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CANON DES ÉCRITURES


peler le nombre des livres sacrés, et plus tard on y chercha’un sens mystique. — Le catalogue de Cheltenham est d’autant plus remarquable, qu’il contient tous les livres protocanoniques et deutérocanoniques, la seule Épître aux Hébreux exceptée, et qu’il donne à tous ces livres le nom de « canoniques ». Tout porte à croire que ce catalogue, quoi-qu’il nous vienne d’Afrique, est celui de l’Église romaine.

3° Église romaine. — Nous avons un document officiel, le plus ancien de ce genre, qui nous fait connaître le canon de l’Église romaine. C’est le décret De recipiendis et non recipiendis libris, dont les critiques de nos jours attribuent le premier chapitre, c’est-à-dire le canon des Écritures, au pape Damase (366-384), à la suite de A. Thiel, qui a étudié la question dans De Decrelali Gelasii papse de recipiendis et non recipiendis libris et Damasi concilia romano de explanalione fidei et canone Scripturæ Sacrse, P. Coustantii suasque anirnadversiones prsemisit et textum secundum probatissimos codices edidit, in-4°, Braunsberg, 1866. Voir A. Thiel, EpistolseRonianorumPontificum genuinse, t. i, Braunsberg, 1868, p. 44-58 ; Ph. Jafïé, Regesta Pontificum romanorum, 2e édit., t. i, 1885, p. 40, 91 ; C. A. Roux, Le pape saint Gélasel" ; in-8°, Paris, 1880, p. 163-193. Il fut réédité plus tard, en 495 ou 496, avec des additions, par le pape saint Gélase (492-496), ce qui fait qu’il estplus connu sous le nom de Decretum Gelasianum ; on l’a attribué aussi au pape saint Hormisdas (514-523), qui le publia de nouveau. Il fut enfin inséré par Gratien dans les Décrétales, Dist. xv, 3. Le voici pour la partie relative à l’Ancien Testament : « Nunc vero de Scripturis divinis agendum est, quid universalis catholica recipiat Ecclesia vel quid vitare debeat. Incipit ordo Veteris Testamenti. Genesis liber i. Exodi liber i. Levitici liber i. Numeri liber i. Deuteronomii liber I. Jesu Nave liber i. Judicum liber i. Ruth liber i. Regum libri iv. Paralipomenon libri n. Psalmorum cl liber i. Salomonis libri m. Proverbia liber i. Ecclesiastes liber i. Cantica Canticorum liber i. Item Sapientiae liber i. Ecclesiasticus liber i. Item ordo prophefarum. Isaiae liber i. Jeremise liber i, cum Chinoth, id est, Lamentationibus suis. Ezechielis liber i. Daniheli liber i. Oseae liber i. Amos liber i. Michœæ liber i. Joël liber i. Abdiaî liber i. Jonre liber i. Naum liber i. Abbacuc liber i. Sophoniae liber i. Aggæi liber i. Zachariae liber i. Malachiae liber i. Idem ordo historiarum. Job liber i, ab aliis omissus. Tobiae liber i. Hesdroe libri il. Hester liber i. Judith liber i. Machabæorum libri n. » Thiel, De Decretali Gelasii papse, 1866, p. 21, ou Labbe, Concil., 1671, t. iv, col. 1260. Baruch n’est pas nommé, probablement parce qu’on ne le séparait pas de Jérémie.

En 405, le pape Innocent I er envoya à saint Exupère, évêque de Toulouse, qui le lui’avait demandé, un catalogue des Livres Saints : il est la reproduction de celui de saint Damase, et par conséquent en tout conforme à notre canon actuel. Mansi, Conc, t. ii, p. 1040-1041.

Cependant, malgré la croyance générale de l’Église occidentale et en particulier de l’Église romaine, les idées qui avaient cours en Orient eurent leur écho dans l’Église latine, à la suite des rapports fréquents des deux parties de l’empire romain et du séjour que plusieurs Latins firent en Orient.

Parmi les Pères de l’Église d’Occident, saint Hilaire de Poitiers, In Ps. Prol., 15, t. ix, col. 241, dit qu’il y a dans l’Ancien Testament autant de livres que de lettres dans l’alphabet hébreu, c’est-à-dire vingt-deux ; il les énumère en y comprenant Jérémie avec les Lamentations « et la lettre » (Baruch, vi) ; puis il ajoute que quelques-uns ont jugé à propos, par l’addition de Tobie et de Judith, de porter le nombre des livres à vingt-quatre, selon le nombre des lettres de l’alphabet grec. Dans ce passage le saint docteur imite Origène, comme l’avait déjà remarqué saint Jérôme. De vir. ill., 100, t. xxiii, col. 699, et il se propose seulement, dans la première partie, de rap porter le canon palestinien. Il est loin d’ailleurs de rejeter les deutérocanoniques, car il en fait usage dans toutes ses œuvres et en particulier dans son commentaire des Psaumes.

