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CANON DES ÉCRITURES

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pas d’ailleurs très claires, et Ton n’y trouve rien de précis sur la date des travaux de la Grande Synagogue, à qui l’on attribue plusieurs siècles d’existence. D’autres endroits du Talmud font entendre que, même vers le commencement de notre ère, il y avait encore parmi les rabbins des discussions sur le caractère canonique de certains livres, tels que celui des prophéties d’Ézéchiel, Sabbath, 30 ; l’Ecclésiaste, Yadaïm, iii, 5 ; Sabbath, i. 30 b ; S. Jérôme, In Eccl., xii, t. xxiii, col. 1116. Cf. Fùrst, Der Kanon des Allen Testaments, in-8°, Leipzig, 1869, p. 148 ; Th. Zahn, Geschichte des Neutestamentlichen Kanons, t. i, Erlangen, 1888, p. 125.

Quoi qu’il en soit, il est du moins certain, par les témoignages talmudiques, que vers la fin du IIe siècle de notre ère, et, par le témoignage de Josèphe, qu’à la fin du i", tous les livres protocanoniques de l’Ancien Testament étaient admis comme divins par les Juifs de Palestine. Les citations que font de l’Ancien Testament les auteurs du Nouveau établissent la même vérité pour le commencement de l’ère chrétienne, bien qu’ils n’aient pas eu occasion de faire usage de quelques livres moins importants. Tous les livres protocanoniques étaient donc reconnus comme inspirés et divins par les Juifs de Palestine du temps de Notre-Seigneur. Esdras avait dû recueillir tous ceux qui étaient déjà composés de son temps, car les difficultés faites par quelques rabbins du I er siècle contre certains écrits montrent elles-mêmes qu’on les regardait communément comme divins ; cependant Esdras n’avait point clos le catalogue des livres sacrés de telle manière qu’on ne pût y en ajouter d’autres, si Dieu en inspirait de nouveaux.

IL Canon des Juifs d’Alexandrie. — Les Juifs de Palestine avaient d’abord admis dans leur canon au moins quelques-uns des livres deutérocanoniques ; mais ils exclurent définitivement les écrits qui ne leur semblèrent pas rigoureusement conformes à la Loi mosaïque, qui n’avaient pas été composés en Palestine ou au moins rédigés en hébreu, et qui enfin, comme le dit Josèphe dans le passage cité plus haut, n’avaient pas une certaine ancienneté. Les Juifs d’Alexandrie ne furent pas si exclusifs, ils acceptèrent en outre comme sacrés tous les livres et parties de livres deutérocanoniques qui ont été déjà énumérés, de sorte que leur canon fut plus étendu et plus complet. C’est celui qu’a accepté l’Église catholique ; tous les livres reconnus comme canoniques par le concile de Trente sont ceux que contient la Bible des Septante.

Nous n’avons aucun témoignage direct de l’existence d’un canon particulier des Juifs d’Alexandrie ; mais elle résulte d’un certain nombre de faits incontestables. — 1° L’Église chrétienne a adopté pour l’Ancien Testament un canon plus étendu que celui des Juifs de Palestine, un canon qui comprend tous les livres deutérocanoniques, tomme nous le montrerons bientôt. Or il n’est pas douteux qu’elle n’ait reçu ses livres sacrés des mains des Juifs. Puisque les livres deutérocanoniques n’étaient pas acceptés comme Écriture par les Juifs de Palestine, elle les a donc reçus des hellénistes, qui avaient sur ce point une autre manière de voir que leurs frères non hellénistes. — 2° Aussi les protestants et les rationalistes eux-mêmes, quoiqu’ils nient que les deutérocanoniques aient « té transmis à l’Église par les Juifs, sont nonobstant forcés d’admettre ce fait, d’ailleurs incontestable, savoir : que les Alexandrins avaient dans leurs exemplaires <les Écritures les livres et les fragments deutérocanoniques aussi bien que les protocanoniques, qu’ils n’établissaient pas de distinction entre les uns et les autres, et qu’ils mêlaient les premiers aux seconds dans leurs exemplaires, sans reléguer les parties qui n’étaient pas acceptées par les Juifs de Palestine dans un appendice, comme on le fait dans nos éditions de la Vulgate pour le troisième et le quatrième livres d’Esdras. C’est, en effet, ce qu’attestent les manuscrits. Les Alexandrins

