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    1. ECCLÉSIASTE##

ECCLÉSIASTE (LE LIVRE DE L’)

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tnme. Il les a vécues. On le voit de reste, on l’éprouve rien qu’à remarquer le ton véhément, tragique, dont il ne se départit guère. Il exagère, il parle en orateur, en poète parfois ; mais avec quel mouvement, quel heurt de pensées ! À part Job peut-être, nul n’est descendu si avant dans cet inexorable ennui qui fait le fond de la vie humaine. "Voir iii, 18-21 ; iv, 2-16 ; ix, 11, 12 ; xii. C’est par là, en parlant avec exagération des côtés sombres de la vie, que sa doctrine a donné prise aux objections.

Objections doctrinales. — On accuse l’Ecclésiaste d’épicurisme, de fatalisme, de pessimisme. On trouve qu’il nie la valeur de la raison, et qu’il ne reconnaît pas l’immortalité de l’âme. Reprenons ces affirmations. — 1° Qôhélét admet l’immortalité de l’âme. Il n’en donne pas la notion complète, qui était réservée aux temps nouveaux, mais il en exprime la notion essentielle, telle qu’il convenait qu’elle fût alors. Il ne peut pas ne pas l’avoir, car les Hébreux dès le temps de Moïse l’avaient très certainement. J. Knabenbauer, Das Zeugniss des Menschengeschlechtes fur die Unsterblichkeit der Seeîe, vi" Ergà’nzungsheft des Stimmen aus Maria-Laach, Fribourg-en-Brisgau, 1878, p. 9. Et il l’a en effet. Quoi de plus clair que xii, 7 : « La poussière fera retour à la terre, comme ce qu’elle était, et l’esprit reviendra vers Dieu, qui l’a donné. » Du reste, sa théorie favorite du jugement futur dans l’autre vie exige qu’il croie à l’immortalité. Cf. m, 17 ; viii, 1-8, 11 ; XI, 9 ; xii, 14. Pas de justice ici-bas, et cependant il faut une justice ; c’est Dieu qui la rendra après la mort. Tel est son raisonnement. Un seul passage : (Quis novit si spiritus filiorum Adam ascendat swsum, et si spiritus jumentorum descendat deorsuni ?) m, 21, semble contredire. Il n’en est rien. Ou bien il affirme, en effet, l’idée de survivance, si l’on entend ascendat sursum de l’immortalité bienheureuse, et descendat deorsum de l’immortalité malheureuse (voir G. Gietmann, In Eccle., p. 185)., ou bien il ne touche pas même à la question, si l’on traduit ruâfy, spiritum, par souffle, et non pas par « esprit » : il s’agirait simplement alors du dernier souffle de l’homme et de la bête exhalé identiquement, mais dont le lieu de retour serait différent, l’un porté en haut, l’autre tombant en bas. Voir trois autres sens au mot Ame, t. i, col. 468. Qôhélét ne nie donc pas l’immortalité. — Il ne méconnaît pas davantage la valeur de la raison. Quand même il dirait que « l’homme ne peut se rendre compte de rien », i, 8 ; que même en se privant de sommeil pour étudier, il « ne saurait jamais arriver à la compréhension de ce qui se fait sous le soleil », viii, 16, 17 ; que lui, Qôhélét, ayant appliqué toute son âme à la sagesse et à la science, il a vu enfin que « cela aussi n’est que vanité et pâture de vent », i, 12-18, il ne dit rien que de très orthodoxe : ce n’est pas la capacité de la raison et sa valeur intime qu’il met en doute, il ne traite pas cela ; mais c’est sa limite dans la compréhension qu’il affirme. La raison ne peut comprendre tout : est-ce dire qu’elle ne sait rien avec certitude ? Non, certes. Il en exalte ailleurs la force, ix, 14-18 ; la lumière, la gloire, viii, 1 ; la divine origine, vii, 29. — 2° Passons à l’accusation de pessimisme. L’Ecclésiaste serait, dit-on, un désenchanté, un ennuyé incurable, parce qu’il sent et exprime avec passion le néant des choses qui occupent le cœur de l’homme. Mais ne nous trompons pas. Autre est cette doctrine, et autre le pessimisme d’un Schopenhauer ou d’un von Hartmann. C. H.Wright, Ecclesiastes, Londres, 1883, e. vi et vii, p. 141-214. La raison et la foi répudient les opinions de ces philosophes ; elles admettent au contraire l’appréciation de l’Ecclésiaste sur la vie et sçs misères, parce qu’elle est vraie au fond, quoique très noire. Voici comment il faut comprendre sa pensée. Qôhélét cherche à établir l’homme dans l’usage modéré des choses. Pour y atteindre, il s’efforce d’assombrir la vie et d’en exagérer le vide et le néant. Il sait que, lié comme il l’est aux sens, l’homme ne se déprendra pas si totalement de ses illusions qu’il ne lui paraisse toujours