Rufin distingue expressément les livres que nous appelons protocanoniques et deutérocanoniques. La divergence entre le canon palestinien et l’alexandrin a fini par introduire définitivement cette distinction, que nous retrouverons maintenant à travers tout le moyen âge Le prêtre d’Aquilée ne les désigne pas par le même nom que nous, mais il appelle les seconds ecclesiastici, par opposition aux premiers qu’il nomme canonici. La raison de cette dénomination d’  « ecclésiastiques » vient de ce que les Pères « ont voulu, dit-il, qu’ils fussent lus dans les Églises, mais non qu’ils fussent allégués comme autorité pour confirmer les choses de la foi ». In Symb. Apost., 36-38, t. xxi, col. 373-375. Cette distinction et cette explication rappellent ce qu’avait dit saint Athanase. Rufin est le premier qui se soit exprimé ainsi chez les Latins, comme saint Athanase est le premier qui ait parlé de la sorte chez les Grecs. Mais il faut remarquer que, tandis qu’à Alexandrie on faisait seulement lire les deutérocanoniques aux catéchumènes, il résulte du témoignage même de Rufin qu’en Occident on lisait soit les protocanoniques, soit les deutérocanoniques dans les Églises, sans faire entre eux aucune différence, parce qu’en réalité, dans la pratique, comme dans la croyance primitive, il n’existait entre eux aucune distinction. Rufin est allé chercher cette distinction dans l’Église grecque, et comme il n’a pu l’expliquer de la même manière que saint Athanase, il a imaginé que les livres qu’il appelle « ecclésiastiques » n’étaient que des livres d’édification et n’avaient pas d’autorité en matière de foi ; il est probable qu’il a appliqué faussement ce qu’avait dit Origène dans sa lettre à Jules Africain, 5, t. x, col. 60, savoir qu’on ne devait pas alléguer en matière de foi les deutérocanoniques « contre les Juifs » ; il a généralisé à tort ce que le docteur d’Alexandrie avait eu soin de limiter exactement. Rufin admet d’ailleurs la divinité des deutérocanoniques. Cf. Rufini vita, ii, c. 18, 2, t. xxi, col. 270. Il les défendit même avec véhémence contre son grand adversaire, saint Jérôme, ainsi que nous le verrons plus loin.

Saint Jérôme, ce grand docteur de l’Église latine, qui a tant fait pour la traduction et l’explication des Saintes Écritures, a eu cependant sur le canon des opinions qui ne concordent pas toujours rigoureusement avec le langage des anciens Pères. Cette âme ardente, qui se laissait quelquefois entraîner par la passion et ne pesait pas rigoureusement toutes ses paroles, s’est exprimée d’une manière assez contradictoire dans divers passages de ses écrits. L’impression qui se dégage de la lecture de ses œuvres, c’est que, sous l’influence du milieu juif dans lequel il avait beaucoup vécu, et en particulier des rabbins qui avaient été ses maîtres, il aurait été porté à ne garder que le canon palestinien ; mais comme sa foi lui faisait un devoir de se soumettre à l’autorité de l’Eglise, il acceptait avec elle les livres deutérocanoniques contenus dans la Bible des Septante, quoiqu’il ne les trouvât pas dans la Bible hébraïque. Plus il est porté par son tempérament, ses habitudes et ses préférences juives, à repousser les deutérocanoniques, plus l’hommage qu’il est forcé de leur rendre comme malgré lui est significatif et concluant en faveur de la croyance de l’Église. Dans sa Prœf. in lib. Salom. t. xxviii, col. 1242-1243, il parle comme son ennemi Rufin, il dit que Tobie, Judith, les Machabées, « ne sont pas parmi les Écritures canoniques ; » mais que « l’Église les lit pour l’édification du peuple, non pour la confirmation des dogmes ecclésiastiques ». Il ajoute souvent quelque mol restrictif sur leur autorité lorsqu’il mentionne les deutérocanoniques (voir R. Cornely, Introd. in lib. sac, t. i, p. 105-108) ; mais cela ne l’empêche point de les citer et de les qualifier de « sacrés », Epist. lxv ad Princip., i, t. xxii, col. 623, comme les