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ÉLUS


c’est-à-dire que Dieu les a fait entrer dans la société nouvelle avant leurs frères encore restés juifs ou païens. Il recommande aux Colossiens, iii, 12, de se revêtir des vertus, comme il convient « à des élus de Dieu, à des saints, à des bien-aimés ». La pratique des vertus suppose nécessairement que les élus font partie de l’Église mili. tante. Saint Paul lui-même est apôtre « selon la foi des élus de Dieu », Tit., i, 1, c’est-à-dire pour prêcher cette foi qui fait les fidèles disciples de Jésus-Christ et implique « l’espérance de la vie éternelle ». Tit., i, 2. Ce titre d’  « élus » ou de membres de la société nouvelle n’est pas inamissible. Aussi saint Pierre recommande-t-il de s*en assurer la possession certaine au moyen de bonnes œuvres. II Petr., i, 10. — Saint Jean déclare aussi que le nom d’  « élus » et de « fidèles » n’appartient qu’à ceux qui combattent avec l’Agneau contre les puissances infernales. Apoc, xvii, 14. — Saint Paul « souffre tout pour les élus », Il Tim., ii, 10, c’est-à-dire pour les fidèles qu’il a engendrés à Jésus-Christ. — Dieu lui-même écoute la voix de ses élus qui crient vengeance, Luc, xviii, 7, c’est-à-dire de ses serviteurs persécutés sur la terre. « En faveur de ses élus, » il abrégera les calamités des derniers temps, de peur qu’ils ne soient déçus par les faux prophètes et qu’ils manquent leur salut. Matth., xxiv, 22, 24, 31 ; Marc, xiii, 20, 22, 27. — Ce nom d’  « élus » est donné aux fidèles de l’Eglise, d’abord parce qu’ils sont l’objet d’un libre choix de la bonté divine, Rom., xi, 5-7, 28 ; ensuite parce que, par leur conduite, ils doivent être des hommes à part, des hommes de choix. Ephes., IV, 17.

2° Ceux qui ont mérité de passer de la société spirituelle de la terre à la société glorieuse du ciel. — C’est à ces derniers que, dans le langage courant, nous réservons le nom d’  « élus ». Ce nom ne peut pourtant avoir le sens d’habitant du ciel que dans un seul texte, qui d’ailleurs est répété à la suite de deux paraboles : « Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. » Matth., xx, 16 ; xxii, 14. Que faut-il entendre ici par les élus ? La question est d’autant plus grave, que sur elle se greffe celle du nombre des élus. — 1. Dans la parabole des invités aux noces, Matth., xxii, 1-11, les premiers appelés refusent de venir et sont remplacés par des invités de rencontre qui prennent place dans la salle du festin. Parmi ces derniers, un seul est jeté dehors, parce qu’il n’a pas la robe nuptiale. Le contexte indique clairement que cette parabole s’adresse aux Juifs. Invités les premiers à entrer dans « le royaume des cieux », c’est-à-dire dans l’Église de Jésus-Christ, ils refusent et sont remplacés par d’autres hommes moins favorisés jusque - là. Ceux - ci cependant n’ont pas droit au royaume du ciel par le seul fait de leur entrée dans l’Église. Celui qui se comporte indignement dans la société spirituelle de la terre est exclu du royaume céleste. Rien d’ailleurs n’autorise à étendre l’application de la parabole à d’autres qu’à ceux de la maison d’Israël auxquels Jésus-Christ se déclare personnellement envoyé. Matth., xv, 24. Les appelés sont donc les Juifs qui se prennent pour la vraie race d’Abraham, docteurs, scribes, pharisiens, etc. Les élus sont ces publicains, ces courtisanes, etc., qui se convertissent et précèdent les premiers dans le royaume de Dieu. Matth., xxi, 31. En ce sens, il y a certainement moins d’élus que d’appelés. — Dans la parabole des ouvriers de la vigne, Matth., xx, 1-16, les ouvriers reçoivent le même salaire, malgré l’inégalité du temps employé au travail. Notre-Seigneur conclut la parabole en ces termes : « Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers les derniers ; car beaucoup sont appelés, mais, peu sont élus. » La seconde sentence est présentée comme une explication de la première. Le lien logique entre la dernière sentence et tout ce qui précède est peu apparent ; aussi cette sentence manque-t-elle dans plusieurs manuscrits importants [a, B, etc.) et dans plusieurs versions anciennes, telles que le copte, et des commentateurs pensent qu’elle est, en effet, à supprimer. Mais elle se lit dans trop d’autres

I manuscrits et est reproduite par trop d’auteurs anciens pour qu’on puisse admettre hardiment la légitimité de sa suppression. Il faut donc en chercher l’explication. — 2. Certains Pères de l’Église, prenant la sentence évangélique indépendamment de son contexte, en ont conclu que

; les élus, ceux qui se sauvent, ne sont que le petit nombre.