avaient donc une Bible plus étendue que les Palestiniens, une collection plus considérable de livres sacrés ; en un mot, pour employer le terme aujourd’hui consacré, ils avaient un canon différent. Un auteur peu suspect, S. Davidson, le reconnaît expressément : « La manière même dont les livres apocryphes [c’est-à-dire deutérocanoniques ] sont insérés au milieu des livres canoniques dans le canon d’Alexandrie montre qu’on assignait aux uns et aux autres un rang égal. » The Canon of the Bible, in-8°, Londres, 1877, p. 181. — 3° Ce que témoignent les Septante pour les Juifs d’Alexandrie est confirmé par ce qui nous reste des versions grecques de Théodotion, d’Aquila et de Symmaque. Théodotion avait traduit Daniel avec ses parties deutérocanoniques, et sa version fut même substituée de bonne heure à celle des Septante dans l’Église grecque. S. Jérôme, Comni. in Dan., Prol., t. xxv, col. 493. Il est certain que les traductions d’Aquila et de Symmaque contenaient au moins l’histoire de Susanne.

Comment expliquer une divergence en matière si grave, entre les Juifs de Palestine et ceux d’Egypte ? Pourquoi ces derniers ont-ils accepté comme divins des livres qui étaient rejetés à Jérusalem ? — On ne peut pas répondre d’une manière certaine à ces questions ; mais il est assez probable que si les Alexandrins ont admis dans leur Bible les écrits que nous appelons aujourd’hui deutérocanoniques, c’est parce que les Palestiniens les avaient aussi admis tout d’abord. —1° Il importe de remarquer qu’au commencement de notre ère, en Palestine, on ne fait aucun reproche spécial à la version des Septante. Josèphe en fait l’éloge, Ant. jud., XII, ii, 13, édit. Didot, t. i, p. 444. Le Talmud de Jérusalem lui-même, Megilla, I, 9, ne trouve que treize fautes à lui reprocher pour le Pentateuque. Ce ne fut que plus tard, lorsque le christianisme eut déjà fait des progrès sensibles, que les Juifs attaquèrent la version grecque et peut-être aussi qu’ils rejetèrent complètement les livres deutérocanoniques. — 2° Car on ne peut douter qu’ils n’en eussent d’abord fait usage. Leurs Midraschim l’attestent pour Tobie et Judith. (Voir Ad. Neubauer, The Book ofTobït, in-8°, Oxford, 1878, p. vu ; J. Chr. Wolf, Bibliotheca hebraica, 4 in-4°, Hambourg, 1715-1733, t. ii, p. 197.) Josèphe, Ant. jud., XI, vi, 6 et suiv., a reproduit mot à mot des passages des fragments deutérocanoniques d’Esther ; divers rabbins les ont aussi cités. (De Rossi, Spécimen variarum lectionum et chaldaica Eslhein fragmenta, Rome, 1782, p. 119.) Ils ont fait de même pour l’Ecclésiastique et pour la Sagesse. (S. Épiphane, Adv. lissr., viii, 6, t. xli, col. 213 ; Zunz, Die gottesdienstlichen Vortrage der Juden, 2e édit., in-8°, Francfort-surle-Main, 1892, p. 106-112.) Origène, In Ps. i, t. xii, col. 1084, nous assure que de son temps les Juifs joignaient Baruch à Jérémie dans le canon de Palestine, et les Constitutions apostoliques, v, 20, Patr. gr., t. i, col. 896, témoignent qu’au ive siècle on lisait ce prophète dans les synagogues. Quant aux livres des’Machabées, qui sont les derniers écrits deutérocanoniques de l’Ancien Testament, Josèphe a fait grand usage du premier, Ant. jud., XII, v, 1-XIII, vii, et le martyre des sept frères Machabées, raconté dans le second, II Mach., vi-vn, est célébré par les Juifs dans leurs livres hagadiques. Zunz, Gottesdienslliche Vortrage, 1892, p. 130-131. Remarquons enfin que tous les livres et fragments deutérocanoniques, de l’aveu de la plupart des critiques, ont été composés en hébreu ou en araméen, à part la Sagesse et le second livre des Machabées, qui ont été écrits en grec. On peut donc admettre avec probabilité que c’est de Palestine même que les Alexandrins ont reçu les livres deutérocanoniques écrits en langue sémitique, comme ils en recevaient en général la direction religieuse. Cf. la note ajoutée à Esther par les Septante et traduite dans la Vulgate, Esth., xi, 1 ; II Mach., ii, 15 ; Josèphe, Cont. Apion-, i, 7. Du reste, comme l’a observé Ms r Malou : « La tradition chrétienne