bon et joyeux de vivre : ce sera alors Vaurea mediocritas, son rêve. Qôhélét, en effet, est si peu pessimiste dans le sens moderne du mot, que çà et là il interrompt sa lamentation pour exciter à la vie et à la joie. II n’y a qu’une chose de bonne : jouir de la vie et de son travail, manger son pain en liesse, boire son vin en bonne humeur, iii, 22 (Vulgate, 21) ; viii, 15 ; ix, 7 ; xi, 9. S’il était pessimiste, il ne pourrait pousser au travail assidu comme il le fait avec tant d’éloquence. Sème le matin, et le soir ne laisse pas reposer ta main, xi, 1, 2, 6. Il croit à la Providence qui régit tout, sans que l’homme puisse pénétrer le secret de ses lois, xi, 11, 12, et il exhorte celui-ci, malgré cette douloureuse ignorance, à la piété et à la crainte de Dieu. Certes ce n’est pas là la doctrine d’un pessimiste. — 3° Il n’est pas plus fataliste qu’il n’est pessimiste. Il a des textes qui semblent tout assujettir à l’aveugle hasard, ne, 11, 12. L’homme, d’après d’autres passages, ne saurait agir librement : sa vie, son sort, sa condition ne sont pas dans sa main. Il, 15, 16, 26. Tout ce que Dieu a fait restera éternellement ce qu’il l’a fait. Rien n’y peut être changé ni retranché, m, 14, 15. Il est possible, à ne prendre que les mots, d’entendre les textes dans ce sens. Mais, en fait, ce n’est très certainement pas celui qu’il faut leur donner. Les interpréter de la sorte, ce serait nier l’action divine dans le monde et dans l’homme la liberté. Or il est incontestable que ces deux dogmes sont acceptés par l’auteur de l’Ecclésiaste. Il reconnaît une loi générale immuable, devant laquelle tout finit par plier ; mais en même temps les misères de la vie, dont il parle sur un ton si amer, il les dit expressément causées par la volonté de Dieu, iii, 11, 14 ; vi, 2, 10 ; vii, 14, 15 ; viii, 3, 8 ; x, 5. Il les rapporte aussi à la volonté de l’homme, vii, 30. Partout il parle de la liberté humaine. Il invite à la piété, il exhorte à la modération, il veut que l’on cultive la sagesse, 1, 13-18 ; viii, 16-17 ; il oppose la vraie prudenceà la prudence mondaine, vi, 5, 12, 20 ; vii, 1, 5 ; ix, 13 ; x, 12 ; xii, 10. Est-ce le fait d’un sage qui nie la liberté ? De plus, la cause de tous ces maux, dont il se plaint, c’est l’abus qu’a fait le premier homme de sa liberté, le péché originel, vii, 30. La doctrine de l’Ecclésiaste n’est donc nullement le fatalisme. — 4° On l’a accusé d’épicurisme. Personne ne songe à nier qu’il y a dans son livre des mots et des textes qui d’apparence justifient l’accusation. — 1. Les mots ou expressions’qu’on relève sont : y’ôkal vesâfâh (comedere et bibere), ii, 24, cf. v, 18 (hébreu, 17) ; viii, 15 ; râ’âh tôb (videre bonum), iii, 13 ; éâmah (lœtari), iii, 12, 22. Écartons’âéâh tôb (facere bene), iii, 12, qui n’a pas le sens de « se réjouir », qu’on lui donne. — 2. Les textes sont : ii, 10 ; iii, 12, 22, 23, 24 ; v, 17 ; viii, 15 ; ix, 7, 8, 9 ; xi, 9. Dans tous ces passages, l’Ecclésiaste invite à jouir de la vie, mais une sage exégèse les explique sans difficulté. — 1. Par eux-mêmes d’abord, les mots n’énoncent pas nécessairement l’épicurisme, c’est évident. Ils sont peut-être littérairement peu délicats ; mais qui ne sait que l’hébreu ne doit pas se juger comme nos langues occidentales ? Ils ne signifient pas autre chose que : jouir de la vie et des biens qu’elle nous offre. Or cela même, réglé par la droite raison, n’est pas l’épicurisme, mais la simple et honnête morale convenant à ces temps-là. — 2. Les textes n’ont pas un autre sens, il faut les interpréter selon les deux grande’s pensées du livre. La première pensée est exprimée dans ces passages d’une indicible mélancolie où se sent le vide, des émotions humaines épuisées jusqu’au dégoût. Voilà/ un excès, un désordre qui n’est pas selon la raison. Pour le redresser et placer l’homme dans le vrai, l’auteur ramène celui-ci à l’usage réglé de la vie, dont la condition est Vaurea mediocritas du poète : c’est la seconde pensée générale. Qu’il faille le comprendre ainsi, c’est ce qu’il montre lui - même clairement, quand il dit cent fois que cette joie de vivre est un « don » de Dieu, qu’elledoit être jointe au « travail », à « la crainte de Dieu >, i