eccli., xxxiii, 31. L’esclave étranger lui-même avait un sort relativement favorable. Intelligent, il pouvait se faire une situation avantageuse. Prov., xiv, 15 ; xvii, 2. Traité injustement, il pouvait en appeler aux juges. Job, xxxi, 13. Mutilé, il recouvrait par le fait même sa liberté. Exod., xxi, 26, 27. Mis à mort, il était vengé comme un homme libre par les sévérités de la loi. Exod., xxi, 20. L’esclave qui fuyait d’un pays étranger devenait libre en entrant en Palestine. Deut., xxiii, 15, 16. La loi morale s’imposait à l’esclave et en faveur de l’esclave avec la même rigueur que pour les hommes libres, aussi bien sur la question du mariage que sur les autres. Exod., xil, 7-11. Enfin l’esclave était astreint à la loi religieuse et bénéficiait de ses prescriptions. Exod., xx, 10 ; Deut., ni, 18 ; xvi, M, 14. Voir Esclaves. Ce n’est pas à dire que la condition de l’esclave fût enviable, même chez les Juifs. Voici un tableau tracé dans les derniers temps avant Notre -Seigneur, et qui montre que l’esclave, en partie par sa propre faute, devait s’attendre à bon nombre de rigueurs : « À l’âne le fourrage, le bâton, - le fardeau ; à l’esclave le pain, la correction, le travail. Il ne travaille

qu’au fouet et ne pense qu’à ne rien faire ; que ta main se relâche, il cherche sa liberté. Le joug et le licol font plier le cou rebelle, et les travaux continus assouplissent l’esclave. À l’esclave méchant la torture et les entraves ; envoie-le au labeur sans répit, car l’oisiveté enseigne bien de la malice. Mets-le au travail, c’est ce qu’il lui faut. S’il rejimbe, dompte-le au moyen des entraves. Mais ne dépasse les limites envers qui que ce soit, et n’en viens à aucune rigueur sans avoir réfléchi. » Après s’être ainsi exprimé, l’auteur sacré se radoucit et parle de l’esclave fidèle en des termes inconnus aux philosophes païens : « Si tu as un esclave fidèle, qu’il soit pour toi un autre toi-même ; traite-le comme un frère, car tu l’as acquis de ton propre sang. Si tu le maltraites injustement, il prendra la fuite, et, s’il s’emporte et s’éloigne, où le chercher ? » Eccli., xxxiii, 25-33. Sans doute le motif invoqué pour conseiller la douceur est l’intérêt bien entendu du maître. Mais l’esclave reçoit le npm de frère, et ce seul mot révèle toute la distance qui sépare la loi mosaïque des législations païennes. Cf. Dôllinger, Pagarnisme et judaïsme, t. iv, p. 175 ; Munk, Palestine, Paris, 1881, p. 208-209 ; Stapfer, La Palestine au temps de Jésus-Christ, Paris, 1885, p. 151-153.

II. Dans le Nouveau Testament. — La doctrine de Notre -Seigneur est la condamnation même de l’esclavage. D’après l’Évangile, tous les hommes sont frères et ont pour père commun le « Père qui est dans les cieux ». Matth., iv, 16, 45, 48. Il suit de là qu’un homme ne doit pas être la propriété d’un autre homme. Les Apôtres vont-ils donc prêcher immédiatement l’abolition de l’esclavage ? Nullement. L’application du principe divin ne se fera que peu à peu, selon les règles de la prudence. On ne pouvait subitement abolir l’esclavage sans mettre le monde en révolution et sans aliéner à la cause de l’Évangile ceux qui n’auraient pas encore su se passer d’esclaves. Avant d’affranchir ces derniers, il fallait les former aux mœurs de la liberté chrétienne ; il fallait aussi préparer les maîtres à accorder d’eux-mêmes ce que les lois humaines n’exigeaient pas d’eux. Enfin on ne doit pas oublier que les esclaves, si nombreux dans le monde romain, ne possédaient d’autre moyen d’existence que le service de leurs maîtres, et que les arracher brusquement à ce service, c’était soit les condamner à mourir de faim, Juvénal, Sat., i, 95 ; iii, 249 ; Martial, Epigr., iii, 7-14 ; xiv, 125 ; soit les mettre à la charge des communautés chrétiennes, beaucoup trop pauvres encore pour pouvoir suffire à pareille tâche. Voici donc comment procédèrent les Apôtres. Ils montrèrent d’abord aux esclaves leur condition anoblie par Jésus-Christ, qui, Fils de Dieu, a voulu apparaître ici-bas en esclave. Pliil., ii, 7. Ils prêchèrent qu’au point de vue chrétien il n’y a plus de distinction entre l’homme libre et l’esclave, et que l’un et l’autre, s’ils s’acquittent bien de leurs devoirs, ont droit à la même récompense. I Cor., vii, 21, 22 ; xii, 13 ; Gal., iii, 28 ; Eph., VI, 8 ; Col., iii, 11. Ils recommandèrent aux esclaves d’être soumis à leurs maîtres. Eph., VI, 5 ; Col., iii, 22 ; I Tim., vi, 1 ; TU., ii, 9 ; I Petr., ii, 18. Ils rappelèrent aux maîtres qu’eux aussi ont un maître dans le ciel, et qu’ils doivent être justes et équitables envers leurs esclaves. Col., iv, 1. Ils déclarèrent en un mot que tous, Juifs et Gentils, libres et esclaves, ne sont qu’un dans le Christ Jésus. Gal., iii, 28. Enfin saint Paul écrivit à Philémon une lettre courte et touchante qui indique de quelle manière se ferait l’abolition de l’esclavage au nom de Jésus-Christ. Onésime est un esclave fugitif. Saint Paul le convertit et en fait « son fils > en Jésus-Christ. Il veut la liberté pour lui. Mais on comprend que si le baptême avait suffi pour assurer la liberté, tous les esclaves se fussent précipités au baptême par intérêt humain. Saint Paul envoie donc Onésime à Philémon, « non plus comme esclave, mais comme très cher fils. » C’était demander au maître l’affranchissement de l’esclave, sans pourtant l’imposer. Tel est l’esprit de la Loi évangélique. Il faudra plusieurs