S. Augustin, Serm., xc, 4 ; t. xxxviii, col. 561. Pour justifier son affirmation, ce Père va même jusqu’à dire que l’homme qui n’a pas la robe nuptiale et qui est jeté dehors figure toute une multitude. Serm., xcv, 6, t. xxxviii, col. 583 ; S. Grégoire le Grand, Rom. in Evang., i, xix, 5 ; II, xxxviii, 14 ; t. xxiii, col. 1157, 1290 ; S. Thomas, Summ. theol., i, q. 23, a. 7, ad 3 am ; etc. Ils ont été suivis dans leur interprétation par un bon nombre de théologiens, de commentateurs et d’orateurs sacrés. Voir spécialement Bossuet, Méditations sur l’Évangile, dernière semaine, xxxive jour ; Bourdaloue, Pensées sur divers sujets de religion et de morale, x, petit nombre des élus ; et surtout Massillon, Grand carême, XLlll" sermon, sur le petit nombre des élus. — 3. Parmi les modernes, il y a tendance marquée à interpréter d’une manière plus large la sentence qui termine les deux paraboles évangéliques. Le mot « élus » désignerait ici, non pas ceux qui se sauvent, mais les âmes « de choix » qui servent le Seigneur avec plus d’ardeur que les âmes ordinaires. On remarquera que c’est le sens qui convient au mot IxXextoi, electi, dans la plupart des passages de la Sainte Écriture cités plus haut, tandis qu’en français le mot « élu » a une signification plus spéciale. Dans la parabole des noces, les âmes d’élite sont représentées par les invités dociles à l’appel du maître. Les premiers invités sont seulement des « appelés ». Peut-être en est-il parmi eux qui finiront par venir à fa dernière heure. Notre -Seigneur ne préjugj rien sur leur salut final. Il s’est même contenté de dire aux Juifs que les publicains et les courtisanes les précéderont dans le royaume des cieux, Matth., xxi, 31, ce qui suppose qu’eux-mêmes viendront plus tard. De fait, beaucoup de Juifs, d’abord rebelles à la prédication du divin Maître, se sont ensuite convertis à la voix des Apôtres. La seule condamnation qui soit portée tombe sur le malheureux qui a négligé de revêtir la robe nuptiale, c’est-à-dire de remplir les conditions requises pour passer de la société spirituelle de la terre à la société glorieuse du ciel. — Dans la parabole des ouvriers envoyés à la vigne, l’appel divin se fait entendre à tous, tous y répondent, tous reçoivent la récompense. Mais, parmi eux, les ouvriers de la première heure sont seuls des « élus », des âmes d’élite, représentant ces âmes chrétiennes, relativement peu nombreuses, qui se donnent à Dieu sans retard et lui restent dévouées et fidèles sans défaillance. Il ne faut pas négliger non plus le rapprochement que Notre -Seigneur établit entre les deux sentences : « Les derniers seront les premiers, et les premiers les derniers, » et : « Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. » Matth., xx, 16. L’étude des derniers versets du chapitre précédent de saint Matthieu, xix, 27-30, montre que les premiers et les derniers représentent deux catégories de fidèles, les uns fervents et généreux, tes autres moins détachés des choses de ce monde. Notre-Seigneur avertit ses Apôtres de prendre garde à ne pas déchoir de leur ferveur et à ne pas abandonner le premier rang pour le dernier. Si donc les premiers et les derniers sont des membres de la société spirituelle qui travaillent les uns et les autres à leur salut, il faut en dire autant des appefés et des élus. La formule évangélique reviendrait donc à ceci : Tous les hommes sont appelés au salut, puisque « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés », 1 Tim., H, 4 ; parmi tous ces appelés au salut, beaucoup sont appelés à une vie fervente et parfaite ; mais peu répondent à cet appel et deviennent des âmes d’élite. — Sur ce sens donné aux deux paraboles et à la sentence finale, voir Bergier, Traité de la vraie religion, nr> partie, IX, il, 7, Œuvres complètes, Paris, 1855, t. vii, col. 1285 ;