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4467 DOMINICAINS (TRAVAUX DES) SUR LES SAINTES ÉCRITURES 1468

Thomas d’Aquin, par ordre d’Urbain IV (1161-1164), entreprit sur une base plus large et avec des ressources nouvelles une exposition des quatre Évangiles, par la juxtaposition de textes patristiques formant une interprétation continue. Il avait donné lui-même à son ouvrage le nom d’Expositio continua, auquel on a substitué plus tard celui plus prétentieux et moins clair de Catena aurea. Saint Thomas avait fait traduire directement du grec un certain nombre de textes que l’on ne possédait pas encore en latin, ainsi qu’il le déclare dans les préfaces. Son confrère Guillaume de Morbeeke, archevêque de Corinthe, qui se trouvait avec lui à la cour pontificale, et traduisait du grec, sur sa demande, les œuvres d’Aristote et d’autres philosophes, est selon toute vraisemblance l’auteur de ces traductions patristiques. L’utilité d’avoir ainsi, juxtaposées au texte de la Bible, l’autorité et l’interprétation des Pères était manifeste, en un temps où il était presque impossible de se procurer les travaux originaux. Aussi Humbert de Romans, cinquième maître général de l’ordre, dans son mémoire sur les questions à traiter au second concile de Lyon (1274), demande-t-il l’exécution d’un travail de cette nature pour les livres de la Bible qui ne l’ont pas encore : Pro theologia videretur expediens, quod biblia glossaretur continue de diclis sanctorum in libris non glossatis. Martène, Ampl. coll., t. vii, p. 198. C’est vraisemblablement pour combler cette lacune que le dominicain anglais Nicolas de Treveth exécuta, au commencement du xiv* siècle, une exposition patristique de cette nature pour toute la Bible. Echard, t. i, p. 562.

7° Le moyen âge n’a pas composé de travaux analogues à ceux que nous appelons, depuis le xvie siècle, Introduclons à l’Écriture, et qui renferment les questions d’ordre général relatives à cette étude. On en retrouve cependant les éléments dispersés soit dans les préfaces des commentaires, soit surtout dans les traités de théologie ou d’apologétique, soit même dans quelques opuscules relatifs à des questions scripturaires spéciales, comme le traité de Gilles de Lessines, De concordia lemporum, sur la chronologie biblique. Echard, t. i, p. 370.

V. VULGARISATION DU TEXTE DE LA BIBLE : LES TRA-DUCTIONS. — Dès la fin du xil » siècle, mais surtout au siècle suivant, il se produisit dans les couches populaires une fermentation religieuse intense. Elle se traduit, entre autres manières, par un vif désir chez les laïques délire l’Écriture en langue vulgaire. Le mouvement vaudois avait inauguré et développé cette tendance. Le goût de la discussion religieuse et la facilité d’errer chez des esprits sans culture avaient rendu l’autorité ecclésiastique défiante à l’égard de la traduction de l’Écriture dans les idiomes nationaux naissants. L’Église romaine ne semble pas avoir porté de défense positive contre la lecture de la Bible en langue vulgaire. Mais les évêques, qui se montrèrent plus antipathiques que les papes à l’égard des mouvements religieux laïques, furent aussi plus sévères à l’égard d’une pratique qui semblait les susciter et les entretenir. Au synode de 1210, l’évêque de Paris ordonné qu’on lui remette les livres théologiques écrits en roman, sauf la Vie de saints, sous peine de se voir déclarer hérétique. Chart. univ. Paris., t. i, p. 70. Le concile provincial de Toulouse, en 1229, défend aux laïques de posséder les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament ; on leur concède, pour leur édification, le Psautier, le Bréviaire ou l’Office de la bienheureuse Vierge, mais non en langue vulgaire. Mansi, Concil., t. xxiii, p. 715. Le concile de Béziers, en 1246, dans son règlement pour les inquisiteurs de la Provence, refuse aux laïques tout livre théologique, et même aux clercs les livres théologiques en langue romane. Mansi, t. xxxiii, p. 715.

Les. Frères Prêcheurs, voués à la prédication et à la direction des âmes, exercèrent de très bonne heure une action étendue sur un grand nombre de personnes laïques et de fraternités. Ils furent inévitablement conduits à

fournir un aliment à leur piété en mettant à leur portée des traductions en langue vulgaire. Ces sortes de productions littéraires avaient pris, en 1242, un développement assez considérable pour que le chapitre général tenu cette année à Bologne cherchât à l’arrêter : Nec aliguis frater de celero sermones, vel collationes, vel alias Sacras Scripturas de latino transférant (sic) in vulgare. Martène, Thésaurus anecdotorum, t. IV, col. 1684. Pris entre le besoin très réel de venir en aide aux fidèles et la défiance du monde ecclésiastique, les Dominicains hésitèrent un peu, mais sacrifièrent çà et là à la première considération, surtout à partir du xiv 8 siècle, où le progrès des idiomes finit par nécessiter la constitution de toute une littérature religieuse en langue vulgaire. Cette espèce d’incertitude doit expliquer, croyons-nous, en grande partie pourquoi si peu de noms de traducteurs sont demeurés attachés à leur œuvre, spécialement dans le domaine de la vulgarisation des Écritures, les auteurs pouvant avoir des ennuis à cause de leur paternité littéraire. Néanmoins aucun ordre religieux n’a à son actif, au moyen âge, une somme aussi forte de traductions bibliques.

1° La traduction française de la Bible au xme siècle est d’une importance particulière à raison de l’influence qu’elle a exercée sur toute la suite des traductions françaises, catholiques et protestantes. M. S. Berger n’est pas éloigné de conclure que « l’influence de la version du XIIIe siècle ne s’est pas bornée aux Bibles protestantes », mais encore que « bien peu de versions y ont échappé ». La Bible française au moyen âge, Paris, 1884, p. 3li. Nous ne connaissons pas positivement les auteurs de cette traduction ; mais M. S. Berger arrive à cette conclusion : « La version qui nous occupe a été faite par plusieurs traducteurs travaillant sous une même direction, d’après plusieurs manuscrits latins, dont le principal était un exemplaire de la Bible corrigée par l’Université. Notre version a été faite à Paris, dans l’Université, entre l’an 1226 et l’an 1250 environ. » Ibid., p. 156. Or avant 1250 il n’y a eu à Paris, dans l’Université, qu’une seule correction de la Bible, celle entreprise par les Dominicains sous la direction de Hugues de Saint -Cher. On ne connaît d’ailleurs aucun exemple d’un travail en collaboration à l’Université autre que ceux des Dominicains. L’état encore sporadique des professeurs qui n’appartenaient pas à des collectivités religieuses le rend absolument invraisemblable chez les sept maîtres séculiers de la faculté de théologie. Il n’existe trace chez les Franciscains de Paris d’aucune entreprise scripturaire analogue. Les Prêcheurs, au contraire, ont, aux mêmes années, revisé le texte latin, créé les concordances et écrit le premier grand commentaire sur toute la Bible ; et quand le chapitre général de 1242 défend de traduire à l’avenir les Saintes Écritures en langue vulgaire, il vise évidemment un ou plusieurs faits analogues à celui qui s’est produit à Paris et a été signalé par M. Berger. Si donc quelqu’un est autorisé à présenter des titres à la traduction française de la Bible parisienne, nous croyons que les Dominicains peuvent se mettre sur les rangs et même se présenter parmi les premiers, en attendant, s’il y a lieu, le dernier mot de la critique. Nous trouvons au xiv « siècle plusieurs noms de Dominicains qui ont collaboré à la traduction de la célèbre Bible du roi Jean, cette « œuvre exécutée sous ses yeux et par son ordre, et si remarquable que le moyen âge n’en aurait pas produit qui lui fût comparable, si elle eût été achevée ». Berger, La Bible française au moyen âge, p. 238. Le travail de traduction dura une trentaine d’années et fut l’œuvre de toute une pléiade de travailleurs. En avril 1398, nous trouvons nommés « maistre Jehan Nicolas, frère Guillaume Vivien, frère Jehan de Chambly (tous trois dominicains), demourant à Poissy ». En 1410, Jehan de Chambly y travaillait encore. Ibid., p. 242. Nous ne mentionnons que pour mémoire Jean de Blois (Echard, t. i, p. 908 ;